Ce 26 octobre, les mouvements opposés aux grands projets jugés inutiles et polluants, commémoreront la mort de Rémi Fraisse, 21 ans, tué il y a deux ans par une grenade offensive sur le chantier du barrage de Sivens, dans le Tarn. Parallèlement, ces mêmes mouvements se préparent à une éventuelle évacuation de la « zone à défendre » de Notre-Dame-des-Landes, en Loire-Atlantique, qui fait obstacle à la construction d’un nouvel aéroport international. L’occasion de faire le point sur les grands projets contestés qui ont défrayé la chronique pendant le quinquennat de François Hollande.
Notre-Dame-des-Landes : vers le bras de fer sur la« zad » ?
– Pays-de-la-Loire
– Lieu : Notre-Dame-des-Landes (44)
– Coût : 600 millions d’euros
– Bénéficiaire : Vinci
Situé à 17 km au nord-ouest de Nantes et à 80 km de Rennes, le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes défraie la chronique depuis plusieurs années. Initié en 1968, le projet est ensuite rangé dans un carton pour cause de crise pétrolière... pour être relancé trente ans plus tard, afin de remplacer l’aéroport de Nantes, jugé trop étroit. En février 2008, le projet est déclaré « d’utilité publique » et l’État confie au groupe de BTP Vinci la construction et la gestion – pour 55 ans – de ce futur aéroport. La mobilisation locale se relance et une association, l’Acipa, fédère agriculteurs, élus locaux et citoyens opposés au projet [1]. Des militants écologistes ou libertaires décident de venir vivre sur la « zone d’aménagement différée » – périmètre sur lequel doit être bâti l’aéroport – qu’ils rebaptisent « zone à défendre » (zad).
À l’automne 2012, l’État tente de faire évacuer la « zad » pour lancer les travaux. Les forces de l’ordre se heurtent à une très forte résistance. Elles sont obligées de renoncer à reprendre la « zad » après plusieurs semaines de violences. Sur place, les liens se resserrent entre opposants et de nombreux projets alternatifs voient le jour sur ses 1200 hectares de champs, de bocages et de bois : boulangeries, semailles, constructions, occupations des fermes abandonnées, friperie, ateliers de réparation agricoles.... le tout géré collectivement, au sein de diverses assemblées qui vivent et expérimentent une démocratie directe. De 100 à 300 personnes occupent désormais la zad en permanence, dont huit agriculteurs qui refusent leur expropriation.
Début 2016, quelques semaines après la conférence sur le climat, les agriculteurs demeurant sur la zad sont sommés d’évacuer leurs fermes. Un mois plus tard, des dizaines de milliers de personnes, venues de tout le pays se retrouvent à Notre-Dame-des-Landes, là où les travaux sont censés commencer deux semaines plus tard. Pour tenter de sortir de l’ornière, François Hollande lance une consultation, qui se déroule fin juin. Le « oui » l’emporte à 55% avec une participation de 51%. Mais les opposants dénoncent le périmètre restreint du référendum : seuls les habitants de Loire-Atlantique ont voté alors que deux autres départements – Ile-et-Vilaine et Morbihan – sont directement concernés. Ils annoncent la poursuite de l’occupation.
Alors que les travaux sont promis pour l’automne, et que les menaces d’expulsion planent à nouveau sur la zad, une nouvelle manifestation d’envergure s’est déroulée les 8 et 9 octobre dans le bocage nantais. 40 000 personnes ont défilé au « chant du bâton ». « Celles et ceux qui habitent et cultivent la Zad ne la quitteront pas ! Il n’y aura jamais d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes ! » préviennent les opposants. En cas d’évacuation par la force, les comités de soutien créés dans toute la France annoncent des blocages, avec des centaines de tracteurs en renfort. Les syndicalistes CGT du groupe Vinci et ceux de l’aéroport de Nantes Atlantique ont également annoncé qu’ils se mobiliseraient en cas d’intervention policière.
Voir tous nos articles sur Notre-Dame-des-Landes.
