Transition

Source d’énergie locale et peu chère : la géothermie séduit les communes mais suscite des craintes

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par Rachel Knaebel

Avec la hausse des prix du gaz, la géothermie devient une alternative rentable. Les projets pour aller chercher la chaleur du sous-sol se multiplient en Ile-de-France, mais sont à l’arrêt en Alsace suite à des séismes.

Avec la flambée des prix du gaz, les sociétés de logements HLM font face à l’explosion des prix du chauffage collectif depuis quelques mois. Cette crise de l’énergie incite des communes à se tourner vers une source d’énergie locale et indépendante des marchés : la géothermie. « Avec les prix de l’énergie qui se sont envolés, beaucoup de collectivités nous ont sollicités ces derniers mois. On a cinq projets en cours », rapporte Marion Lettry, chargée de la transition énergétique au Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour les énergies et les réseaux de communication (Sipperec), un établissement public de la région parisienne chargé, entre autres, de développer les énergies renouvelables.

« Nous avons deux grands vastes développements en termes d’énergies renouvelables en Ile-de-France : du photovoltaïque sur les toits des bâtiments publics, et des réseaux de chaleur à base de géothermie profonde », explique-t-elle. La géothermie est une technique pour produire du chauffage, voire de l’électricité, à partir de la chaleur contenue dans les sous-sols.

La géothermie peut être de surface, quand la chaleur est puisée à moins de quelque centaines de mètres de profondeur ; ou profonde, quand on fore à plusieurs kilomètres. Plus on va loin dans le sol, plus la chaleur est élevée. En Ile-de-France, les réseaux de géothermie vont chercher de l’eau chaude contenue dans les sous-sols à environ 2000 mètres de profondeur. À cette distance, la chaleur puisée est suffisante pour chauffer logements et bâtiments collectifs, pas pour produire de l’électricité.

« Du chauffage pour beaucoup moins cher que le coût de l’énergie actuel »

Le Sipperec gère aujourd’hui cinq réseaux de chaleur géothermique en Ile-de-France [1]. Le réseau de Viry-Châtillon (Essonne) est en train de s’étendre et alimente notamment la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Un nouveau réseau de chaleur en géothermie va entrer en fonction d’ici trois ans pour alimenter 20 000 logements sur les communes des Lilas, du Pré-Saint-Gervais et de Pantin (Seine-Saint-Denis). « Une seule commune ne suffit pas pour que les réseaux soient économiquement viables. C’est pour cela qu’on les déploie en général sur deux ou trois villes », précise Marion Lettry.

Aux Lilas, « cela fait des années que le projet est dans les cartons, note Sander Cisinsky, adjoint au maire (PS) de la ville en charge des transitions. Il y a dix ans, les conditions n’étaient pas forcément réunies. Selon que les marchés du gaz étaient plus ou moins hauts, les réseaux de géothermie n’étaient alors pas forcément rentables. » Le projet a été relancé collectivement avec les deux autres communes au début du mandat municipal actuel, en 2020. « Entre le moment où on a fait les premières études et aujourd’hui, le coût a augmenté car on est soumis à la hausse du prix des matières premières et de la construction. Mais il n’y aucun doute sur le fait que le projet va produire du chauffage pour beaucoup moins cher que le coût de l’énergie actuel », ajoute l’élu. Les projets sont en plus largement subventionnés – jusqu’à un tiers des coûts – par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et la région [2].

Des réseaux de géothermie déjà dans les années 1980

Les réseaux de chauffage à base de géothermie ont commencé à se développer en Ile-de-France dès les années 1980. « C’était après le choc pétrolier, la géothermie était alors très compétitive. Ensuite, au fil des années 1990 et 2000, le prix des énergies fossiles était bas. Donc, les projets de géothermie se sont ralentis. La compétitivité n’était plus au un rendez-vous, retrace Marion Lettry. Le Sipperec a été à l’initiative de la relance de la géothermie en Ile-de-France dans les années 2010. »

Centrale électrique géothermique en Italie, Toscane.
Centrale électrique géothermique en Italie, Toscane.

Ce type de projets se réalisent assez vite, « en quatre ou cinq ans à partir du moment où la décision politique est prise », dit la responsable. Ils font par ailleurs travailler ensemble des villes qui ne sont pas forcément du même bord politique. « Quand on annonce que le prix de la chaleur sera bien moins cher que celui du gaz, qu’il ne sera pas soumis aux fluctuations du marché et que cela fait économiser 28 000 tonnes de CO2 par an, personne ne s’oppose au projet », assure le maire adjoint des Lilas Sander Cisinski.

