Sécheresse

Irrigation : « Il suffit de deux ou trois années sèches pour ne plus pouvoir remplir les retenues d’eau »

Sécheresse

par Campagnes solidaires

Le secteur agricole est très impacté par les sécheresses, qui vont se multiplier avec le réchauffement climatique. Pour Florence Habets, directrice de recherche en hydrométéorologie, il va falloir revoir nos priorités de consommation.

Comment sont constituées les principales réserves d’eau pour assurer l’irrigation des cultures ?

Florence Habets est directrice de recherche au CNRS en hydrométéorologie, professeure attachée à l'Ecole normale supérieure et membre de l'Office français de la biodiversité.
Florence Habets
Florence Habets est directrice de recherche au CNRS en hydrométéorologie, professeure attachée à l’Ecole normale supérieure et membre de l’Office français de la biodiversité.
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Florence Habets : Les retenues sur cours d’eau sont dominantes. Les retenues collinaires – il faudrait plutôt parler de « retenues au niveau de la source » car elles captent tous les écoulement du début du bassin versant – sont aussi très fréquentes. De manière générale, l’irrigation en France s’est d’abord développée dans des endroits où il y a de l’eau, notamment en région Paca qui bénéficie des Alpes et des apports du Rhône et de la Durance, et dans le Sud-Ouest avec les Pyrénées. La Beauce bénéficie de nappes importantes. À l’inverse, le Poitou - Marais poitevin sont des régions où il y a assez peu d’eau et où il ne faudrait peut-être pas irriguer tant que ça [le Marais poitevin est concerné par des projets très controversés de méga-bassines, pour stocker l’eau, ndlr]...

Campagnes solidaires
Cet article a initialement été publié dans le mensuel Campagnes Solidaires. Quelques formulations ont légèrement été modifiées pour Basta!.

Sait-on mesurer l’impact global des retenues d’eau en irrigation ?

Le développement des retenues s’est fait dans les années 1970-1980 avec des conséquences observées sur les débits. C’est très impactant en automne et en hiver : les premières crues sont complètement captées par ces retenues. C’est dommageable, car après la période estivale sèche il y a besoin d’eau, notamment pour nettoyer le lit de la rivière et pour les poissons. De nos jours, il y a obligation d’un « débit réservé » mais c’est seulement 10 % du volume de la rivière selon la loi... [Le débit réservé est le débit minimal obligatoire d’eau que les propriétaires ou gestionnaires d’un ouvrage hydraulique doivent réserver au cours d’eau et au fonctionnement minimal des écosystèmes ainsi qu’à tous les usages de l’eau, ndlr] Le stockage d’eau a fait preuve d’efficacité en irrigation mais il a des impacts sur l’environnement. Diminution et perturbation des écoulements, pertes liées à l’évaporation, modifications de la qualité de l’eau – augmentation de la température en surface, manque d’oxygène en profondeur (anoxie), avec des développements de bactéries, d’algues...

Comment ce modèle des retenues a-t-il évolué ?

On est passé de retenues qui étaient de vrais barrages à la rivière, à des retenues de plus en plus en dérivation – c’est-à-dire qui puissent être déconnectées du réseau de la rivière et ne plus gêner la circulation au moins des poissons et avec moins d’impact sur les débits, au moins durant l’été. Maintenant on passe à des retenues remplies par pompage, les fameuses bassines.

Que redoutez-vous par rapport à ce pompage dans les nappes ?

Prélever de l’eau en hiver dans les nappes pour la stocker en surface n’est pas optimal ! Comme on sait très mal anticiper les flux d’eau qu’il y aura en hiver, c’est faire un pari sur le potentiel de recharge de la nappe. Pour chaque bassine autorisée, un niveau pluviométrique minimum en hiver en dessous duquel il est interdit de prélever a été défini. Mais ce niveau est très bas ! Il n’est pas certain que les modélisations faites en climat actuel puissent anticiper l’impact dans un climat qui évolue très vite.

Des agriculteurs voient dans ces retenues une sécurité. En quoi est-ce illusoire ?

Si le climat était stable, ces retenues pourraient apporter une forme de sécurité. Mais il suffit d’avoir deux ou trois années sèches, en particulier en hiver, et il ne sera plus possible de pomper pour remplir ces retenues. On aura investi beaucoup d’argent, impacté beaucoup l’environnement pour un résultat au final très médiocre. Un exemple est probant dans le Sud-Ouest américain où, cette année, même les énormes barrages étaient vides. Ils ont même dû arrêter l’hydroélectricité ! Il n’y aura pas de sécurité, même avec ces barrages demain, car le climat va nous faire vivre des événements inconnus auparavant.

Il est très difficile d’anticiper les déséquilibres marqués, de connaître les points de bascule. L’assèchement complet de la mer d’Aral n’a jamais été voulu par ceux qui ont développé l’irrigation en prélevant sur les fleuves alimentant cette mer. Et pourtant, ça s’est produit. Quand vous commencez à prélever, plein de rétroactions se mettent en place. La Confédération paysanne se projette davantage : je trouve intéressante l’idée que sécuriser l’eau pour des usages peut réduire la capacité ou la volonté de s’adapter à un climat changeant. Il y a un équilibre à trouver.

Existe-t-il des méthodes d’irrigation moins pénalisantes pour le milieu naturel ?

Pour faire des économies d’eau, il est préconisé de faire de la micro irrigation. Mais les retours que l’on a à ce sujet sont plutôt des alertes : ce n’est pas parce qu’on va moins consommer d’eau à l’hectare qu’on va libérer de la ressource – soit parce que les agriculteurs mettent des cultures plus rentables pour eux mais qui consomment davantage d’eau, soit parce qu’ils se mettent à cultiver plus de terres. Il y a aussi un risque de dégradation de la qualité des sols lié à la salinisation. Il y a a priori moins de problème de salinisation avec l’irrigation gravitaire [techniques d’arrosage dans lesquelles la distribution de l’eau se fait par simple écoulement à la surface du sol, ndlr]

Face aux sécheresses, comment mieux gérer la ressource en eau ?

Il faudrait rechercher des pratiques agricoles qui soient au moins compatibles avec la ressource en eau produite localement (c’est-à-dire la part des pluies qui alimentent les rivières et les nappes). Si on n’est pas cohérent avec le milieu, on court à la catastrophe. Dans le Poitou - Marais poitevin, les irrigants utilisent déjà plus d’eau que ce qui est produit en local dans l’année : la quantité d’eau disponible pour l’écoulement est de 150 mm/m2 quand les doses d’irrigation sont de l’ordre de 150 à 200 mm d’eau/m2. Ils sont ainsi déjà dépendants d’une solidarité amont/aval pour tous les autres usages : eau potable, industrie... S’ils accentuent à l’avenir ce déséquilibre en irriguant encore plus alors que la ressource va diminuer, il y aura forcément des tensions.

Il faut aussi bien choisir son type de culture : qu’est-ce qu’on irrigue ? Est-ce que le besoin en eau est compatible avec la ressource du milieu ? Il nous faudrait tous globalement apprendre à consommer de façon plus compatible avec l’état de notre planète et ses ressources. Il y a un effort collectif à faire qui va bien au-delà des agriculteurs.

Propos recueillis par Campagnes solidaires