L’utilité publique du barrage de Sivens finalement infondée
– Occitanie
– Lieu : Sivens, près de Gaillac (Tarn)
– Coût : 20 millions d’euros pour la collectivité
– Bénéficiaire : la CACG, une société d’économie mixte
C’est un vieux projet de retenue d’eau, envisagé depuis 1989. Il est porté par le Conseil général et la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG). Le 2 octobre 2013, la préfecture du Tarn prend un arrêté de déclaration publique. Les 1,5 millions de m3 d’eau retenus, sur deux kilomètres de long pour 250 mètres de large, permettraient d’irriguer plus de 300 hectares de cultures alentour. Pour les opposants, ce projet, qui va submerger 30 hectares de zones humides, est un « réservoir d’eau à 25 maïsiculteurs pour leur arrosage ». Alors que l’ouvrage, dont le coût est estimé à 20 millions d’euros sur 29 ans, est intégralement financé sur fonds publics, il bénéficiera principalement à des exploitants privés.
Devant le démarrage imminent des travaux, une zone à défendre est établie le 23 octobre 2013 par le Collectif « Tant qu’il y aura des bouilles ». L’occupation permet de repousser les opérations de défrichement pendant plus d’un an. Les travaux démarrent finalement le 1er septembre 2014 sous présence policière, malgré les manifestations. Rémi Fraisse, militant écologiste, est tué dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014 par une grenade offensive lancée par un gendarme. La mort de ce jeune manifestant marque l’arrêt du chantier. Elle est concomitante de la publication du rapport des experts nommés par le ministère de l’Écologie qui étrillent un projet « médiocre » (projet surdimensionné, bénéficiant à peu d’agriculteurs, faiblesse de l’étude environnementale…). Des arguments développés depuis des mois par les opposants à la construction du barrage. Le 6 mars 2015, alors que le Conseil général du Tarn vote le redimensionnement du projet, la Zad est évacuée.
Finalement, la justice donne raison aux opposants le 1er juillet 2016. Le tribunal administratif de Toulouse annule trois arrêtés fondateurs du premier projet de barrage de Sivens – relatifs à la déclaration d’utilité publique, à la destruction des espèces protégées et à l’autorisation de défrichement. En clair, les travaux entrepris étaient juridiquement illégaux, les occupants avaient donc toute la légitimité pour protéger la zone humide. Saluant ces décisions, la famille de Rémi Fraisse dit constater « avec douleur que si les recours administratifs et le dialogue environnemental avaient été respectés, les travaux n’auraient pas démarré et cette tragédie ne serait jamais arrivée ». Ces annulations compliquent par ailleurs le projet de nouveau barrage redimensionné car il doit se fonder sur une nouvelle déclaration d’utilité publique et une nouvelle enquête publique. Les opposants continuent de faire valoir d’autres voies alternatives pour alimenter en eau les terres agricoles alentour.
Un projet de méga-décharge quasi bloqué
– Normandie
– Lieu : Nonant-le-Pin, près d’Argentan (Orne)
– Coût : 6,5 millions d’euros [2]
– Bénéficiaire : Guy Dauphin Environnement (GDE)
« Virer une multinationale est un sacré défi ! », lançait à Basta!, en juin 2014, un opposant au projet de méga-décharge de Nonant-le-Pin, dans l’Orne. Un défi en passe d’être réalisé ? En mai dernier, la Cour d’appel de Nantes a donné raison aux opposants de ce projet de décharge mené par Guy Dauphin Environnement (GDE), une filiale d’un groupe lié à la société de courtage pétrolier Trafigura. Cette dernière est tristement connue pour avoir déversé des produits toxiques dans le port d’Abidjan, il y a 10 ans, provoquant la mort de 17 personnes et l’intoxication de milliers d’autres (lire notre article).
Depuis 2006, GDE tente d’installer une nouvelle décharge en plein cœur d’un territoire réputé mondialement pour son élevage de chevaux. Au total, le site recueillerait 2,5 millions de tonnes de déchets, notamment de l’industrie automobile, sur l’équivalent de 50 terrains de football, pendant 17 ans. L’entreprise affirme que ce projet créerait 12 emplois directs, puis 90 autres grâce à une nouvelle usine de retraitement des déchets à quelques kilomètres de Nonant-le-Pin. Les riverains, eux, voient rouge : l’ouverture d’une décharge provoquerait des pertes économiques considérables pour le monde du cheval et la région, ainsi que la pollution de l’environnement et des eaux de surface.
