Maux de tête, insomnie, fatigue chronique, difficultés respiratoires, difficultés de concentration, problèmes digestifs ou cardiovasculaires : ce sont les divers symptômes du "syndrome MCS" (ou hypersensibilité chimique multiple), contracté lors d’une exposition violente ou répétée aux molécules et produits chimiques qui fourmillent dans les maisons, ateliers et bureaux. Les personnes qui en sont atteintes ont une vie sociale et professionnelle rendue difficile. Elles sont obligées de se tenir éloignées de toute émanation de produits chimiques, dont nos intérieurs sont truffés : pesticides, insecticides, monoxydes de carbone, produits d’entretien, matériaux de construction, moquettes, peintures, encres, désodorisants, échappement d’automobiles, dérivés de formol, parfums et produits parfumés, shampoings, produits cosmétiques, nettoyage à sec...
Aux Etats-Unis, la communauté scientifique s’intéresse au MCS depuis 1987. En France, ce syndrome reste mal connu des médecins, qui sont quasiment tous incapables de le diagnostiquer. Parfois, après une batterie de tests en tout genre - tests neurologiques, IRM, Scanner, doppler, prises de sang (tous très coûteux pour la Sécurité sociale) - qui ne révèlent rien, ils conseillent à leurs patients d’entamer une psychothérapie. Leurs maux étant identifiés comme psychosomatiques…
Ailleurs en Europe
Chez nos proches voisins, en Belgique ou au Luxembourg, médecins libéraux et ministères de la Santé collaborent pour identifier et résoudre ces problèmes de santé dus à la pollution intérieure. Des problèmes de santé qui, sans atteindre forcément le degré de pénibilité du MCS, sont en croissance partout en Occident.
Au Luxembourg, le service de la médecine de l’environnement est créé en 1994 sous la pression d’AKUT (association d’information et de promotion sur les maladies dues à l’environnement). Il dépend du ministère luxembourgeois de la santé. Deux médecins généralistes et un technicien le coordonnent. Pour un forfait de 50 euros, le service vient à domicile relever des poussières ou de l’air et procède à des analyses chimiques et mycologiques, pour déceler la présence de polluants potentiels pour ensuite les répertorier. Un rapport, assorti de divers conseils d’assainissement, est ensuite remis aux patients et au médecin traitant qui prend le relais. « Dans le pays, une vingtaine de praticiens généralistes ont été formés à la médecine de l’environnement dès 2001, formation financée en majeure partie par l’Etat », précise Ralph Baden, biologiste travaillant au sein du ministère de la santé du Luxembourg.
En Belgique, un service similaire est créé en 1999, sous l’impulsion d’un médecin, Alain Nicolas. Il dirige aujourd’hui le département de médecine de l’environnement de la province de Liège, au sein duquel est développé le SAMI (Service d’analyse des milieux intérieurs). Le déplacement du SAMI, qui compte un médecin généraliste et une technicienne de laboratoire, pour des relevés de polluants ou des analyses in situ, se fait, là aussi, sur demande du médecin traitant, et sans que le patient ne mette la main au porte monnaie.
Le retard français
Côté français, on est loin de disposer de tels services, même si la situation évolue. La France entreprend notamment de rattraper son retard en matière d’analyses. La campagne nationale menée par l’OQAI (Observatoire de la qualité de l’air intérieur) entre 2003 et 2005, a permis de dresser un premier état de la qualité de l’air intérieur de l’ensemble des 24 millions de logements français. Une étude publiée par l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques), en mai 2008, fait état de l’exposition des enfants d’Île-de-France aux pesticides en milieu intérieur (Expope) [1]. Indispensables pour mettre au point des outils de mesure des polluants, déterminer les effets sanitaires, et envisager, par la suite, des protocoles de soin, les données révélées par ces premières études restent cependant insuffisantes.
« Pour avancer, nous avons besoin de davantage d’analyses », insiste Frédéric de Blay, allergologue strasbourgeois, à l’origine de la formation de Conseiller médical en environnement intérieur (CMEI). Rattaché au secteur public ou exerçant en libéral, il peut réaliser un audit de la qualité de l’air intérieur du domicile du patient, et lui délivrer des conseils. Gratuite lorsque le CMEI est rattaché à une structure publique, cette visite est payante, et chère (minimum 150 euros !), lorsque le CMEI est en libéral. Créé en 2000, le diplôme inter-universitaire de CMEI a assuré la formation d’une soixantaine de personnes. Ils ne sont qu’une trentaine à exercer actuellement, faute de moyens, et malgré une reconnaissance de la communauté scientifique internationale. « Les pouvoirs publics français, ministère de la Santé en tête, parlent des CMEI dans tous leurs plans santé mais ils n’ont jamais débloqué de fonds… Il n’y a pas de volonté politique de créer des postes dans les hôpitaux », souligne Frédéric de Blay.
Bombe sanitaire à retardement
A quoi est dû ce retard hexagonal ? « Nous n’avons pas la culture de la prévention, et on ne met que très peu de moyens au niveau de la santé environnementale. Ceux de l’OQAI sont ridicules ! », répond le journaliste Vincent Nouzille, auteur de Les empoisonneurs : Enquête sur ces polluants et produits qui nous tuent à petit feu (Fayard). « Il y a, en plus, une inertie terrible pour la mise en place de la réglementation. Et, évidemment, un poids important du lobby industriel : l’ensemble des chaînes de production de la filière ameublement, par exemple, n’ont aucun intérêt à ce que l’on vienne mettre notre nez dans leurs affaires. »
Cette absence de politique publique pourrait, à long terme, se révéler catastrophique. Parce que nous passons 80 à 90 % de notre temps dans des univers confinés, où nous sommes exposés à des cocktails de molécules chimiques, dont les effets à long terme, soupçonnés désastreux, ne sont pas connus. « Les outils d’évaluation ne sont pas à la hauteur, c’est un vrai problème, ajoute André Cicolella, chercheur en santé environnementale au sein de l’Inéris [2], à l’origine de Rsein (Réseau de recherche santé en environnement intérieur), un réseau de veille scientifique, créé il y a dix ans. « Pour le moment, seulement un peu plus d’une vingtaine d’instituts travaillent ensemble, sur la base du volontariat. Mais notre retard scientifique est très important. Les pays scandinaves ont 25 ans d’avance sur nous ! »
Cette lenteur française est d’autant plus inquiétante que, lorsque ils cherchent, les scientifiques découvrent des résultats pires que ceux qu’ils attendaient. « Avec Expope, nous avons retrouvé des traces de beaucoup de substances interdites, dont plusieurs sont cancérigènes », précise André Cicolella. « On ne s’attendait pas à en trouver autant. Et encore moins à détecter autant de pesticides sur les mains des enfants habitant en Île-de-France… » Par où sont venues les molécules du Lindane, un insecticide neurotoxique, cancérigène et perturbateur endocrinien, que l’on a retrouvé dans 88 % des logements étudiés ? Combien de temps vont-elles persister ? Quels sont leurs effets, mêlées à d’autres molécules ? On ignore tout simplement ces éléments fondamentaux. Publiée en mai 2008, Expope n’a pas fait beaucoup de bruit. André Cicolella le regrette. « Les scientifiques ne font pas des recherches pour le plaisir pur de la connaissance, mais pour qu’il y ait ensuite, des réponses politiques. »
Nolwenn Weiler
EXPOSITION AUX PESTICIDES DANS L’ENVIRONNEMENT INTERIEUR
Selon une étude de l’INERIS, 94 % des foyers étudiés recèlent des pesticides :