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Salaire minimum, retraites, nationalisation des banques : qu’en pensent les socialistes européens ?

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par Emmanuel Haddad, Rachel Knaebel

Existe-t-il un programme commun des socialistes européens face à la crise et à la suprématie des marchés financiers ? Les sociaux-démocrates allemands ou les socialistes espagnols partagent-ils certaines propositions retenues (pour l’instant) par le PS français, comme le salaire minimum européen, un protectionnisme ciblé ou le retour d’un secteur bancaire public ? Réponses avec Axel Schäfer, responsable du SPD, et Enrique Guerrero, ancien directeur-adjoint du cabinet de José Luis Zapatero.

Face aux marchés financiers qui déstabilisent l’Europe, une réponse politique ne sera efficace que si elle est coordonnée. Côté français, on sait que le Parti socialiste (PS) a resserré les liens avec son homologue, le parti social-démocrate allemand. « Nous n’avons jamais autant travaillé avec le SPD pour préparer une échéance présidentielle », expliquait à Basta! le porte-parole du PS, Benoît Hamon, avant les primaires. Mais les autres partenaires européens du PS partagent-ils vraiment ses options (actuelles) sur plusieurs sujets cruciaux, comme un salaire minimum européen, l’âge de départ à la retraite, une taxe sur les transactions financières ou la « socialisation » des banques ? Un programme commun des socialistes européens est-il vraiment en train d’être élaboré, alors qu’ils peuvent revenir au pouvoir en France, en Allemagne et en Italie, mais risquent de perdre l’Espagne ? Réponses avec Axel Schäfer, vice-président du groupe SPD au Bundestag, chargé des questions européennes, et Enrique Guerrero Salom, eurodéputé socialiste espagnol (PSOE), directeur-adjoint du cabinet de José Luis Zapatero entre 2004 et 2008.

Basta!  :Le parti socialiste français propose un salaire minimum européen. Comment faire pour trouver un point d’accord entre le salaire minimum luxembourgeois (1610 € ), français (1073 € net) et bulgare (112 €) ?

Enrique Guerrero (PSOE) : En Espagne, le salaire minimum interprofessionnel a augmenté de 25 % sous le gouvernement socialiste. Mais c’était avant la crise. Ailleurs, l’Italie est en crise depuis une décennie alors que la Pologne est en pleine phase de développement. C’est pourquoi le Parti socialiste espagnol est partisan d’un salaire minimum, mais à condition d’établir des critères flexibles et évolutifs. Il est indispensable d’établir un seuil minimal identique à tous les pays, pour soutenir les familles les plus en difficulté. Ensuite, il faudrait établir des critères objectifs, basés sur le coût de la vie et la productivité, et calculer le salaire minimum de chaque pays en fonction de l’évolution de ces critères.

Axel Schäfer (SPD) : Pour la social-démocratie, instaurer un salaire minium légal au niveau européen est essentiel. Mais son montant sera ensuite fixé en fonction de la force économique des pays, de leur productivité respective. Un salaire minimum luxembourgeois sera toujours bien supérieur à celui des Allemands (il n’existe pas, aujourd’hui, de salaire minium interprofessionnel en Allemagne, ndlr).

L’âge de la retraite devrait-il être harmonisé ?

Enrique Guerrero : Sur ce point, il y a une différence fondamentale entre le Parti socialiste français et le PSOE. Le gouvernement socialiste espagnol a voté l’augmentation de l’âge de départ à la retraite de 65 à 67 ans, du fait du vieillissement de la population espagnole dans les décennies à venir. La proposition de revenir à l’âge de départ de 60 ans du Parti socialiste français m’a surpris. Je pense qu’ils la reformuleront avec le temps. C’est le nombre d’années de cotisations qu’il faudrait harmoniser. Si l’âge de départ est de 60 ans et que l’on exige 40 ans de cotisations, c’est bien plus efficace qu’un système où l’on quitte le monde du travail à 67 ans en ayant cotisé 25 ans (en France, la durée de cotisation pour une retraite à taux plein est de 41,5 ans, elle est de 35 ans en Espagne et en Allemagne, ndlr).