A partir d’octobre 2013 et pendant un an, l’entrée du site est bloquée par les opposants afin d’empêcher GDE de déposer des déchets. Les procédures judiciaires se multiplient, notamment grâce à la solidarité financière du monde du cheval. La lutte est marquée par une forte mixité sociale des opposants : du propriétaire de haras jusqu’au boulanger retraité du coin, le projet de décharge rassemble des mondes sociaux qui, d’ordinaire, ne se croisent que rarement. Quand certains tiennent un barrage, distribuent des tracts ou proposent un plan alternatif de développement économique de la région, d’autres assurent un travail de lobbying au sommet de l’État, notamment auprès de Ségolène Royal.
C’est d’ailleurs la ministre de l’Environnement qui s’est rendue sur place, le 20 mai dernier, après l’annonce de la Cour d’appel de Nantes. La juridiction, qui estime que l’exploitation de cette décharge entraîne en effet des « risques pour la santé, la sécurité, la salubrité publique, et pour l’environnement », annule l’autorisation d’exploitation de la décharge. GDE affirme « ne pas comprendre un tel revirement de la part de la justice et des pouvoirs publics, qui crée une insécurité juridique défavorable à tout investissement industriel dans notre pays ». L’entreprise a déposé un recours devant le Conseil d’État, tandis que d’autres procédures, civiles, pénales et administratives, déposées par les associations d’opposants ou GDE, sont toujours en cours. « Notre mobilisation sera active tant que ces terres n’auront pas été rendues à des activités respectueuses de l’environnement », préviennent les opposants qui espèrent que la jurisprudence de cette mobilisation servira à d’autres combats.
Le Center Parcs de Roybon en suspens
– Auvergne-Rhône-Alpes
– Lieu : Roybon, en Isère
– Coût : 113 millions d’euros de subventions publiques
– Bénéficiaire : Pierre & Vacances
C’est à mi-chemin entre Lyon, Grenoble et Valence qu’un autre projet d’envergure suscite une forte opposition, jusqu’à entraîner la création d’une nouvelle « zad » depuis fin 2014. En cause ? Le groupe Pierre & Vacances, 1,18 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel, veut y implanter un Center Parcs : 1 021 cottages sur 200 hectares, au cœur du bois des Avenières, en pleine zone humide (lire notre article). Largement soutenu par la collectivité, à hauteur de 113 millions d’euros d’après les calculs de l’association Pour Chambaran sans Center Parcs (PCSCP), le projet doit entraîner l’embauche de 700 personnes pour faire tourner les installations, dont une bulle tropicale de 9 000 mètres cubes « à 29 degrés toute l’année ». Sauf qu’une grande partie des emplois s’annoncent précaires et très mal payés (notre enquête).
Décidé en 2007, ce projet a été retardé par les nombreux recours déposés par l’association PCSCP. De nombreux avis négatifs ont été rendus [3]. Mais ceux-ci n’étant que « consultatifs », le Préfet de l’Isère a décidé d’autoriser les travaux. Alors que le groupe entame le défrichement en octobre 2014, la mobilisation sur place croît rapidement (notre reportage dans la Zad). Depuis le 16 juillet 2015, les travaux sont bloqués : le tribunal administratif de Grenoble a invalidé l’arrêté préfectoral autorisant la destruction de la zone humide (voir ici). 40 hectares de forêt sur les 80 prévus ont pourtant déjà été défrichés. Pierre & Vacances a fait appel de la décision.
Alors que la Cour d’appel n’a toujours pas rendu sa décision, le Conseil régional d’Auvergne Rhône-Alpes a adopté le 14 avril, une subvention de 4,7 millions d’euros en faveur de ce Center Parcs. Une décision étonnante alors même que Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne - Rhône-Alpes, a promis de serrer la ceinture du budget régional, avec 75 millions d’euros d’économies annoncées. Dans l’éventualité d’une reprise des travaux, l’association PCSCP mène d’autres recours, notamment à l’échelle européenne. Les occupants de la Zad de Roybon organisent régulièrement des chantiers de construction participatifs. Une première réunion de coordination des opposants aux Center Parcs s’est par ailleurs tenue au printemps 2016 en Saône-et-Loire pour « partager expériences et idées pour la suite »…
Le coût de la ligne grande vitesse Lyon-Turin fortement contesté
– Auvergne-Rhône-Alpes
– Lieu : Vallées de Suse, Alpes (France, Italie)
– Coût : 26 milliards d’euros
– Bénéficiaires : Réseau ferré de France, Réseau ferré d’Italie et un futur partenaire privé pour la gestion des équipements
Initié au début des années 90, le projet de ligne à grande vitesse Lyon-Turin est confirmé par un accord franco-italien signé le 30 janvier 2012. La société franco-italienne Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT [4]), dont l’État français est actionnaire à 50 %, est en charge de la construction du tunnel transfrontalier sous les Alpes de 57,5 kilomètres. Côté italien, le projet suscite une vaste opposition de la part des « No Tav » (pour Treno a alta velocità, train à haute vitesse). Entre occupations de chantier, batailles rangées contre les forces de l’ordre et manifestations de milliers de personnes, ils sont parvenus à retarder de plusieurs années le lancement des travaux.
