Alternatives

Reconversion industrielle et écologique : que fabriquent Arnaud Montebourg et Benoît Hamon ?

Alternatives

par Sophie Chapelle

Gandrange, Fralib, Alizay, Petroplus... Ils sont de plus en plus nombreux, ces salariés et syndicalistes, à porter des alternatives aux fermetures d’usines. Grande nouveauté : elles consistent non seulement à sauver des emplois, mais répondent à des préoccupations écologiques. Que font Arnaud Montebourg, ministre du « redressement productif » et Benoît Hamon, à l’Économie sociale et solidaire, pour les soutenir ? Alors que le Front de gauche critique l’absence de vision du gouvernement, Basta! dresse le bilan.

15 000 emplois préservés, 4 850 perdus. Tel serait le bilan du « redressement productif » annoncé par le ministre Arnaud Montebourg le 7 octobre. Une façon de répondre aux critiques qualifiant son ministère d’ « improductif ». Depuis l’élection de François Hollande, 119 dossiers d’entreprises en difficulté auraient donc été « traités ». Parmi ces dossiers, quel effort a été accordé aux entreprises misant sur la participation des salariés et l’écologie pour préserver l’industrie ?

Six mois après avoir rencontré les métallos lorrains de Florange et Gandrange, les ouvriers provençaux de Fralib, les salariés normands de Petroplus et d’Alizay [1], que sont devenus leurs projets de reprise alternatifs ? Traînent-ils dans un tiroir poussiéreux d’un haut-fonctionnaire ou figurent-ils en haut de la pile sur le bureau du ministre ?

Gandrange, 350 emplois : réveil tardif du ministère

Le dossier de l’aciérie de Gandrange, en Moselle (350 emplois), semble dormir dans un placard. Sur place, nulle trace du passage de Montebourg dans l’usine, où deux ouvriers sous-traitants ont été tués, début septembre, par l’effondrement d’un toit. Contacté le 2 octobre, le délégué CGT Jacky Mascelli tient toujours à disposition du gouvernement un projet porté par des sidérurgistes. Il prévoit de couler sur place l’acier issu de métaux récupérés dans la région, tout en étant approvisionné par une aciérie électrique. Bien que séduisant, le projet n’a pas, pour l’instant, suscité l’intérêt du nouveau gouvernement. ArcelorMittal, propriétaire du site, continue de démanteler ses installations.

Une rencontre avait bien eu lieu avec le candidat François Hollande, le 17 janvier dernier. « Nous lui avions présenté notre projet, et il avait eu cette phrase intéressante qu’il fallait penser maintenant aux investissements de demain dans l’industrie et la sidérurgie. Le problème c’est qu’une fois les élections passées, c’est le silence complet », regrette Jacky Mascelli. A force d’interpellations, la CGT d’ArcelorMittal Gandrange a fini par obtenir une entrevue à Bercy, prévue le 16 octobre, avec un conseiller technique de Montebourg. Le ministère semble se réveiller (télécharger le courrier). « Les pouvoirs publics commencent à bouger », positive le syndicat CGT. Six mois plus tard, il était temps.

Florange, 2 500 salariés : pas d’avenir pour la métallurgie ?

Le 16 octobre, c’est une réunion beaucoup moins réjouissante qui attend les métallos de Florange (Moselle). Après avoir annoncé la fermeture définitive des hauts-fourneaux, le groupe ArcelorMittal souhaite négocier un « Plan de sauvegarde de l’emploi ». En clair, le n°1 de la métallurgie prépare le terrain pour des licenciements. L’affaire semble pliée, d’autant plus que la direction du site se laisse jusqu’à fin novembre pour trouver un repreneur. Les syndicats de l’usine ont exprimé leur refus de discuter d’un plan social tant que l’espoir de trouver une alternative n’était pas abandonné.

Un projet de captage et de stockage de CO2 [2], baptisé Ulcos, devait être mis en œuvre sur les hauts-fourneaux de Florange. A condition que Bruxelles donne son aval pour un financement à hauteur de 250 millions d’euros, sur un investissement total de l’ordre de 650 millions. En lice pour un appel d’offres européen, Arcelor a décidé de se désengager en juillet alors même que la Commission européenne devait donner le nom des projets retenus en novembre. « Ulcos ? Mittal s’en fout. Il n’attend même pas la décision de Bruxelles à ce sujet », s’emporte Edouard Martin de la CFDT dans les colonnes du Républicain Lorrain.

