Alimentation

Pain bio ou pétri de chimie, pâtisserie industrielle ou artisanale : comment reconnaître une bonne boulangerie ?

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par Simon Gouin

Comment déceler que des pâtisseries sont industrielles, même si elles sont vendues dans des boulangeries artisanales ? Comment reconnaître des baguettes gonflées aux produits chimiques, ou qui arrivent congelées de Pologne ? Où dénicher des pains pétris avec de la farine bio et locale ? Difficile de s’y retrouver en matière de boulangerie ou de pâtisserie ! Basta! est allé à la rencontre de trois boulangeries pour tenter de comprendre à quoi correspondent les différents labels et comment se fabrique un pain de bonne qualité, respectueux de l’environnement... et du métier de boulanger. Réponse en cinq questions.

Des terminaux de cuisson qui ont pignon sur rue ; des grandes surfaces qui vendent du pain chaud toute la journée, une baguette à 39 centimes d’euros ou du pain artisanal ; des entreprises industrielles qui abreuvent le marché de produits parfois standardisés ; des franchises qui connaissent un véritable âge d’or ... et de petites boulangeries artisanales subissant de plein fouet la concurrence.

La boulangerie française est en pleine mutation. Que certains qualifient de crise. On compte actuellement 32 000 entreprises de boulangerie-pâtisserie, auxquelles il faut ajouter les grandes surfaces qui vendent du pain « frais ». Certaines ont ouvert plusieurs points de vente. Une concentration des enseignes dans un secteur qui continue, malgré tout, à employer plus de 160 000 personnes. Mais les petites boulangeries sont touchées de plein fouet. Elles doivent souvent s’adapter... ou disparaître.

Dans ce contexte, le consommateur est placé devant des choix multiples. Où les apparences sont parfois trompeuses. En dehors du goût, comment peut-on savoir si le pain acheté est de bonne qualité ? Comment s’assurer que les viennoiseries et les pâtisseries sont faites maison ? Quelles sont les conditions de travail ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles nous tentons de répondre, à partir des témoignages de trois boulangers et du directeur de la formation de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie Française.

Question n°1 : Comment savoir si le pain, les pâtisseries et les viennoiseries sont faits maison ou dans une usine agroalimentaire ?

Des croissants qui ont tous la même forme. Des tartelettes au citron qui ressemblent à des clones, parfaitement calibrées... Les produits industriels ont franchi la porte des boulangeries artisanales. Des fonds de tartes à garnir aux pâtes feuilletées pour les galettes des rois, en passant par des pâtisseries et des viennoiseries toutes faites, prêtes à être décongelées ou cuites, certains boulangers « artisanaux » font appel aux services d’industriels pour garnir leur boutique. « Certains sortent les pâtisseries le soir, dans leur vitrine, le matin elles sont décongelées, raconte un boulanger. Ces boulangeries se font livrer dans des cartons blancs, pour ne pas éveiller la suspicion du consommateur. »

A Gréville-Hague, Sophie et Sébastien Defay ont choisi de tout faire maison.

« Si une vitrine est garnie toute la journée, c’est suspect, estime Sébastien Defay, boulanger à Gréville-Hague, dans le Cotentin. Cela implique d’avoir toute une armada d’employés, aux horaires surchargés. » Ou de recourir à des produits industriels : au moins 25% des viennoiseries vendues dans les boulangeries artisanales seraient d’origine industrielle [1]. Le boulanger réduit ainsi sa masse salariale. Mais le calcul économique n’est parfois pas vraiment avantageux... « Parmi nos adhérents, un de nos boulangers achetait des croissants industriels à 27 centimes d’euros, pour les revendre à 90 centimes, raconte Hervé Besnoit-Gironière, directeur de la formation de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française. En réorganisant sa méthode de travail, en utilisant mieux le froid et en les concevant une seule fois par semaine, il a réussi à les fabriquer lui-même, pour un coût de sept centimes l’unité. »

L’appellation pâtissier n’est pas contrainte par le fait-maison

Dans leur boulangerie normande, Sébastien et Sophie Defay ont choisi d’adapter leur production à leurs capacités de travail et de tout faire maison, jusqu’à la confiture qui vient garnir le Grévillais, leur spécialité en pâte feuilletée. Au centre de ce processus artisanal, il y a la congélation (-18°C) et la surgélation (-21°C). Elles permettent de stocker une partie de la production, avant ou après cuisson, pour mieux la répartir les jours d’ouverture. Plus besoin de fabriquer des croissants ou des pains au chocolat tous les jours. La congélation sert aussi à créer des pâtisseries avec des mousses ou des coulis. Le respect de la chaîne du froid et la qualité des produits sont contrôlés par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Tout produit qui a été décongelé après avoir été cuit doit porter une petite icône.

