Mascarade

Quand Pôle emploi traite les chômeurs comme des enfants

Mascarade

par Rédaction

Des membres du Mouvement des chômeurs et précaires en lutte (MCPL) se sont présentés dans une des agences de Pôle emploi à Rennes pour assister à un entretien collectif « obligatoire » destiné aux enseignants chômeurs. Outrés par l’attitude méprisante et les propos infantilisants tenus par madame C., responsable d’équipe à l’agence, les membres du collectif ont réagi en lui adressant une lettre ouverte.

Rennes, le 5 décembre 2011

Madame C.,

Le 14 novembre 2011, à 13 h 15, un entretien collectif était organisé dans votre agence Pôle emploi de Rennes. Cet entretien obligatoire, à destination des enseignants chômeurs, visait, d’une part, à leur rappeler que le pays n’avait plus besoin de leurs services – l’Éducation nationale étant devenue le champ de ruines que l’on sait – et, d’autre part, à les orienter poliment vers des dispositifs de reclassement grotesques, nommés cible-emploi ou trajectoire-emploi, dont le suivi est assuré par des sous-traitants privés, afin qu’ils puissent ambitionner au plus vite les dernières sous-offres des secteurs dits en tension (restauration, bâtiment, services), et goûter aux joies de la flexibilité, des cadences infernales et des salaires de quatre sous.

Ayant eu vent de l’existence de cette mascarade, c’est tout naturellement que le Mouvement des chômeurs et précaires en lutte (MCPL) a tenu à s’y présenter, afin de voir à quelle sauce les personnes convoquées allaient être mangées ce jour-là, et afin de leur faire connaître l’existence, à Rennes, d’un collectif de soutien et d’organisation des chômeurs.

Malheureusement, madame C., le 14 novembre 2011 à 13 h 15, abusant de votre physionomie, vous vous êtes interposée physiquement pour nous empêcher de pénétrer dans votre salle de réunion et de nous mêler aux autres participants. Un des chômeurs présents ayant manifesté son incompréhension et sa colère, parce qu’il souhaitait justement que nous y fassions entendre notre voix, vous avez débarqué en furie dans la pièce, jouant les flics pour identifier celui qui avait eu l’outrecuidance de réclamer notre présence, avant de lui dire comme une vieille maîtresse : « Soit vous restez-là et vous vous taisez, soit vous m’accompagnez dans mon bureau ! »

Ce ne sont pas nos mots, ce sont les vôtres !

Pensez-vous vraiment, madame C., qu’un chômeur c’est seulement quelqu’un qui doit fermer sa gueule ? N’est-ce pas vous qui auriez été mieux inspirée de vous taire, ce jour-là, plutôt que de nous ressortir les uns après les autres tous vos clichés méprisants sur les cancres du marché du travail, les mêmes qui circulent aujourd’hui dans les hautes sphères de la direction nationale de Pôle emploi et du ministère de l’Effort national ?

Non mais, écoutez-vous !

Alors comme ça, si vos foutus entretiens collectifs sont obligatoires, sous peine de radiation – nous répétons : sous peine de radiation –, ce serait parce qu’une majorité d’usagers n’aurait pas, selon vos propres termes, les « capacités intellectuelles » d’en évaluer tous les bienfaits ? Comme s’il n’était pas de notoriété publique que vos petites animations et vos dispositifs à deux balles n’étaient rien d’autre qu’une mise en scène grossière et ridicule pour persuader l’opinion publique que vous vous préoccupez réellement de notre sort, et du problème du chômage !

Quant aux autres, chômeurs récalcitrants, « philosophes » comme vous dites, rebelles, vous voudriez les envoyer faire un petit tour en « maçonnerie », hein ! Parce que ça leur « ferait le plus grand bien » ? Est-ce vraiment l’idée que vous vous faites de la maçonnerie, madame C. : un châtiment corporel et un instrument de rééducation politique ? Ou est-ce le sort que vous voudriez réserver à tous ceux qui ne goûtent pas vos entretiens collectifs, auxquels on les prie de participer en leur mettant le couteau sous la gorge : les travaux forcés ?

On n’ose imaginer, à vous entendre, ce que vous devez penser des camps de travail obligatoire que le gouvernement nationaliste hongrois veut imposer aujourd’hui aux allocataires des prestations sociales (en grande partie Roms), sous la surveillance de policiers à la retraite ? On n’ose imaginer encore ce que vous devez penser des heures de travaux d’intérêt général que le gouvernement français veut imposer prochainement aux bénéficiaires du RSA, pour les punir de profiter honteusement du système ?