Ces réseaux de chaleur renouvelables ne sont quand même pas totalement indépendants du prix du gaz. « On a peu d’appoint en gaz, car on dimensionne le réseau pour qu’il puisse fournir de la chaleur à tout moment, y compris dans les périodes très froides, précise la responsable du Sipperec. Nous sommes donc un peu impacté par les hausses du prix du gaz et de l’électricité, mais cela n’a rien à voir avec un réseau qui fonctionne entièrement au gaz. Aujourd’hui, sur les réseaux de chaleur au gaz, le prix de la chaleur a été multiplié par deux au minimum. Sur nos réseaux à base de géothermie, la hausse a été limitée à environ 30 %. » De quoi faire susciter l’intérêt des élues, habitantes et sociétés HLM. 

En Alsace, des séismes provoqués par des forages géothermiques

La France compte aujourd’hui une soixantaine de réseaux de chaleur urbains alimentés par la géothermie profonde, principalement en Ile-de-France, où environ 300 000 personnes sont chauffées grâce à ce système. Deux centrales électriques fonctionnent également avec la géothermie : Bouillante, en Guadeloupe, mise en service en 1986 ; et une autre à Soultz-sous-Forêts (Bas-Rhin), une installation scientifique européenne avant de devenir un site de production d’électricité géothermique. Dix-huit permis de recherche étaient en cours en 2019 pour développer des projets de production de chaleur ou d’électricité par géothermie profonde, en Guadeloupe, en Alsace, dans le Massif central, dans les Pyrénées, dans la Vallée du Rhône et à la Réunion.

Centrale géothermique électrqiue de Soultz-sous-Forêts
Centrale géothermique électrique de Soultz-sous-Forêts
Le principe de fonctionnement de la centrale.
© GEIE Soultz-sous-Forêts

« L’avantage de la géothermie, c’est la maitrise du coût. Une fois que les forages sont réalisés, la chaleur est locale et illimitée », vante Cédric Créton, ingénieur des mines, gérant d’un bureau d’étude et administrateur de l’association Alter Alsace Énergies, qui conseille les collectivités en matière d’énergies renouvelables. L’Alsace est l’un des territoires à fort potentiel. Sous la vallée du Rhin, à 5000 mètres de profondeur, la chaleur est assez élevée pour produire de l’électricité.

Deux entreprises, Géorhin (ex-Fonroche) et Électricité de Strasbourg (rattachée à EDF), y ont obtenu des permis d’exploitation pour quatre projets de centrales géothermique, dont une à Illkirch, à côté de Strasbourg. Mais en 2019, des séismes secouent la région. Ils auraient été provoqués par les forages de Foronche à Vendenheim, au nord de Strasbourg. D’autres séismes se produisent en 2020 et 2021.

Fin 2020, la préfecture du Bas-Rhin suspend tous les projets de géothermie en cours dans le département. « Les séismes successifs et intenses ont provoqué un profond traumatisme au sein de la population et une défiance à l’endroit de la géothermie profonde », constate alors une mission d’information de la métropole de Strasbourg. Des milliers d’habitants d’Alsace et d’Allemagne voient leurs maisons endommagées. Près de 4000 dossiers de demandes d’indemnisations sont déposés mi-2021. En mai dernier, la préfecture publie les résultats d’une expertise qui conclut à une responsabilité de la société Foronche. L’entreprise avait foré trop vite et trop profond.

« Un accident industriel »

« Le contexte constitué d’une filière à forte intensité capitalistique assortie d’un risque financier initial très élevé, d’un encadrement juridique et des dispositions incitatives très fluctuantes, a pu contribuer à une culture du secret ou favoriser des prises de risque », analyse la mission d’information strasbourgeoise. « Ce qui s’est passé à Vendeheim, c’est un accident industriel », résume de son côté Noé Imperadori, animateur de la filiale géothermie pour le Grand Est à l’association lorraine pour les énergies renouvelables. Un autre professionnel de la région parle d’une « atmosphère de cowboys » : des entrepreneurs trop pressés qui veulent forer au plus vite.

Une autre source de profits attirent des start-up de l’énergie, venue du secteur pétrolier : la perspective de filtrer l’eau géothermale qui remonte des profondeurs pour en extraire du lithium, minerai indispensable aux batteries électriques. Lithium de France, entreprise créée en 2020 a ainsi obtenu un permis de recherche en Alsace.

Les professionnels des énergies renouvelables se veulent rassurant, pointant avant tout les procédés de l’entreprise Foronche. Des forages bien réalisés ne provoqueraient pas de séismes. Mais depuis la catastrophe de Vendenheim, les projets de géothermie suscitent de fortes oppositions dans la population alsacienne.

