Ce 19 octobre, huit anciens salariés de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord, comparaissaient en appel à Amiens suite à leur condamnation en première instance à deux ans de prison dont neuf mois ferme. Leur faute : avoir « retenu » selon la défense, « séquestré » selon l’accusation, deux cadres dirigeants de l’usine pendant 36 heures en 2014, suite à l’annonce de la fin des négociations du plan social. L’audience a duré près de onze heures. Avec une question centrale : la participation des ces huit prévenus à la séquestration, alors que 800 salariés de Goodyear étaient présents.
« Pourquoi je ne suis pas sur le banc des accusés avec eux ? » s’interroge ainsi à la barre Évelyne Becker, l’une des six témoins présentés par la défense. Les deux cadres sont absents de l’audience. Et pour cause, ils ont retiré leur plainte. Seul l’État poursuit l’action en justice. Les huit inculpés nient avoir entravé la liberté de mouvement des deux cadres – qui auraient pu manger, téléphoner et que « rien n’empêchait de partir ». Ils estiment également que s’ils n’avaient pas été présents pour « contenir » la colère des ouvriers, le mouvement aurait pu dégénérer. « Si je m’étais barré, peut-être que j’aurais été poursuivi pour ne pas avoir calmé les choses », lance à la barre, Mickaël Wamen, figure de la CGT Goodyear.
La défense rappelle le contexte. D’un côté, les ouvriers craignaient pour leur santé à cause de leur exposition à des produits toxiques et cancérigènes utilisés dans la conception des pneus (lire notre article). De l’autre, ils étaient en grande partie en « bore-out » – une forme d’épuisement professionnel par l’ennui – selon le témoignage d’une inspectrice du travail. La direction sous-employait les salariés depuis sept ans. « Il arrivait aux gars de l’équipe du samedi de ne travailler réellement qu’une heure sur une journée qui s’étale de 6 h à 18 h », se souvient Évelyne Becker. Elle-même estime avoir été « placardisée » à son retour de congé maternité. « Je me suis d’abord retrouvée près des toilettes pour faire de la saisie de facture toute la journée puis au service achat où je n’avais pas de fiche de poste, et donc aucune activité », raconte-t-elle à Basta!.
C’est dans cette situation tendue que le directeur se rend à l’usine le 14 janvier 2014 pour un rendez-vous avec des délégués du personnel. Sans prévenir les syndicalistes, il décide de s’exprimer devant 200 salariés qui l’attendent, inquiets pour leur avenir. « Il leur annonce qu’il n’y aura bientôt plus rien, que l’usine va fermer et qu’ils n’auront pas la moindre prime extra-légale », raconte Évelyne Becker. Un ouvrier avec cinq ans d’ancienneté apprend, ainsi, qu’il devra se contenter d’une prime de 4000 euros maximum. La goutte de trop.
« La relaxe ou rien ! » : plusieurs milliers de personnes en soutien
Ce 19 octobre, à un petit kilomètre de la cour d’appel, plusieurs milliers de personnes sont venues de France et de Belgique soutenir les huit prévenus, avec le slogan « la relaxe ou rien ! ». L’occasion pour de nombreux représentants syndicaux, politiques, associatifs et même d’artistes de prendre la parole sur une scène imposante. Philippe Poutou, probable candidat du Nouveau parti anticapitaliste à l’élection présidentielle, pousse les militants « à bousculer les directions syndicales » afin de contrer toutes les formes de répression, qu’elles touchent les ouvriers, les habitants des quartiers populaires, les sans-papiers ou encore les « militants écolos » de la Zone à défendre de Notre-Dame-des-Landes ou de la lutte contre le projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure (Meuse).
Pour le coordinateur du Parti de gauche Éric Coquerel, proche de Jean-Luc Mélenchon, la répression syndicale était prévisible depuis que « le gouvernement et François Hollande ont refusé, malgré ses promesses, l’amnistie de tous ceux qui ont combattu la loi Sarkozy » sur les retraites, cible d’un fort mouvement social en 2010. « Depuis, ce n’est que la concrétisation pour forcer le peuple à accepter une politique toujours plus illégitime. »
Xavier Mathieu, ancien leader de la lutte contre la fermeture de l’usine Continental de Clairoix (Oise) dresse, dans un discours enflammé, une liste imaginaire des « huit inculpés d’aujourd’hui », dont Nicolas Sarkozy, Jérôme Cahuzac, José Manuel Barroso, ou encore François Hollande. « On devrait tous aller en prison, mais c’est nous qui devrions avoir les clés, et c’est eux qu’il faut qu’on enferme ! » conclut Cédric Liechti, secrétaire général de la CGT Énergie Paris, sous les applaudissements.
Le procureur a requis deux ans de prison avec sursis, sans prison ferme contrairement à la condamnation en première instance. Le délibéré sera rendu le 11 janvier 2017.