Libertés publiques

Socialisme, schizophrénie et vidéosurveillance

Libertés publiques

par Nadia Djabali

1226 caméras de vidéosurveillance doivent être installées dans les rues de la capitale. Coût pour les contribuables ? 300 millions d’euros. Intérêt pour les Parisiens ? Plus que mitigé puisque le nombre de délits élucidés grâce à la vidéosurveillance demeure extrêmement faible. Ces éléments n’empêchent pas le PS parisien, au grand dam de ses partenaires écologistes ou communistes, de coller à la politique de l’UMP en la matière.

Au niveau national, le PS fustige le projet du gouvernement de tripler le nombre de caméras sur la voie publique, les faisant passer de 20 000 à 60 000 d’ici à 2011. « Les résultats réels ne justifient pas le coût exorbitant en matière d’installation et de personnes mobilisées », s’indigne Jean- Jacques Urvoas, secrétaire national au PS chargé de la sécurité. Localement, les positions sont beaucoup moins tranchées, à l’instar de la municipalité parisienne où le parti socialiste soutient ouvertement le plan de déploiement de 1226 caméras porté par la Préfecture de police.

Lors de ses comptes-rendus de mandat, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, a répété que la vidéosurveillance était inscrite dans son programme électoral et qu’il ne reculerait pas malgré les protestations d’un certain nombre d’associations, de partis politiques et de syndicats qui se sont regroupés au sein du Collectif démocratie et libertés (CDL). « Il n’y a jamais eu de débat sur le principe de l’utilisation de la vidéosurveillance dans l’espace public, ni au conseil de Paris, ni dans les conseils d’arrondissement, regrette le CDL. S’en dispenser sous prétexte que la vidéosurveillance était au programme électoral du Parti socialiste en mars 2008 relève d’une bien piètre conception de la démocratie ». Signe de la tension qui prévaut dans la capitale, le plan de vidéosurveillance a souvent été voté par une coalition PS/UMP dans les différents arrondissements. Les Verts et le parti communiste se prononçant contre.

À l’occasion de la délibération, Georges Sarre (Mouvement républicain et citoyen), adjoint à la sécurité de Bertrand Delanoë a transmis une note assez curieuse aux élus parisiens. Non seulement ce document reprend en grande partie la rhétorique du gouvernement de Nicolas Sarkozy mais est aussi truffé de contrevérités. George Sarre y affirme que l’Institut national des hautes études en sécurité (INHES) a publié une étude montrant clairement l’impact de la vidéosurveillance sur l’insécurité. Or le rapport fait état d’un impact sur le sentiment d’insécurité, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. L’adjoint parisien ajoute que les caméras améliorent le taux d’élucidation des délits et ont un impact sur la récidive.

La première affirmation est contredite par un récent rapport publié en juillet 2009 par le ministère de l’Intérieur qui fait état d’un taux d’élucidation très faible : moins d’un délit par mois et par brigade de gendarmerie est élucidé grâce à la vidéosurveillance. Quant à l’impact sur la récidive, cette affirmation est battue en brèche par une quarantaine d’études réalisées à l’étranger depuis une quinzaine d’années.

1.000 amendements contre 1.000 caméras

Pour faire passer cette pilule décidément indigeste, la Ville de Paris se réfugie derrière un débat technique et administratif et évacue la dimension politique du plan « 1000 caméras ».« La Ville finance ce plan dans la proportion de ses compétences, ni plus, ni moins », martèle Georges Sarre. L’achat et l’installation des 1226 caméras coûteront plus de 300 000 millions d’euros aux contribuables. La municipalité en paiera cinq pour des travaux de voiries. À cette somme, il convient d’ajouter quelques 60 millions d’euros de manque à gagner compte tenu de l’exonération de la redevance d’occupation du domaine public (exonération concernant les missions d’intérêt général) pour l’installation des caméras. « Par sa participation aux coûts et par l’exonération de la redevance d’occupation du domaine public, la Ville de Paris confirme son plein accord avec l’ensemble du plan, dénonce le CDL. La baisse du nombre de policiers [programmée par le gouvernement] associée à l’installation de caméras et leur gestion par un partenariat public-privé conduit à une véritable privatisation de la sécurité publique. L’installation de ces caméras a pour principal effet, non pas de faire baisser la délinquance, mais d’ouvrir le marché de la sécurité à des entreprises privées qui en tireront des bénéfices conséquents. »

« Nous avons déposé 1000 amendements pour lutter contre les 1000 caméras que veulent imposer le Maire de Paris et le Préfet de Police », annoncent Danielle Fournier et Sylvain Garel, co-présidents du groupe Les Verts. Le Conseil de Paris en débat les 23 et 24 novembre. On se souvient que le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, avait déclaré le 12 novembre dernier que la vidéosurveillance était un maillon essentiel de la politique de sécurité du gouvernement. À la veille des élections régionales, le PS deviendra-t-il lui aussi un maillon essentiel de cette politique ?
Sa difficile reconquête du pouvoir central va-t-elle contraindre le PS à abandonner en route la défense des libertés publiques ?

Nadia Djabali