Les critiques portent notamment sur le coût pharamineux de l’ouvrage qui ne cesse d’augmenter. En 2012, la direction du Trésor estime le coût du Lyon - Turin à plus de 26 milliards d’euros, dont 11,3 milliards d’euros pour les aménagements côté français ! [5] « Pour le seul tunnel de base de 57 km, le kilomètre coûterait plus de 200 millions d’euros ! », s’insurge Daniel Ibanez, fervent opposant au projet. « Comment expliquer que ce projet sera équilibré économiquement, quand on sait que l’axe Perpignan-Figueras, dont le coût était de 25 millions d’euros par kilomètre, a fait faillite en juillet 2015 au bout de cinq ans ? » Un nouveau référé de la Cour des comptes publié le 29 août 2016 confirme que le financement du Lyon-Turin est « largement hors de portée budgétaire ». Des soupçons de corruption massive, au profit de la mafia italienne, plane également sur le chantier (lire ici).
Selon les opposants, ce projet à 26 milliards permettrait de gagner une heure seulement de trajet entre Paris et Milan (voir ici)... Les associations mobilisées regrettent l’absence de véritable débat public sur l’utilité de ce projet pharaonique, et préfèrent la modernisation de la ligne « historique » qui relie déjà les deux métropoles. Le 18 avril 2016, la majorité écologiste et citoyenne de la ville de Grenoble a voté le désengagement du protocole de financement signé par la majorité socialiste précédente. Un vote qui pourrait être suivi par d’autres collectivités.
Le méga complexe Europacity : une consultation publique ignorée
– Île-de-France
– Lieu : Gonesse, Val d’Oise
– Coût : 3,1 milliards d’euros (privé), 686 millions d’euros (public)
– Bénéficiaire : Alliages & Territoires – filiale d’Immochan, appartenant au groupe Auchan
Annoncé en 2011, ce projet qui pourrait engloutir les dernières terres agricoles de la Plaine de France, au nord de Paris. Le géant de la distribution Auchan envisage d’ouvrir en 2024 un méga-centre commercial de 80 hectares, dont 23 hectares de commerces – l’équivalent de 33 terrains de football ! –, 2 700 chambres d’hôtels, des restaurants, et même des pistes de ski et de luge (notre enquête). Le chantier du complexe EuropaCity s’inscrit dans une zone d’aménagement concertée (Zac) qui projette de bétonner 280 hectares au total.
L’investissement de 3,1 milliard d’euros est entièrement privé, assure Alliages & Territoires [6]. Mais selon le Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG [7]), les aménagements préalables de la Zac – routes et bretelles, ligne 17 du métro, gare, murs anti-bruits... – sont estimés à 686 millions d’euros par l’autorité environnementale [8]. Pour justifier l’utilité publique, les promoteurs avancent la création de 11 500 emplois directs et de 6 000 emplois indirects [9]. De quoi appâter de nombreux élus locaux malgré le manque de fiabilité de ce type d’estimations.
Une consultation publique s’est déroulée du 15 mars au 30 juin au cours de laquelle les opposants au projet ont pointé le risque de destruction du tissu économique existant. Mais la commission nationale du débat public avait à peine présenté les résultats des débats, que Alliages & Territoires annonçait la poursuite du projet [10] Cette annonce « montre que l’utilité de ce débat n’a été qu’une mascarade » ont réagi les opposants. Une initiative est prévue à Paris le 8 novembre pour « régionaliser l’opposition à Europacity » et élaborer des alternatives au projet, précise Bernard Loup du CPTG, à Basta!. Des procédures juridiques sont en cours à l’échelle nationale et européenne.
Sophie Chapelle, Simon Gouin et Nolwenn Weiler
Photos : Basta!, Laurent Guizard, Yann Guillotin