Hôpital

Après avoir suspendu les soignants non vaccinés, « on force les collègues positifs à venir travailler »

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par Rachel Knaebel

Les personnels des hôpitaux qui ne sont pas vaccinés contre le Covid n’ont plus le droit de travailler depuis l’automne. Alors que les soignants manquent partout, ces suspensions sont de plus en plus contestées.

Alors que le Parlement vient d’adopter la loi sur le passe vaccinal, dans les hôpitaux, les directions s’affairent à collecter les attestations de troisième dose. Soumis à l’obligation vaccinale contre le Covid depuis septembre, les personnels hospitaliers devront avoir complété leur schéma vaccinal d’ici fin janvier. Sinon, ils risquent, encore une fois, la suspension. « On a très peur de perdre encore des collègues qui ne voudraient pas se faire vacciner une troisième fois, signale Emmanuelle Dubourg-Davy, infirmière en chirurgie et secrétaire générale adjointe FO au CHU d’Angers. Une nouvelle vague de suspensions, cela va finir de mettre l’hôpital à genoux. »

L’été dernier, en plus du passe sanitaire, la loi du 5 août « relative à la gestion de la crise sanitaire » a aussi mis en place une obligation vaccinale pour les personnels des hôpitaux, qu’ils soient médecins, infirmiers, aides-soignantes, ou à l’administration. Sans vaccination réalisée au 15 septembre, ces agents hospitaliers se sont vu interdire de travailler.

En octobre, le ministre de la Santé comptabilisait environ 15 000 personnes suspendues de leurs postes à l’hôpital. Le chiffre exact est cependant difficile à établir. « On ne sait pas exactement combien de gens sont concernés, car certains sont, par exemple, en arrêt maladie », explique Christophe Geffré, délégué Sud-Santé pour les hôpitaux de Niort et La Rochelle, en Nouvelle-Aquitaine.

« Contre les suspensions mais pour la vaccination la plus large possible »

Au CHU d’Angers, les suspensions ont concerné 50 personnes, nous dit la responsable FO : « Des aides-soignantes, infirmières, ouvriers, administratifs… » Au centre hospitalier d’Arras, dans le Pas-de-Calais, c’est « moins de dix, assure Christine Barbier, secrétaire syndicale FO. Chez nous, la vaccination a vraiment bien marché. Après, même pour dix personnes, ces départs, c’est toujours difficile. Nous les avons accompagnées pour qu’elle ne se retrouvent pas seules face à la direction. » Au CHU de Lyon, c’est, selon les derniers chiffres, « 1 % des personnels, soit environ 100 à 150 personnes qui ont été suspendues pour non-vaccination, précise Éric Moglioni, secrétaire adjoint de la fédération Sud-Santé-Sociaux du Rhône. Ce ne sont pas forcément des soignants. Ça se répartit sur toutes les catégories de personnels. Nous avons réclamé que les gens non vaccinés ne soient pas suspendus, mais cela n’a pas eu d’effet. »

Partout, les syndicats se sont retrouvés dans une une position compliquée. « Nous étions contre les suspensions et contre l’obligation vaccinale du personnel, mais nous sommes pour la vaccination la plus large possible, qui est pour nous un des moyens principaux de sortir de cette crise sanitaire, précise Éric Mogliani. C’est une position un peu sur la crête, on a eu des reproches des deux côtés. » « C’est une situation inédite. On élabore des stratégies auxquelles nous n’avions jamais eu à réfléchir auparavant, dit son collègue du syndicat Sud de La Rochelle, Christophe Geffré. De notre côté, nous sommes partis du principe que la suspension des personnels non vaccinés, c’est une connerie qui nuit à tout le monde. C’est vrai qu’il y a des antivax parmi les collègues suspendus. Mais nous avons tous un objectif commun : la lutte sociale, pour de meilleures conditions de travail, au service de la population. »