Mais c’est quand nous avons fini par évoquer le droit à l’accompagnement, qui est aussi pour nous une forme concrète et élémentaire de solidarité entre les chômeurs, que vous nous avez sorti le grand jeu. Ça vous aurait fait tellement mal au cul d’avoir à vous plier devant la loi, et de céder à notre requête, que vous avez simplement feint d’en ignorer l’existence au point de contredire sous nos yeux l’une de vos subordonnées ! Et parce que nous refusions de lâcher le morceau, vous avez poussé la mauvaise foi jusqu’à nous demander textuellement (quel sang-froid !) : « Eh bien montrez-le moi, ce document qui prouve que vous avez le droit d’accompagner cette personne ! » Belle preuve de zèle à l’égard de la maison : à quand une promotion à la direction régionale ? À quand la Légion d’honneur ? En vérité, madame C., vous auriez été bien avisée de relire l’article 24 de la loi 2000-321 du 12 avril relative au droit des citoyens dans leurs relations avec les administrations, qui stipule noir sur blanc que tout chômeur, dans ses rapports avec Pôle emploi, peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix .

Vous nous direz que ce sont seulement trois mots en l’air de votre part. Mais ces trois mots révèlent bien l’image dégradée et dégradante que vous vous faites aujourd’hui des chômeurs et des laissés-pour-compte de la guerre économique, vous et tous les cadres de Pôle emploi ; ainsi que votre obstination à prendre les causes de la crise pour des remèdes miracles. Si ça va si mal pour les chômeurs, est-ce que c’est vraiment « la faute aux 35 heures », comme vous nous l’avez confié, donc au partage du temps de travail, ou est-ce que c’est à cause de cette idéologie rétrograde et arriérée des heures supplémentaires, de la baisse des salaires et du productivisme effréné, qui dégouline de vos bouches comme de celles de Laurent Wauquiez, de Laurence Parisot et des néo-esclavagistes du CAC 40 ?

Surtout, madame C., n’avez-vous pas conscience, en nous parlant de la sorte, c’est-à-dire en nous prenant quand même un peu pour des cons, que vous aggravez de manière préoccupante la fracture qui sépare les usagers et les conseillers de Pôle emploi, et que vous exposez par là même ces derniers à la colère – bien légitime – de tous les chômeurs humiliés. C’est qu’il y a ceux qui cassent les pots. Et il y a ceux qui les payent...

De toute façon, madame C., le chômage, c’est aussi ce qui vous pend au nez, à vouloir confier comme ça tous vos usagers à des organismes privés, qui se font des couilles en or sur leur dos et celui du contribuable. Et elles se frotteront bien les mains, ces boîtes de gestion de la misère, quand les salariés de Pôle emploi auront tous été mis au rancart pour restrictions budgétaires, comme les enseignants que vous infantilisez en leur imposant vos fichus entretiens collectifs. Vous vous retrouverez plus vite que prévu à nos côtés, pour partager une réjouissante séance de coaching organisée par l’un ou l’autre de vos partenaires privés sur le banc des « déficients intellectuels » et des « analphabètes », comme vous dites.

Quoi qu’il en soit, ceux qui tiennent de tels propos sont nuisibles pour les chômeurs et les précaires, mais aussi pour toute la collectivité, et ils n’ont assurément rien à faire dans un service public de l’emploi ! Pardonnez-nous de vous rappelez cette évidence, madame C., mais Pôle emploi appartient surtout et d’abord à ses usagers ! Dans ces conditions, nous pourrions demander votre renvoi immédiat, et applaudir en voyant votre nom s’ajouter à la longue liste des demandeurs d’emploi, juste à côté des nôtres. Mais contrairement aux petits chefs et aux irresponsables de votre espèce, nous ne résoudrons jamais à radier qui que ce soit ; même une mauvaise comédienne comme vous, madame C.. Nous nous contenterons donc d’exiger, auprès de qui de droit, que l’on vous trouve un autre poste, dans une autre agence ; un poste où vous ne serez plus en rapport ni avec des conseillers ni avec des chômeurs, ce dont nous croyons que tout le monde trouvera à se féliciter.

Veuillez agréer, madame C., nos plus sincères salutations.

Le Mouvement des chômeurs et précaires en lutte

Contact : mcpl2008@gmail.com / mcpl.revolublog.com