Au moins 25% des boulangeries-pâtisseries françaises ne fabriqueraient pas eux-mêmes leur gâteaux et viennoiseries.

Selon la réglementation, un pâtissier n’est pas tenu de produire tout sur place. Difficile pour le client de s’y repérer. A l’inverse, pour le pain, l’appellation Artisan boulanger n’est décernée qu’aux entreprises qui le fabriquent sur place, du pétrissage de la pâte jusqu’à sa cuisson. Ce qui explique que de nombreux points de vente, comme les enseignes Paul ou la Mie Câline, n’utilisent pas le terme « boulangerie ». Cette appellation est donc un bon moyen pour savoir si son pain est fabriqué sur place. Pour la viennoiserie, un label « Fait maison » a été mis en place. Enfin, de nombreuses franchises de boulangerie proposent des pains fait-maison mais avec des pâtisseries industrielles... Au client de se renseigner !

Question n°2 : Comment reconnaître un pain traditionnel ou bio d’une baguette gonflée aux produits chimiques ?

Un bon pain se fabrique avec des matières premières de qualité. Le choix de la farine, par exemple, influe sur le goût, la couleur et la consistance du pain. A la Conquête du pain, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), c’est une farine bio d’un meunier de la Marne qui a été choisie. Écrasée sur meule, elle est plus riche en enzymes et en ferments. 35% plus chère qu’une farine non bio, elle est issue de blés cultivés sans insecticides, herbicides ou engrais chimiques. La présence de résidus chimiques dans le pain est donc réduite. Même choix pour la boulangerie La Falue, à Caen, qui travaille avec des farines bio peu raffinées pour obtenir des pains complets ou semi-complets, aux apports nutritionnels plus élevés par rapport au pain blanc. Cela lui permet d’être labellisée « bio ». Un label facile à repérer pour le consommateur et contrôlé au moins une fois par an.

La farine blanche d’une baguette classique peut contenir des additifs (naturels ou synthétiques), joliment nommés « améliorants », directement intégrés par le meunier.

Ailleurs, la farine blanche d’une baguette classique peut contenir des additifs (naturels ou synthétiques), joliment nommés « améliorants », directement intégrés par le meunier. On trouve de l’acide ascorbique (E300) ou du gluco-oxydase pour donner de la force aux pâtes, ou de la lécithine de soja (E322) et des mono et glycérides d’acides gras (E472) qui gonflent le volume et retarde le durcissement du pain. Autant de composants chimiques qui sont censés faciliter le travail du boulanger. « Cela évite les cloques ou le séchage », indique Sébastien Defay. Mais ces composants se retrouvent dans nos assiettes ! « Avec ce qu’il y a déjà dans les champs des paysans et dans les silos des meuniers, pas besoin d’en rajouter », estime Dominique Gosselin, le gérant de la coopérative La Falue. Pour éviter les additifs chimiques, le consommateur peut choisir le pain dit de « tradition ». Sa composition est encadrée par un décret, qui lui impose également de ne pas subir de surgélation.

Laisser le temps à la pâte de se former

Enfin, pour faire lever la farine et l’eau, les boulangers utilisent soit du levain, soit de la levure de boulanger. « Avec de la levure de boulangerie, la pâte a un très fort développement, explique Dominique Gosselin. En apparence, le pain est volumineux, mais en fait, il est moins dense. » Inconvénient pour le levain, il exige un pétrissage lent et une longue fermentation, pour « laisser le temps à la pâte de se former ». Le levain donne une plus haute acidité au pain, ce qui facilite la digestion, car la fermentation est plus aboutie. « Cela dépend du goût que tu souhaites donner à ton pain, estime Pierre, de la Conquête du Pain. Une baguette tradition avec un goût acide, ce n’est pas terrible. »

La fermentation est une étape très importante pour la qualité du pain. Plus elle est longue, plus le pain lève et est alvéolé, plus les arômes se diffusent.