Sud a aidé les hospitaliers suspendus de Niort et La Rochelle à avoir le droit de travailler ailleurs. « Ce n’était pas gagné, car la position du suspendu, c’est d’être toujours affecté à la fonction publique hospitalière, mais sans salaire », précise Christophe Geffré. Résultat : les agents se sont retrouvés « dans une attente et une misère pas possible. La direction avait d’abord refusé de leur accorder une disponibilité. Nous avons finalement obtenu que toutes et tous aient un papier qui leur permette officiellement de travailler hors de l’hôpital. Il s’agit d’une disponibilité d’un an, renouvelable jusqu’à trois ans. Certaines font maintenant du secrétariat, de la couture, travaillent à l’usine… Et ceux qui ne sont pas vaccinés mais qui ont été contaminés entre-temps ont ensuite le droit de travailler pendant six mois. »

« On ne peut pas se permettre de suspendre des collègues alors que nous manquons de personnel »

Les soignants suspendus de Niort et La Rochelle n’ont pas souhaité nous parler. À Lyon, un « Collectif des soignant résistants » a bien voulu nous répondre, par mail. « Les agents hospitaliers suspendus, soignants et non-soignants, ont encaissé le choc en ordre dispersé : une minorité a abdiqué, c’est-à-dire, ont accepté contre leur gré la vaccination forcée, d’autres, dépités du manque de solidarité de leur anciens collègues, se sont mis en disponibilité ou cherchent à se reconvertir dans d’autres domaines. D’autres encore ont eu la chance de choper le Covid et ont été temporairement réintégrés. Certains refusent la troisième dose et sont prêts à arrêter leur activité », nous a écrit le collectif.

Les suspensions suscitent aujourd’hui d’autant plus d’incompréhension que pour faire face au manque de personnel dans les hôpitaux, les dernières consignes données aux hospitaliers sont de venir travailler même en étant positifs au Covid, « sauf s’ils toussent », précise Sylvain Bihel, infirmier en psychiatrie et secrétaire adjoint FO à l’hôpital de Laval. Les urgences de Laval ont fermé plusieurs nuits en décembre et janvier faute de personnels en nombre suffisant. Partout dans le pays, des services hospitaliers ferment ou suppriment des lits cet hiver par manque de soignants disponibles pour être au chevet des patients.

« L’obligation vaccinale pour les soignants, c’était, au début, une mesure de bon sens, pour protéger les patients fragiles. Mais aujourd’hui, alors qu’on force les collègues positifs à venir travailler… », souffle l’infirmier. À Laval, les personnels suspendus pour non-vaccination n’ont été qu’au nombre de 10 à 30, sur 2000 personnes en tout, nous dit Sylvain Bihel. Mais c’est déjà trop : « Notre position à FO, c’est qu’ici on ne peut pas se permettre de suspendre des collègues alors que nous manquons de personnel. On a besoin de tout le monde. »

« Nous avions demandé, dès le départ, de mettre en œuvre tout ce qui était possible pour faciliter la vaccination des collègues sur l’établissement, d’avoir des créneaux accessibles aux équipes de nuit par exemple, dit aussi Emmanuelle Dubourg-Davy, du CHU Angers. Mais nous avons dénoncé les suspensions des collègues qui ne souhaitent pas se faire vacciner. Car en l’état actuel, on ne peut se passer de personne. »

Son établissement manque aujourd’hui d’autant plus de personnel qu’« il faut ajouter aux suspensions les demandes de démission et de disponibilité, d’infirmières, d’aides-soignantes, en forte augmentation entre août et novembre, précise Emmanuelle Dubourg-Davy. Nous ne connaissons pas les raisons de chaque collègue qui a fait une demande de disponibilité ou de démission, mais il y en a plus qu’on n’avait jamais connu auparavant. » « On ne peut pas faire travailler des gens vaccinés et positifs et continuer à exclure nos collègues non vaccinés, on se prive d’un certain nombre de soignants qui pourraient travailler, alertait aussi la semaine dernière le médecin urgentiste Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf). Ce serait bien qu’on retrouve de la bienveillance et qu’on revienne au débat », ajoutait-il.

Rachel Knaebel

Photo : Lors d’une manifestation nationale des personnels soignants à Paris, le 4 décembre 2021 / © Serge d’Ignazio