Axel Schäfer : Mon but est d’arriver aux « États-Unis d’Europe ». Et cela concernera un jour ou l’autre la question des retraites. Pour les sociaux-démocrates, il est important d’éviter une égalisation par le bas. Le processus vers une harmonisation des systèmes de retraite doit prendre en compte les particularités des États membres et renforcer leurs systèmes sociaux. Et surtout ne pas revenir en arrière au prétexte de l’intégration européenne ! Il existe deux instruments pour cela : la « clause de progrès social » et « le pacte de stabilité sociale ». La première signifie que toutes les lois et tous les règlements européens adoptés doivent être examinés en fonction de leurs effets sur la situation du travail, de la santé et leurs conséquences sur la cohésion et la justice sociales. Ensuite, un « pacte de stabilité sociale » signifie que tous les pays de l’UE s’entendent sur des standards sociaux précis. Des négociations sur les budgets éducatifs et les dépenses sociales sont également importantes. Il faut des quotas précis, établis selon le revenu national par habitant. Mais la mise en œuvre de ces principes dépend de la Commission. Or, la majorité de ses membres appartient au camp conservateur et libéral. C’est le cas aussi parmi les chefs d’État et de gouvernement de l’UE. Le futur de l’Europe dépendra donc des majorités politiques.

Le Parti socialiste français se positionne aussi en faveur d’une harmonisation de l’impôt sur les sociétés. Qu’en pensez-vous ?

Axel Schäfer : Nous souhaitons harmoniser les taux minimaux d’impôt sur les sociétés, dans toute l’Europe. Mais comme il n’y a pas beaucoup de sociaux-démocrates, ce n’est pas facile à imposer. Il faudrait aussi adopter une assiette commune pour le calcul de l’impôt. Ces deux points permettraient de freiner le dumping social, d’éviter que les entreprises ne s’installent là où il y a moins d’impôts, donc moins de rentrées d’argent public et moins de justice sociale.

Enrique Guerrero : Il faut harmoniser l’impôt sur les sociétés. Mais ne pas se concentrer seulement sur le pourcentage de l’impôt, mais aussi sur sa mise en œuvre réelle. Il y a des pays où l’impôt sur les sociétés s’élève à 35 %, mais où toute une série d’exonérations fiscales rend la taxe appliquée bien inférieure au pourcentage annoncé. Il faut donc aussi harmoniser les politiques d’exonérations fiscales.

Que pensez-vous de la proposition du PS d’introduire des tarifs douaniers modulables, plus élevés pour des produits venant de pays qui ne respectent pas les normes sociales et environnementales de l’UE ? 

Enrique Guerrero : En règle générale, le protectionnisme n’est pas recommandable, encore moins entre les pays au sein de l’UE. Mais il faut trouver le moyen d’imposer les normes internationales aux pays qui les piétinent. Soyons réalistes, la Chine et l’Inde ne vont pas adopter demain des lois de protection de l’environnement et des salariés du niveau de celles en vigueur au sein de l’UE. Il serait plus efficace de porter ce problème devant l’OMC (Organisation mondiale du commerce) et l’OIT (Organisation internationale du travail) plutôt que d’agir unilatéralement. Il serait improductif que l’UE impose des droits de douane aux produits chinois, mais pas les États-Unis ou l’Amérique latine. D’ailleurs, Pascal Lamy, le président de l’OMC, est un socialiste français !

Axel Schäfer : C’est une demande ancienne et juste. Nous avons besoin de tels standards. C’est un point important, mais nous ne l’avons pas encore discuté en profondeur au sein du SPD.

La crise de la dette est-elle l’occasion de créer un secteur bancaire public ?

Axel Schäfer : Nous devons traiter la question du système bancaire dans sa globalité. Il est inacceptable qu’un système financier soit devenu hors contrôle et que les citoyens qui élisent leurs représentants ne puissent plus établir les règles de l’action économique. Nous devons réfléchir au système bancaire européen dans son ensemble, quitte à franchir certaines frontières que nous nous sommes imposées.

Ces frontières à dépasser vont-elles jusqu’à la possibilité de nationaliser les banques ?

Enrique Guerrero : Cela pourrait être une option ultime pour les banques qui ne peuvent pas acquérir de capital ou dont la fragilité est trop importante. Nous ne sommes pas partisans de nationaliser. Mais si le système bancaire est sauvé grâce aux ressources publiques, il est logique que l’État prenne sa part de la propriété de la banque. On a déjà eu affaire à des nationalisations qui ne disent pas leur nom au cours de cette crise. C’est le cas d’Halifax en Écosse, de Dexia, et en Espagne, de certaines caisses d’épargne comme la Caisse de Castille-La-Manche ou la Caisse d’épargne de la Méditerranée, qui ont reçu chacune plus d’un milliard d’euros de la Banque d’Espagne, non pas dans l’objectif d’en devenir propriétaire, mais pour qu’elles puissent être rachetées par d’autres établissements.

