Russie

Poutine, Vinci et l’autoroute : le journaliste qui avait enquêté est décédé

Russie

par Ivan du Roy

Triste symbole. Alors qu’une nouvelle loi oblige les organisations non gouvernementales russes à se déclarer comme des « agents de l’étranger » si elles perçoivent des financements internationaux, le journaliste Mikhail Beketov est mort le 8 avril, à l’âge de 55 ans. Mikhail Beketov était le rédacteur en chef de La Pravda de Khimki, un journal local de cette banlieue de Moscou. Il avait été le premier à dénoncer les aberrations du projet d’autoroute reliant Moscou à Saint-Pétersbourg, dont le tracé détruit partiellement la dernière forêt moscovite. Et à révéler des présomptions de corruption régnant autour de ce « partenariat public-privé » conclu entre les autorités russes et la multinationale française Vinci, qui possède près de 40% du consortium qui exploitera les péages de la future autoroute.

En novembre 2008, Mikhail Beketov avait été sauvagement agressé à son domicile par des hommes masqués. Une agression qui le laisse à moitié paralysé et amputé d’une jambe. « Ils en ont fait un légume », racontait alors à Basta! Evgenia Chirikova, militante écologiste russe, et porte-parole de la contestation. Cinq ans plus tard, l’ancien parachutiste et reporter de guerre, un géant de 2 mètres, décède d’étouffement ou d’une crise cardiaque à l’hôpital. Ses agresseurs d’il y a cinq ans, eux, n’ont jamais été inquiétés. « Misha [Mikhail Beketov] a été le premier à comprendre que ce projet était entâché de corruption », confie Evgenia Chirikova après l’annonce de son décès. « Mais, à l’époque, Misha était seul et très exposé. » Depuis l’agression, le mouvement de défense de la forêt de Khimki a émergé et s’est amplifié pour devenir l’un des symboles de la contestation du régime de Poutine.

Le mouvement avait interpellé le PDG de Vinci Xavier Huillard en 2010, en espérant que l’entreprise de BTP « souhaite n’avoir rien en commun avec ce projet qui porte atteinte aux droits des citoyens de Russie et à l’environnement, et dont le site de réalisation est surveillé par des hommes armés et masqués ». « Le tracé a été décidé et reste du ressort des autorités russes et à ce stade Vinci n’intervient pas sur le chantier », avait alors répondu la direction du groupe à Paris. La contestation a fait temporairement reculer le gouvernement, le Président de l’époque Dmitri Medvedev – qui se partage alternativement le poste avec Vladimir Poutine – suspendant les travaux en 2011. Depuis, ceux-ci ont repris. Dans un contexte où les mouvements sociaux et écologiques risquent encore davantage d’être inquiétés et criminalisés.