Les cas de Florange et de Gandrange illustrent l’absence de vision à long terme du gouvernement. « Aucun lien n’est fait entre la crise de l’industrie automobile qui a besoin d’acier, et la stratégie de conserver les hauts-fourneaux », déplore de son côté Corinne Morel-Darleux, secrétaire nationale en charge de l’écologie au Parti de Gauche (PG). « Ce n’est justement pas le moment de fermer les unités de production. On sait que l’on peut reconvertir une partie de la chaîne de production vers les transports collectifs ». Pour le PG, le tournant écologique passe par la reconversion de ces moyens de production en s’appuyant sur les savoir-faire des salariés. Alors qu’une pénurie de métaux s’annonce dans les prochaines décennies (lire notre enquête : quand le monde manquera de métaux), disposer d’usines capables de recycler acier, nickel ou zinc ne sera pas un luxe.

Petroplus, 470 salariés : « Marre de se faire trimballer »

A la raffinerie de Petroplus (Seine-Maritime), Yvon Scornet, de la CGT, est convaincu que son activité peut devenir beaucoup moins polluante. « Nous avons la possibilité d’améliorer l’efficacité énergétique de notre système de production et de réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre avec la cogénération », plaide le délégué syndical. Problème : le prix à payer pour du pétrole raffiné dans ces conditions.

« On nous demande de mettre au point des méthodes pour émettre moins de CO2, de NOx (gaz à effet de serre issu de la combustion d’hydrocarbures, ndlr), mais ces normes environnementales et de sécurité ont un coût. » Au moins deux dollars par baril d’après son syndicat. Résultat : « On vit avec zéro marge. » Importer du pétrole issu de raffineries polluantes, notamment dans le Golfe, demeurera moins onéreux... Ce qui accélère leur délocalisation, comme pour Total à Dunkerque. Le syndicaliste demande donc une harmonisation des normes qui, pour le moment, ne concernent que les Européens.

Mais la préoccupation immédiate d’Yvon Scornet, c’est la reprise du site de Petroplus. Deux offres déposées le 24 août prévoient le maintien des 550 emplois que compte la raffinerie. Mais les dossiers présentés par les deux candidats, Alafandi Petroleum Group (APG), basé à Hong Kong, et NetOil, dont le siège est à Dubaï, ne semblent pas suffisamment solides au Tribunal de commerce de Rouen qui ne cesse de réclamer des compléments d’information.

Une nouvelle audience est prévue le 16 octobre. « Marre que l’on soit en train de nous trimballer avant de nous tuer. L’administration nous bloque, et à ce rythme-là, nos repreneurs vont s’en aller ailleurs », s’agace le cégétiste. L’urgence est donc à la reprise. La façon dont celle-ci sera menée, écologiquement ou non, ne viendra que dans un second temps, éventuellement.

Alizay, 330 salariés : sauvés par les énergies renouvelables ?

A trente kilomètres de là, l’interdyndicale CGT-CFE-CGC de la papeterie d’Alizay (Eure) continue de plancher sur le sauvetage de leur outil de production, lâché par le propriétaire, le groupe finlandais M-Real. C’est ici que le candidat François Hollande avait promis, le 15 février, un dispositif législatif pour répondre au scandale des fermetures de sites industriels rentables qui disposent de repreneurs potentiels. Alors que le texte n’est toujours pas voté, les salariés d’Alizay sont prêts à tout pour sauver leur usine.

Si le cœur de l’activité reste le papier, ils misent sur une filière locale de papier recyclé et la production d’électricité verte à base de déchets de bois inutilisés. « Le projet avance bien, confirme par téléphone le délégué CGT Jean-Yves Lemahieu à Basta!. Nous avons deux repreneurs possibles et nous espérons que les négociations vont aboutir. L’État pousse à fond pour le projet d’électricité verte ». Il sera difficile d’en savoir plus, l’intersyndicale s’étant engagée à ne pas communiquer sur le sujet.

Des ouvriers plus visionnaires que l’État ?

Salariés de la raffinerie de Petroplus et de la papèterie Alizay discutent aussi d’un projet commun : utiliser la ouate de cellulose produite par les ateliers à Alizay pour fabriquer des agrocarburants à Petit-Couronne chez Petroplus. Dans l’indifférence du gouvernement... Jean-Yves Lemahieu regrette que le ministre Arnbaud Montebourg n’ait pas profité de son déplacement à Petroplus pour visiter la papeterie. « C’est vrai qu’il a plein de choses à traiter, on ne peut pas lui en vouloir. Mais nous avons mis la solution sur la table et elle est en voie d’aboutir, sans qu’il n’ait pas pris la peine de nous rencontrer. Nous n’avons pas l’impression d’être dans les priorités du gouvernement ».

Deux conseillers d’Arnaud Montebourg seraient cependant sur le dossier d’après Mediapart. Et si rien n’est encore signé pour le moment, un redémarrage de l’activité est espéré pour début 2013. Du côté du Front de gauche, la critique est acerbe : « On se rend compte, via ces exemples d’entreprises que les salariés ont très bien saisi les enjeux écologiques, mieux que Montebourg ou Hollande », juge Corinne Morel-Darleux.