Axel Schäfer : Nous avons expérimenté la nationalisation en Allemagne, avec la banque HRE (Hypo Real Estate, nationalisée en 2009). Ce n’est pas la solution rêvée, mais on ne peut pas l’exclure. L’État ne peut pas tout régler, mais il doit bien être en mesure de nationaliser des banques si besoin, et les remettre ensuite sur le marché des capitaux pour générer des rentrées d’argent. Mais ça ne doit pas être automatique. Nous préférons des contrôles publics plus forts et des règles plus strictes plutôt qu’une nationalisation globale. Cela doit rester un instrument lorsqu’on ne peut pas faire autrement. En Allemagne, notre Constitution le prévoit d’ailleurs, ce n’est pas une chose extraordinaire.

Faut-il créer une agence de notation publique européenne, pour proposer une alternative aux agences privées, alors que Moody’s vient d’emboîter le pas à Fitch et à Standard & Poor’s dans la dégradation de la note de l’Espagne ?

Enrique Guerrero : Le Parti socialiste espagnol considère qu’il existe un oligopole des agences de notation et qu’elles ont des intérêts propres. La crise a été déclenchée parce que ces agences estimaient comme fiables des actifs pourris aux États-Unis. Elles ne sont donc ni infaillibles ni neutres. Elles sont insensibles aux situations politiques et sociales locales. Il est donc nécessaire qu’une institution de la taille de l’Union européenne puisse créer une agence, sous le contrôle du Parlement européen et du Conseil des ministres, mais avec son autonomie d’action. Car il ne faudrait pas mettre cette agence au service des pays dominants de l’UE. On ne gagnerait rien à passer des intérêts privés des agences actuelles aux interférences politiques des États.

Axel Schäfer : Les États doivent se libérer du diktat des agences de notation. Les arbitres ne peuvent pas être en même temps des joueurs. On doit mettre fin au mélange des intérêts des banques d’investissement, des agences de notation et des hedge funds. Il est impératif de mettre en place une surveillance effective des agences de notation privées. On doit avant tout réguler de manière drastique leurs évaluations de la solvabilité des États. Et nous avons évidemment besoin, comme contrepoids aux agences de notation anglo-saxonnes qui décident de l’avenir des Etats, d’une agence européenne de notation. Mais il faut encore décider de la forme d’une telle institution et des détails de son fonctionnement.

Le Parti socialiste français s’engage à instaurer une taxe sur les transactions financières de 0,05 % dans son programme électoral. Partagez-vous cette option ?

Axel Schäfer : Pour la première fois, le PS et le SPD ont déposé en même temps, en juin, une proposition identique de résolution devant leurs parlements nationaux respectifs en faveur de la création d’une taxe européenne sur les transactions financières. Que deux partis de deux pays européens différents proposent un texte identique, discuté simultanément, c’est historique !

Enrique Guerrero  : Le rapport Guerrero Salom, que j’ai rédigé et qui a été approuvé en mars 2010 par le Parlement européen, évoquait pour la première fois la nécessité de la création de cette taxe dans l’enceinte parlementaire. Les conservateurs (dont l’UMP, ndlr) étaient contre à l’époque. La Commission propose aujourd’hui d’instaurer cette taxe, quoi que fassent les autres régions du monde. Cette taxe permettra d’abord d’accroître les ressources propres à l’UE, dont le budget est aujourd’hui très faible (1,13 % du PIB de l’UE en 2011, ndlr). Cela facilitera ses interventions dans la vie économique et sociale : investir dans la recherche et le développement, accroître et améliorer les réseaux de transport, développer les énergies renouvelables. L’autre partie des fonds récoltés serait utilisée pour la politique d’aide au développement et de coopération. Par contre, la taxe ne doit pas servir à rembourser les dettes publiques des pays européens.

La Banque centrale européenne (BCE) doit-elle pouvoir financer directement la dette des États ?

Axel Schäfer : Elle l’a fait dernièrement. C’est une décision propre de la BCE. Mais cela ne devrait pas devenir sa tâche principale. Sinon, elle va se trouver dans une situation critique.

Est-ce que la gauche sociale-démocrate européenne est prête à adopter un programme commun ?

Axel Schäfer : Ce sera un point décisif pour les élections européennes de 2014. Nous avons prévu de réaliser pour la première fois un programme pour l’ensemble des candidats du Parti socialiste européen. Il ne s’agira pas simplement d’un appel selon lequel nous sommes pour une Europe social-démocrate, mais vraiment de demandes concrètes. Nous y travaillons. C’est un grand défi, mais une grande nécessité.

Propos recueillis par Emmanuel Haddad (à Barcelone) et Rachel Knaebel (à Berlin)