Levure ou levain, c’est la fermentation ou la pousse – la période pendant laquelle la pâte repose – qui est essentielle pour la qualité du pain. A La Falue, elle dure en moyenne sept heures. Les boulangeries de Montreuil et Gréville utilisent des chambres de pousse – des frigos – qui ralentissent la fermentation pour mieux maîtriser le processus de fabrication. Plus la fermentation est longue, plus le pain lève et est alvéolé, plus les arômes se diffusent. Dans certaines boulangeries, ce temps est réduit au minimum, parfois trois heures (à comparer avec les 18h d’un artisan boulanger dans le Morbihan), afin de produire le plus possible. Certains ajoutent du sel, ce qui réduit le temps de fermentation, mais nuit à la santé du consommateur. Là aussi, un pain de tradition donne au consommateur un repère : sa fermentation a duré au minimum cinq heures.

Question n°3 : Quid des conditions de travail et de la pénibilité dans les métiers de boulangerie ?

Un pain de qualité peut être fabriqué dans de mauvaises conditions de travail ! Pour avoir des vitrines toujours remplies, la pression est grande sur les ouvriers ou les apprentis, parfois exploités. De même, un boulanger industriel peut parvenir à de bons produits... grâce à un travail mécanisé, à la chaîne et répétitif. Enfin, certaines franchises de boulangeries, qui produisent parfois un pain de très bonne qualité, concurrencent fortement les petites boulangeries de plus petites tailles installées aux alentours [2]. « On sait que dans l’une de ces enseignes, il y a un turn-over du personnel de vente hallucinant », indique Hervé Benoist-Gironière.

En 50 ans, le travail de boulanger est devenu moins pénible. « Les chambres de pousse permettent de maîtriser la fermentation et de mettre le pain à notre disposition, plutôt que d’être à la disposition du pain », constate Sébastien Defay. Grâce à cette technique, le boulanger n’est plus obligé de tout faire la nuit. Il prépare son pain la veille, le stocke dans les chambres de pousse, dont la température est ajustée afin qu’il soit prêt à 5h00 du matin, pour être cuit. Un investissement de plus de 13 000 euros pour mieux répartir la charge de travail et gagner quelques heures de sommeil, tout en garantissant un pain de qualité.

La boulangerie La Falue, à Caen, a choisi de se structurer en coopérative. A la fin de l’année, un tiers des bénéfices est reversé aux associés.

Ce choix matériel, la coopérative La Falue, à Caen, ne l’a pas fait. Ses six boulangers travaillent de nuit, et sans chambre de pousse. Mais le travail collectif qu’ils ont choisi permet une organisation plus souple. « Nous n’avons pas un seul salarié qui ne sache faire qu’une seule chose, explique Dominique Gosselin. Notre fonctionnement collectif oblige à être attentif à l’autre, à mettre en valeur le travail réalisé, ou pallier les faiblesses... C’est pour cela que notre pain n’a pas le même goût. » A La Falue, pas de vendeurs attitrés : le comptoir donne directement sur l’atelier, et c’est le boulanger présent ce jour-là qui interrompt son travail pour servir le client.

Des coopératives qui favorisent la créativité

On retrouve cette organisation collective à la Conquête du pain, à Montreuil. Créée en 2010, la boulangerie a choisi d’être une entreprise autogérée, où les neuf employés prennent les décisions en assemblée générale hebdomadaire, sans l’aval d’un patron. « Notre organisation nous permet d’être plus inventifs, de faire des essais, de valoriser par exemple les compétences artistiques de certains de nos employés, souligne Pierre. Dans une boulangerie conventionnelle, il faut que le patron soit le créateur. »

Car si tous les boulangers partent des mêmes ingrédients, tout l’art du métier est de créer un produit unique. « Chaque boulanger a une signature en fonction de la qualité, de la couleur du pain, et de la gamme qu’il va fournir à ses clients », indique Hervé Benoist-Gironière. Une créativité essentielle pour pouvoir concurrencer les plus grosses structures, qui bénéficient d’économies d’échelle. « La boulangerie française est figée, estime Dominique Gosselin. Les céréaliers ont recherché la simplicité et la rentabilité. Souvent, les meuniers aident les boulangers dans leur installation, mais en échange, le boulanger doit lui acheter telle ou telle farine... ». Et certains produits sont calibrés et codifiés.

A La Falue, à Caen, ou à la Conquête du pain, à Montreuil, l’organisation collective offre une plus grande créativité.