Fralib, 163 salariés : mobilisés pour une coopérative

Arnaud Montebourg a en revanche explicitement placé le dossier Fralib « en haut de la pile », à l’occasion d’une table ronde le 3 octobre. Mais le dossier traîne en longueur. L’annonce de la fermeture de l’usine remonte à septembre 2010. Or la multinationale Unilever, propriétaire de l’usine de Gémenos (Bouches-du-Rhône) qui produit les thés Lipton et les infusions Éléphant, se montre inflexible depuis deux ans. Paul Polman, le directeur général du groupe, a fait savoir le 20 août qu’il refusait de céder la marque Éléphant et de faire travailler en sous-traitance la coopérative que les salariés souhaitent créer.

La cession de la marque Éléphant est pourtant incontournable pour rendre viable la reprise en Société coopérative et participative (Scop) et du projet industriel alternatif, local et écologique porté par les salariés (lire notre reportage). « Unilever se moque du monde ! Après deux ans de lutte, il faut que l’État prenne ses responsabilités, interpelle le délégué CGT Gérard Cazorla. Qu’il leur fasse assumer leurs responsabilités, qu’il leur impose de discuter sérieusement avec les services de l’État, avec les collectivités territoriales, et avec nous ». Semi-victoire tout de même pour les « fralibiens » : la communauté urbaine de Marseille a finalisé début septembre l’acquisition des terrains et des bâtiments de l’usine. En contrepartie de la transaction d’une valeur de 5,3 millions d’euros, Unilever a accepté de laisser ses machines pour un euro symbolique.

Reconversion industrielle : un dossier crucial pour la gauche

Malgré quelques avancées, sur tous ces dossiers, le gouvernement semble à la peine. L’enjeu est pourtant de taille : préserver l’emploi, assurer la transformation écologique, faire confiance aux salariés plutôt qu’à des grands groupes ou à des repreneurs en quête de rentabilité immédiate. Le gouvernement se donnera-t-il également la marge de manœuvre nécessaire pour ne pas s’enfermer dans une course-poursuite contre les plans de licenciements ?

Problème de taille : « Il est impossible de concilier une vraie révolution écologique et des politiques d’austérité telles qu’elles sont fixées par Hollande », rétorque Corinne Morel-Darleux, pour le Front de gauche. « Le concept de planification écologique vise précisément à prévoir sur le long terme la reconversion industrielle, la relocalisation et la réindustrialisation sur des bases sociales et écologiques. Tout l’inverse des intérêts à court-terme des actionnaires qui nous ont menés dans le mur. »

Mais où est donc passé Benoît Hamon ?

Sur le cas Fralib, le tout nouveau ministère de l’Économie sociale et solidaire (ESS), qui devrait pourtant être en pointe, reste discret. « Nous n’avons pas le leadership sur ce dossier, confie un membre du cabinet du ministre Benoît Hamon, chef de file de la gauche du PS. Nous intervenons en tant qu’experts sur la viabilité du projet en coopérative, mais pour la problématique industrielle, il faut voir avec le cabinet de Montebourg. »

Pour le moment, le ministère travaille à la création d’un nouveau statut intermédiaire de type société coopérative. Le projet prévoit, sur une période transitoire, que les salariés soient majoritaires en votes mais minoritaires en capital [3] . « Selon les chiffres de l’Insee, entre 40 000 et 200 000 emplois sont perdus chaque année faute de repreneurs, explique t-on. L’enjeu est de favoriser le nombre de reprises souvent freinées par un problème de financement ». Sur ce sujet, le Front de Gauche est partisan d’un secteur bancaire public favorisant les reprises sous forme de coopératives.

Un dispositif permettant aux salariés d’être immédiatement informés que l’entreprise est en vente est aussi à l’étude. « La façon dont la Scop réinvestit ses excédents dans l’outil de production plutôt que dans la rémunération des actionnaires contribue à solidifier la structure face à la crise », analyse le Ministère. Le projet de loi sur l’économie sociale et solidaire devrait être présenté à l’Assemblée nationale en avril 2013.

Reste la dimension écologique du redressement productif : à l’occasion de son discours en juillet pour la Conférence nationale de l’industrie, Arnaud Montebourg a présenté sa vision d’un redressement productif empreinte de « compétitivité », de « croissance » et de « patriotisme économique » sur une période de cinq ans... Sans citer une seule fois le mot « écologie ».

Sophie Chapelle

@Sophie_Chapelle sur twitter

 Photo de une : © Julien Brygo
 Photo d’un ouvrier métallurgiste : © Laurent Guizard
 Photo d’une salariée de Fralib : © Jean-Paul Duarte / Collectif à vif(s)