Amiante

Quand le Québec exporte le cancer

Amiante

par Ivan du Roy

L’amiante est responsable de 100 000 morts par an dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Bureau international du travail (BIT). Qu’importe ! Le gouvernement du Québec et l’État canadien continuent de soutenir leurs dernières mines d’amiante, destinée à l’exportation.

Photo : la mine d’amiante Jeffrey (Québec) / source

Dans les jours qui viennent, le Québec pourrait accorder un prêt de 58 millions de dollars à la mine Jeffrey, dans la ville d’Asbestos, entre Montréal et Québec. Une mine d’amiante exploitée depuis un siècle. Ce prêt sur fonds publics, en complément d’un investissement privé, permettra de relancer l’extraction du « chrysotile », le doux nom donné à l’amiante par ses promoteurs canadiens. Ce qui n’enlève rien aux sympathiques propriétés cancérigènes de la poussière tueuse. L’amiante chrysotile est d’ailleurs interdite dans plus de 40 pays.

Entre 2008 et 2011, le gouvernement fédéral canadien et le Québec avaient déjà subventionné l’Institut du chrysotile (anciennement Institut de l’amiante) à hauteur de 1,35 million de dollars [1] Véritable outil de lobbying pro-amiante, cet « institut » répète à qui veut l’entendre – en particulier auprès des fabricants de fibrociment des pays du Sud, où l’amiante canadienne est exportée (en Thaïlande ou en Indonésie) – que le chrysotile « ne présente aucun risque mesurable pour la santé humaine ». L’un des « scientifiques » de l’institut s’est même fait grassement rémunérer par la multinationale Union Carbide (responsable de la catastrophe de Bhopal) pour produire la seule étude au monde qui explique que le chrysotile peut être utilisé en toute sécurité.

Aide à l’exportation de cancérogène

Une subvention de 250 000 dollars a de nouveau été accordée à l’institut en mars 2011. « Le descriptif de la ligne budgétaire pourrait indiquer "Aide à l’exportation de cancérogène" ou "Contribution à l’empoisonnement des pays en voie de développement" mais les autorités canadiennes ont préféré la description hypocrite suivante : "Contribution à l’Institut de l’amiante pour favoriser la mise en application internationale de l’utilisation sécuritaire et responsable de l’amiante chrysotile" », déplore, en France, l’Andeva (Association nationale des victimes de l’amiante).

Cette obsession canadienne en faveur de l’amiante n’est pas nouvelle. Lorsque la France se décide enfin à l’interdire en 1997, le gouvernement canadien demande à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) d’annuler la mesure, arguant qu’elle est « irrationnelle et disproportionnée » et que « les utilisations actuelles du chrysotile ne représentent pas un risque détectable pour la santé humaine ». Les veuves de l’amiante, ici, apprécieront. Les multiples recours canadiens seront rejetés, l’OMC considérant que l’amiante est un cancérogène avéré [2].

Cette posture du gouvernement canadien est de plus en plus critiquée par l’opinion publique, nationale et internationale. Lors d’un sondage réalisé en janvier, 75 % des Canadiens interrogés se déclaraient hostiles à la relance de la mine de Jeffrey. « Nos élus canadiens, ceux-là mêmes qui soutiennent aujourd’hui la poursuite de cette industrie, se sont empressés de désamianter leurs murs à Ottawa. Symbole ironique mais aussi tragique de l’incohérence, sinon de l’hypocrisie, qui sous-tend le soutien politique à cette industrie », attaquait, mi-août, la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine, qui regroupe plusieurs associations environnementales ou syndicales québécoises. Les grandes revues scientifiques nord-américaines (The Lancet ou Nature) fustigent également la position canadienne. Une pétition contre le prêt de 58 millions d’euros vient d’être lancée par le site Avaaz. La position du Québec et du Canada devient de plus en plus intenable. Reste qu’ils ne sont les seuls : la Russie, le Kazakhstan et le Brésil sont aussi de gros exportateurs de cancers en fibres.

Ivan du Roy

Notes

[1La Tribune (Sherbrooke, Québec), 21 février 2008. Canada News Wire, Communiqué de presse, ministère des Ressources naturelles du Québec, 17 mars 2008.

[2Lire sur ces sujets le rapport « Quand le Canada exporte le mal, la vente d’amiante dans les pays en développement », par Kathleen Ruff, téléchargeable ici.