Avidité

Quand les entreprises font des profits sur la mort de leurs employés

Avidité

par Agnès Rousseaux

Accepteriez-vous que votre entreprise souscrive une assurance-vie à votre nom, dont elle serait l’unique bénéficiaire en cas de décès, le vôtre en l’occurrence ? C’est ce que les salariés du journal américain The Orange County Register ont vécu cette année, rapporte un article du New York Times, repris par Big Browser. Leur employeur a demandé leur accord pour souscrire une assurance-vie dont il serait le bénéficiaire. Margé les pressions managériales, les salariés, choqués par cette proposition, ont refusé que leur patron puisse faire des profits sur leur mort.

Cette initiative n’est pas rare, poursuit le New York Times : des centaines d’entreprises ont déjà franchi le pas. Et touchent le bénéfice de ces assurances, même de nombreuses années après que leurs anciens salariés soient partis en retraite ou aient quitté l’entreprise. Des revenus soumis à une fiscalité très avantageuse ! Leur argument : le bénéfice de ces assurances leur permet de financer des prévoyances santé et retraites. Cette démarche bénéficierait donc indirectement aux salariés... C’est oublier un peu vite que les entreprises font ce qu’elle veulent des gains obtenus sur ces assurances-vie et n’ont pas de compte à rendre à leurs salariés ni aux régulateurs.

Un tiers des 1 000 plus grandes entreprises états-uniennes seraient concernées, explique la société de conseil en ressources humaines Aon Hewitt. Ce marché représenterait 20 % des contrats d’assurance-vie signés actuellement aux États-Unis. Une loi votée en 2006 vise à encadrer cette pratique, en exigeant notamment le consentement du salarié. Mais cela ne semble pas avoir freiné l’engouement des employeurs pour ce type d’épargne bien particulier.

Des milliards de dollars dans les fonds propres des banques

Impossible cependant d’avoir une estimation précise. On ne sait pas qui souscrit ces contrats ni pour quelle utilisation. Reste que les banques semblent particulièrement friandes de ce produit d’épargne : cela leur permet de déclarer dans leurs fonds propres les « valeurs de rachat » des assurances-vie qu’elles ont souscrites au nom de leurs salariés. Et de renforcer leur solidité financière aux yeux des régulateurs. Bank of America possèderait ce type d’assurance-vie pour une valeur de 17,6 milliards de dollars, et la banque d’affaires JPMorgan pour 5 milliards. Ce qui révèle l’ampleur du business. Autre question : les entreprises concernées ne sont-elles pas incitées à en savoir toujours plus sur l’état de santé de leurs employés ?

En France, l’assurance-vie demeure le placement préféré des particuliers : elle représentait plus de 1200 milliards d’euros d’épargne fin 2012. Mais les contrats sont souscrits au profit des proches de la personne qui décède, pas de son employeur. Les entreprises y suivront-elles la voie tracée par leurs homologues états-uniennes ? Pas de quoi s’inquiéter, précise le directeur de The Orange County Register, défendant sa proposition vis-à-vis de ses salariés : « L’assurance-vie n’est pas quelque chose de morbide, pas plus que les personnes qui les vendent, ni celles qui en achètent, écrit-il. L’assurance-vie, de par sa nature même, a été créé pour bénéficier aux gens que nous aimons, ceux dont nous nous soucions le plus. » Un grand philanthrope.

@AgnesRousseaux