Répression

Quatre manifestants en détention provisoire depuis le 8 décembre : leurs familles témoignent

Répression

par Collectif

Ils sont vidéaste, lycéen, boulangère et cordiste. Interpellés lors de la mobilisation des gilets jaunes à Valence le 8 décembre qui convergeait avec la marche pour le climat, Stéphane, Dylan, Maria et Tom sont depuis placés en détention provisoire, accusés de « violences en réunion ». « Ces quatre personnes ont simplement tenté de se protéger et de protéger les personnes présentes de la violence provoquée par les forces de l’ordre ce matin-là » écrivent leurs proches. « On pense que cela n’arrive qu’aux autres » témoignent leurs familles, dans ce texte commun. « De simple manifestant, on devient délinquant. De papa, on devient absent. De boulangère, on devient prisonnière. D’étudiant en apprentissage, on devient détenu. » Une demande de mise en liberté doit être étudiée ce jeudi 20 décembre. Ils seront jugés le 26 décembre.

[Mise à jour le 2 juillet 2020 : En appel, Tom a conservé la même peine qu’en première instance, 12 mois de prison dont 6 fermes. La peine de Stéphane est tombée de 18 mois dont 12 fermes à 18 mois dont 8 fermes. Tous les deux sont condamnés à des peines complémentaires de 3 ans d’interdiction de manifester sur la région Auvergne Rhône Alpes et sur l’Ile de France (il n’y avait pas de délimitation d’espace d’interdiction lors du premier jugement). Stéphane étudie la possibilité de contester la légalité de cette interdiction de manifester devant la Cour européenne des droits de l’Homme.]

« On pense que cela n’arrive qu’aux autres.

Il y a une lutte, il y a une répression, il y a une solidarité. C’est un mouvement où il y a des gilets jaunes, des gilets bleus, des gilets verts, il y aurait même des gilets roses si on savait où en trouver. Il y a aussi des mains rougies par le froid sur les ronds-points et il y a des mains arrachées par des grenades dans les rues des villes.

On pense que cela n’arrive qu’aux autres. Parce qu’on n’est pas méchant.e, ni violent.e, ni délinquant.e. Parce qu’on a une petite famille, parce qu’on a une bonne tête, parce qu’on a un travail ou des projets, et puis un enfant, et puis plein d’ami.e.s, et un chat même !

On se croit à l’abri, protégé.e, hors d’atteinte parce qu’on n’a rien à se reprocher ou si peu. Pourtant on lit, on observe, on s’informe, on participe. On sait que partout il y a des armes, qui repoussent, qui blessent ou qui mutilent. On sait qu’on peut être arrêté.e pour port de liquide lacrymal ou détention de lunettes de piscine. Mais on continue de croire que ça n’arrive qu’aux autres. Alors pourquoi un jour tout basculerait ? Parce qu’en réalité, on fait partie des autres. Pour Dylan, Maria, Tom, Stéphane, tout a basculé, comme ça, le 8 décembre. De libre, on devient enfermé. De simple manifestant.e, on devient délinquant.e. De papa, on devient absent. De boulangère, on devient prisonnière. D’étudiant en apprentissage, on devient détenu.

Chacun se demande pourquoi son fils, son frère, son conjoint se retrouve bloqué derrière la vitre de ce box

Dylan, Maria, Tom et Stéphane sont arrêtés le samedi 8 décembre. Ils comparaissent une première fois lundi 10 décembre, ensemble. Pour eux et pour leurs proches se joue la suite de la vie. Mais pour leurs proches se joue autre chose aussi, quelque chose d’inattendu, quelque chose qui vient du mouvement et le prolonge, quelque chose qui redonne sens et espoir : la naissance d’une solidarité nouvelle. D’abord, dans la salle du tribunal où seules les familles ont été autorisées à assister à l’audience « publique », on se regarde de travers, ou pas du tout. Ce qu’on observe surtout, ce sont les magistrat.e.s devant, la rangée d’hommes en armes derrière, et puis le box des accusé.e.s. Parmi les proches, chacun.e se demande pourquoi son fils, pourquoi son frère, pourquoi son conjoint se retrouve bloqué.e derrière la vitre de ce box avec ces trois autres-là.

