Précarités

Quatre millions de Français souffrent de solitude

Précarités

par Agnès Rousseaux

Alors que l’on vante les succès des réseaux sociaux numériques, quatre millions de personnes vivent en quasi isolement, révèle une enquête peu réjouissante de la Fondation de France. Cette absence de relations familiales ou amicales, de réseaux professionnels ou associatifs touche tous les âges. Elle est en partie liée à la précarisation des conditions de travail et au faible niveau de revenus. Pire : près d’un Français sur quatre se sent en situation de « précarité relationnelle ».

© Solitudes Urbaines par Jean Marc Gargantiel

Quatre millions de personnes vivent en « situation d’isolement objectif » en France. C’est ce que révèle une étude sur « les solitudes », publiée par la Fondation de France le 1er juillet [1]. « Isolement objectif », cela signifie ne pas avoir de relations familiales (même pas de conversations téléphoniques avec sa belle-mère), ne pas boire l’apéro avec ses collègues à la sortie du boulot, encore moins aller au cinéma avec des amis, ne pas entretenir de rapports conviviaux avec ses voisins, ni de relations dans le cadre d’activités associatives ou militantes. Près d’un Français sur dix vivent dans cette situation. Ils déclarent ne pas avoir de relations – familiales, professionnelles, amicales... – plus de deux ou trois fois par an, quand ce n’est pas jamais. Une triste réalité masquée par le succès des réseaux sociaux virtuels, tel Facebook.

Pour 80% d’entre eux, cette situation dure depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Selon l’étude, « plus de 2.000.000 de personnes sont aujourd’hui en situation de souffrance du fait de l’isolement dans lequel elles se trouvent ». Une souffrance qui se traduit dans les propos exprimés « par un sentiment de profonde inutilité, de péjoration de soi, de culpabilité, de détresse et de tentation suicidaire ».

À la merci d’un divorce ou d’un licenciement

Comment en sont-elles arrivées à s’isoler radicalement ? Les personnes économiquement précaires sont les premières touchées. Avoir un revenu inférieur à 1.000 euros par mois multiplie le risque d’isolement par quatre par rapport à des personnes aux revenus supérieurs à 4.500 euros. Selon l’enquête, les personnes précaires travaillant à temps partiel ont trois fois plus de chances d’être privées de tout réseau social (27% contre 9% en moyenne).

Ce processus de « désinsertion » menace désormais une autre frange de la population « fragilisée par son appartenance à un seul et unique réseau social parmi les quatre grands réseaux que sont la famille, les amis, la vie professionnelle et la vie associative ». Au point qu’aujourd’hui, 23% des Français se trouvent en situation de « précarité relationnelle » selon la Fondation de France. Ils sont fragilisés, à la merci d’un aléa. « Faire face aux accidents de la vie » leur est plus difficile. Un divorce, le départ des enfants du foyer, ou un licenciement, peuvent les faire basculer dans l’isolement total.

Un Français sur quatre se sent isolé

Ces processus de « désaffiliation » sont connus. Mais cette enquête vient en montrer toute l’ampleur et les situations de souffrance qui en découlent. L’isolement est communément associé à la vieillesse. Les plus de 75 ans sont en effet les plus touchés. Mais sur les 4 millions de personnes en situation d’isolement objectif, la moitié ont moins de 60 ans. Il s’agit bien d’une problématique concernant toute la société, et pas seulement d’une question générationnelle. L’étude révèle aussi que 56% des Français considèrent l’isolement comme un phénomène en aggravation (contre 2 % qui estiment qu’il est en diminution). Au-delà de la dimension objective du phénomène (nombre de réseaux sociaux effectifs), il est aussi inquiétant de noter qu’un quart de la population française se sent exposé à la solitude et à l’isolement.

Mobilité, vieillissement de la population, augmentation du nombre de divorces, aggravation de la pauvreté... Les évolutions contemporaines contribuent à faire de l’isolement une question sociale majeure. L’enquête cible également comme facteur aggravant l’affaiblissement de la fonction intégratrice du travail. L’intérim et le chômage, le durcissement des conditions de travail, la diminution des appartenances de métier ou les nouveaux modes de management ne facilitent pas l’émergence de relations stables et durables avec des collègues. Selon l’enquête, « une personne en emploi sur cinq n’est pas en capacité de construire des relations sociales dans le cadre de son travail ». Dans le cadre de leur activité professionnelle, ces personnes ne discutent jamais d’autre chose que du travail avec leurs collègues, leurs clients ou fournisseurs, et ne rencontrent jamais les gens avec qui ils bossent en dehors du travail. Cette situation concerne plus d’un tiers des travailleurs les plus pauvres [2].

Agnès Rousseaux

P.-S.

Télécharger les résultats de l’enquête de la Fondation de France

Notes

[1étude réalisée par l’institut d’études TMO, par téléphone auprès de 4.006 Français âgés de 18 ans et plus, entre le 5 et le 22 janvier 2010

[236% des personnes ayant un travail leur rapportant moins de 1.000 euros par mois ne construisent pas de relations sociales dans leur travail