Un « projet purement spéculatif pour faire de l’électricité et la revendre »

Le forage en cause a été stoppé. Les trois autres projets sont toujours suspendus. « La question s’est posée de tout arrêter, mais cela remettrait en péril toute la politique énergétique de la collectivité. On compte beaucoup sur ces réseaux de chaleur pour alimenter la majorité de la ville de Strasbourg en chauffage », explique Cédric Créton, d’Alter Alsace énergie.

Plus au sud, dans les zones volcaniques d’Auvergne, le cas alsacien suscite la méfiance. Dans le village de Saint-Pierre-Roche (Puy-de-Dôme), une autre entreprise, créée il y a dix ans, TLS géothermie, associée à une filiale d’Engie, veut aussi forer pour chercher de l’eau chaude dans les sous-sols. Objectif : construire une centrale géothermique profonde qui produirait de l’électricité.

Pays producteurs d'électricité géothermique
Principaux pays producteurs d’électricité issue de la géothermie
Renewables Global Status Report 2021

« On s’est renseigné sur ce qui s’est passé ailleurs, et on a commencé à s’inquiéter quand on a vu que les apprentis sorciers de Vendenheim avaient réussi à faire trembler jusqu’au centre de Strasbourg, témoigne Jacques Adam, habitant de la région, qui s’oppose au projet au sein de l’antenne locale de France Nature Environnement. On sait bien qu’on a de l’eau chaude dans le sous-sol dans la région », ajoute-t-il. Dans le Cantal, à la station thermale de Chaudes-Aigues, une partie du village se chauffe depuis les années 1960 grâce à une source d’eau chaude locale. « Nous savons qu’il y a un potentiel. Mais là, avec ce genre de projets, ce n’est pas du tout la même échelle. Ce projet est purement spéculatif, c’est pour faire de l’électricité et la revendre. »

La géothermie de surface beaucoup plus facile à développer

Le dernier scénario de transition énergétique de l’association Négawatt recommande d’ailleurs un développement « modéré » de la géothermie profonde de très haute température, « par prudence ». Pour la géothermie de basse température, celle utilisée en Ile-de-France pour les réseaux de chauffage, les experts de Négawatt souligne que « le développement de son utilisation dépend des gisements disponibles », qui se trouvent essentiellement dans les bassins parisien et aquitain. L’association attend en revanche beaucoup de la géothermie de surface. Celle-ci ne fournit de la chaleur que d’une quinzaine de degrés, mais qui est ensuite valorisée par les pompes à chaleur.

« La géothermie de surface est la plus en mesure de se développer facilement, abonde Noé Imperadori, de l’association Lorraine des énergies renouvelables. Nous ne sommes pas du tout sur les mêmes technologies que dans la géothermie profonde. Avec la géothermie de surface, vous n’avez aucun risque sismique. »

Il existe actuellement en France environ 200 000 installations de géothermie de surface, qui peuvent chauffer des bâtiments collectifs ou des logements individuels. Noé Imperadori cite l’exemple d’une mairie d’un village de Meurthe-et-Moselle, Pierre-la-Treiche, qui a installé un système de chauffage de ses locaux en géothermie de surface à l’occasion d’une rénovation en 2018. Coût de l’opération : 54 000 euros, en très grande partie subventionnée.

« L’investissement initial, surtout les forages, est assez élevé mais ensuite, vous n’avez plus d’achat de combustibles. Et la durée de vie d’un forage est très longue. Ceux sur sondes verticales [de l’eau circule en circuit fermé dans un réseau de tubes disposés à la verticale dans des forages, qui permet de transférer la chaleur du sous-sols puis de l’acheminer jusqu’à la pompe à chaleur géothermique, ndlr]. ils sont garantis 50 ans. Les fabricants veulent augmenter la garantie à 100 ans. C’est la durée de vie d’une maison. » Et c’est plus que la durée de vie d’une centrale nucléaire.

Rachel Knaebel

Image de une : CC BY-SA 3.0 Rjglewis via Wikimedia Commons.

Notes

[1Sur les communes de Bagneux et Châtillon, Accueil et Gentilly, Rosny-sous-Bois, Noisy-le-Sec et Montreuil, Bobigny et Drancy et sur celles de Grigny et Viry-Châtillon.

[2Les subventions de l’Ademe et la région Ile—de-France se sont par exemple élevées à 20 millions d’euros sur 70 millions du coût global du projet pour le réseau de chaleur géothermique de Bobigny-Drancy.