Chacun.e se dit que, quoi qu’aient fait les autres, le sien, la sienne est innocent.e ; le sien, la sienne est là par erreur ; le sien, la sienne va sortir dans quelques heures ; le sien, la sienne sera là pour Noël. Chacun.e espère en tout cas. Et puis l’audience avance, et l’étau se resserre, autour de chacun.e et de tou.te.s. Dans l’angoisse qui monte, les proches se rapprochent sans bouger, et toujours sans se regarder. Et bam : pour les quatre, comparution repoussée au 26 décembre et maintien en détention provisoire jusque-là.

Et quand la vie bascule pour Dylan, Maria, Tom et Stéphane, c’est aussi la vie de leurs familles et de leurs proches qui bascule.

Un casier judiciaire vierge, un seul appel téléphonique

On croyait que la garde à vue c’était pour les délinquant.e.s ou les criminel.le.s mais c’est une fille, un frère, un gendre, une cousine, un neveu, une tante, un copain, une amoureuse qui se retrouve en cellule.
On croyait que les audiences publiques étaient publiques, après tout c’est la loi qui le dit, mais on découvre que l’entrée dans la salle est restreinte selon le bon vouloir du juge.
On croyait que l’on pourrait visiter notre proche en prison, mais on découvre les rouages grinçants d’une administration pénitentiaire à laquelle on n’avait jamais imaginé être confronté.e.
On croyait que les inculpé.e.s seraient relâché.e.s dans l’attente du procès grâce à leur casier judiciaire vierge et pour avoir présenté toutes les garanties de représentation demandées.

Mais ce lundi 10 décembre, on découvre qu’aucun.e ne ressortira dans quelques heures. Tout.e.s seront jugé.e.s ensemble. Et tout.e.s connaîtront la prison.
Aucun.e ne sera embrassé.e.

Les menottes, la cellule, l’absence, l’inquiétude, le silence carcéral, l’attente du procès, l’impuissance : c’est la réalité, maintenant, pour les quatre, et pour les quatre familles.
Les quatre ne se connaissent toujours pas, mais leurs proches, maintenant, si. Quatre cercles se recoupent.

« Cette lutte commencée de toutes les couleurs devient cause universelle, pour une vie meilleure »

On croyait qu’on les aurait au moins au téléphone depuis la maison d’arrêt mais il faut d’abord leur faire parvenir de l’argent, et le coup de fil tarde, trois jours, cinq jours, sept jours, toujours rien...

Alors viennent la colère et l’incompréhension, et l’impuissance, et l’écœurement.
Alors chaque père, chaque mère, chaque ami, chaque sœur comprend qu’on est tou.te.s dans le même bain, et comprend mieux de quel côté seront les soutiens, la compréhension, la bonne volonté et le besoin de justice.
Alors les quatre cercles qui se recoupent se fondent ensemble. Tout prend sens, encore plus. Cette lutte commencée de toutes les couleurs devient cause universelle, une lutte simple et partagée, au-delà des couleurs, pour une vie meilleure.

En rassemblant Dylan, Maria, Tom et Stéphane dans un box d’accusé.e.s, en faisant de ces quatre personnes étrangères les unes aux autres un groupe à condamner en bloc, en poursuivant sans distinction, l’institution judiciaire a rassemblé quatre familles qui voient maintenant ce qu’elles ont en commun et où elles se rejoignent. »

 Une caisse commune pour les quatre inculpés incarcérés le même jour est en ligne ici. Une caisse spécifique pour aider Stéphane Trouille a également été mise en place :https://www.lepotcommun.fr/pot/9gtvmf7o
 Voir l’appel du comité de soutien de Stéphane Trouille, vidéaste, et sa page de soutien
 Pour contacter le comité de soutien : soutien.stephane.trouille(a)protonmail.com