Les choix structurels de la Conquête du pain et de La Falue s’accompagnent d’une vraie répartition des bénéfices. A La Falue, les salaires se situent entre 1200 et 1600 euros nets, et à la fin de l’année, un tiers du résultat est reversé aux salariés. A la Conquête du pain, la base salariale est la même pour tous : 1350 euros/net pour 35h. « En ce moment, on s’interroge pour pouvoir compenser la pénibilité des tâches de certains d’entre nous, précise Pierre. Le travail du boulanger est physique. Celui de vendeur n’est pas forcément très gratifiant. » Comment proposer un système juste et égalitaire de rémunérations ?

Question n°4 : Quel bilan carbone et quel impact sur l’environnement ?

39 centimes d’euros la baguette ! C’est le prix affiché en février dernier par le hard-discount Dia. « Ces bâtons congelés viennent de Pologne et sont ensuite cuits dans les fours du hard-discount », explique Hervé Benoist-Gironière. Un produit qui n’a rien à voir, en terme de qualité, avec les traditions de nos trois boulangers. Et avec un bilan carbone catastrophique ! Savoir si son pain est bon pour l’environnement est une question qui commence à émerger parmi les priorités de certains clients et boulangers. Les blés ont-ils été traités ? Combien de kilomètres a parcouru la farine ? Dans quel type d’emballage est vendu le pain ?

Le bilan carbone de la production de pain pourrait devenir un argument supplémentaire de vente pour le boulanger.

« On aimerait réduire la distribution de nos emballages en papier kraft, avance Dominique Gosselin. On peut faire payer le sac distribué, pour inciter le client à rapporter son sac. Mais nous ne sommes pas en position dominante comme peut l’être une grande surface. Il faut du temps pour faire changer les comportements. » Le circuit de production peut en tout cas être un argument à mettre en avant. « Aujourd’hui, le boulanger pâtissier est le plus court circuit de production qu’on imagine en artisanat, estime Hervé Benoist-Gironière. La farine est de plus en plus régionale, grâce à de petits meuniers. Il faut que les boulangers communiquent sur le bilan carbone de leurs produits. Ma baguette coûte tant, parce que j’utilise tel produit, etc. Les consommateurs jugeront ! C’est un axe de progrès à travailler. »

Question n°5 : Quel est le juste prix ?

Le juste prix du pain dépend des différents critères évoqués ci-dessus. Est-il fait maison ? Les matières premières sont-elles bio et locales ? Le temps de la fermentation a-t-il été respecté ? Combien d’ouvriers travaillent dans la boulangerie par rapport aux quantités produites ? Le prix d’un pain doit aussi être ramené au kilo et à sa consistance. Un pain bio peut souvent paraître plus cher. Mais à volume égal, son poids est plus élevé et sa mie plus compacte. Donc on peut en manger moins. Au final, la différence de prix est plus faible...

Mais qualité ne rime pas forcément avec prix élevés. A la Conquête du pain, « des tarifs de crise » ont été mis en place pour les clients qui en font la demande. « Parce que nous ne voulons pas que la qualité soit réservée à une élite. » La baguette passe à 0,75 euros, contre 1 euro habituellement. Mais l’engagement social de la boulangerie ne s’arrête pas là. Du pain est livré aux migrants de la Chapelle, à Paris, ou à des mouvements de solidarité aux Kurdes. Une implication dans la vie sociale et locale rendue possible grâce à certains choix : les produits laitiers utilisés dans la pâtisserie ne sont par exemple pas bio. De quoi maintenir des prix classiques, et garantir une marge économique suffisante pour pouvoir en redistribuer à ceux qui en ont besoin. Loin des logiques industrielles !

« Une démarche de boulangerie la plus artisanale possible aura forcément un prix plus élevé... ou une marge plus faible pour le boulanger », estime Dominique Gosselin. A La Falue, pour garantir des prix du marché tout en étant bio, la coopérative a décidé de se fixer des salaires modérés. Car les bonnes matières premières coûtent chères. Le savoir-faire artisanal, avec un minimum d’outils industriels, exige du temps, donc de l’argent. Mieux vaut ne pas chercher à tirer les prix vers le bas. A défaut, le savoir-faire artisanal du boulanger-pâtissier risque de s’affaiblir, et ses fabrications d’être de plus en plus standardisées.

Simon Gouin (texte et photos)