Dans le cortège du 29 janvier

Paroles de révoltés ordinaires

Dans le cortège du 29 janvier

par Julien Brygo, Stéphane Fernandez

Le ministre du budget est formel : les grèves ne sont pas un moyen « adapté » pour exprimer sa « crainte de l’avenir ». Eric Woerth enjoint les Français à « plus de solidarité nationale », à « bouger » et à se « serrer les coudes ». Curieux de saisir la perception des pensées nietzschéennes du commis aux finances de la Nation auprès des grévistes, Basta! est allé poser la question à des manifestants jeudi dernier, dans le cortège parisien.

Ensemble. Tous ensemble. Un million ? Deux millions ? Qu’importe après tout. L’essentiel est là. Tout un peuple dans la rue. Un peuple de gauche. Avec l’envie d’espérer, de rêver, de croire encore en des lendemains qui ne déchantent pas. De gagner pour une fois la bataille de l’image. Face au rouleau compresseur de la communication gouvernementale, face aux rengaines du discours de la droite (les otages qui veulent travailler, la nécessité de se mettre au travail, trop de grèves en France), face aux postures affectées des gouvernants et du patronat (c’est légitime, on comprend, on entend). Ce peuple de gauche réuni était beau à voir. Sans les jalousies de ses ténors aux voix désaccordées. Elle relançait une certaine espérance. Les germes sont là.

Ensemble. Jeunes, vieux, sans papier, handicapés, chômeurs, lycéens, chercheurs, anars, chrétiens, précaires, public, privé… Pour réclamer de ne pas payer pour la crise d’un système qu’ils ne veulent pas. Pour réclamer de quoi vivre ou survivre dignement. Un salaire décent, des papiers, un toit, une allocation qui ne soit pas seulement une aumône. Pour sortir de la peur dans laquelle nous confine un discours et une parole unique depuis plus de 7 ans. Pour sortir de l’individualisme et retrouver le sens des luttes collectives.

Ensemble. Tous ensemble. Pour se compter aussi. Pour se rendre compte qu’on n’est pas seul à avoir la tête sous l’eau. Pour être sûr qu’on remue encore, que nous ne sommes pas devenus si “invisibles” que le discours officiel veut bien le faire croire. Pour se serrer les coudes. Pour montrer qu’ensemble, tout devient possible peut aussi être un slogan qui sonne à gauche.

Et demain ? Comment transformer l’essai ? Comment continuer ? Comment surfer sur la vague ? La question doit agiter les états-majors du NPA au PS et même au Modem, de la CGT à la CFTC. La réponse est dans la rue. Dans les slogans joyeux et les refrains chantés ensemble. Oui ensemble. Certes, il y a beaucoup à faire et notamment, changer les appareils de ces partis et syndicats, confis dans leurs égoïsmes et leurs ambitions personnelles, mais les possibles seront plus grands que les blocages à condition que ce peuple de gauche ne se laisse plus confisquer la parole. La parole est dans la rue. C’est de la responsabilité de chacun des manifestants du 29 janvier que de ne pas se la laisser reprendre.

Stéphane Fernandez

Photos et sons : Julien Brygo/ Collectif Item

Montage : Guillaume Seyral

Avec :
Eric Woerth, ministre du budget (France Inter, 27 janvier) ;

France, militante à « La Fédération » ;

Camara, employé dans une société de gestion locative de HLM à Paris ;

France, enseignante à Paris.