[Mise à jour : La cour d’appel de Douai a annulé, dans un arrêt rendu le 5 juillet, le jugement du tribunal administratif d’Amiens, qui enjoignait le maire de Courmelles à réexaminer la demande de permis de construire de l’entreprise Rockwool. « Cela signifie que le refus de permis de construire par la commune de Courmelles est régulier. Les opposants au projet Rockwool sont soulagés et contents », indique l’avocate. L’entreprise peut contester cette décision dans un délai de deux mois.]
« 800 tonnes de polluants rejetés chaque année. On ne s’imagine pas ce que c’est », alerte Stop Rockwool, collectif qui s’oppose à l’installation d’une usine de laine de roche dans les Hauts-de-France. Une mobilisation est prévue les 15 et 16 juin contre ce qu’ils nomment « le projet le plus polluant de France ». L’entreprise multinationale danoise Rockwool tente depuis plusieurs années d’implanter cette usine à proximité de Soissons (Aisne). Le projet est de retour, après un premier essai en 2008 qui a échoué à cause de la crise financière.
Invoquant la nécessité d’isoler les bâtiments dans le cadre de la transition énergétique, la multinationale annonce la production de 110 000 tonnes d’isolant par an. Elle prévoit également la création de 130 emplois directs, soit un ratio de trois emplois par hectare quand la moyenne des autres entreprises de la zone est une vingtaine d’emplois par hectare, répliquent les opposants.
Des polluants dangereux
Un terrain de près de 40 hectares a été vendu à Rockwool en 2020 par l’agglomération sur une zone d’activité à cheval sur les communes de Courmelles et Ploisy. Cette localisation est stratégique pour l’industriel qui possède déjà des usines en Espagne et aux Pays-Bas, ainsi qu’une usine en Auvergne. Mais c’est aussi cet emplacement qui a déclenché les premières inquiétudes des riverains. L’usine sera en effet située sous les vents dominants. « Tout ce que rejetteront les fumées sera donc poussé vers Soissons, qui est une cuvette », s’inquiète le collectif.
La composition de fumées potentiellement rejetées par l’usine, principale source d’inquiétude des habitants et habitantes, est longtemps restée incertaine et opaque. Ce n’est que lors d’une enquête publique en 2020 que les premières informations sont dévoilées. Au total, 173 tonnes de particules fines et 814 tonnes de polluants seront rejetées dans les airs chaque année : ammoniac, oxyde de soufre, mais aussi des métaux lourds, comme le cadmium, ou encore des formaldéhydes, connus comme perturbateurs endocriniens, à dose infime.
« Cela en ferait l’une des dix usines les plus polluantes de France », avance le collectif, se basant sur les données du site officiel Géorisques. L’entreprise Rockwool elle-même reconnaît que « l’évaluation des risques sanitaires est basée sur des hypothèses qui sont assorties de facteurs d’incertitude ». Face à ces risques, 136 médecins, 33 pharmaciens, 23 sages-femmes et 85 infirmiers ont signé des manifestes contre l’installation de Rockwool à Soissons.
Par ailleurs, l’usine rejettera 80 000 tonnes de CO2 par an et consommera « l’équivalent des deux tiers de la consommation en énergie de l’agglomération de Soissons », dénoncent les opposants. La production de laine de roche nécessite la création d’une ligne électrique spécifique de 63 000 volts, induisant une augmentation de 73% de l’électricité consommée dans l’agglomération.
« Il existe des matériaux naturellement fibreux, les isolants biosourcés par exemple, comme le chanvre ou le lin », rappelle le collectif d’opposant
es. Ces matériaux, abondamment présents dans l’Aisne, sont davantage respectueux de l’environnement : ils sont renouvelables et recyclables en fin de vie, et leur production ne nécessite que peu d’eau et d’énergie. Ils ont également l’avantage de capter le CO2. Par ailleurs, ils seraient plus efficaces que la laine de roche en cas de forte chaleur, et favoriseraient davantage les emplois locaux.84 % d’avis négatifs
Lors de l’enquête publique en automne 2020, 549 avis sont déposés dont 84 % négatifs. Suite à un avis défavorable du commissaire-enquêteur, la commune de Courmelles refuse de délivrer le permis de construire. Mais le 31 mars 2021, le préfet de l’Aisne délivre l’autorisation d’exploitation à Rockwool. La préfecture et Rockwool déposent un recours contre le refus du permis de construire.
Début décembre 2022, le tribunal administratif d’Amiens oblige Rockwool à redéposer un dossier de permis de construire conforme à l’ensemble des articles du plan local d’urbanisme. La commune de Courmelles est invitée à ré-instruire la demande de permis de construire dans un délai de trois mois. La commune décide de faire appel, mais signe un permis de construire provisoire avec une demande de dérogation d’espèces protégées. Cette demande de dérogation a été suspendue le 10 novembre 2023 par le tribunal administratif d’Amiens, suite à un recours en référé du préfet de l’Aisne.
« Pourquoi tant d’insistance ? », se demande le collectif. Six recours juridiques sont actuellement en cours, notamment la contestation de six communes contre le permis de construire délivré par la commune de Courmelles, de l’arrêté préfectoral d’exploitation ou encore sur la déclaration d’utilité publique pour la ligne électrique. La plupart devraient aboutir dans les prochaines semaines.
En parallèle, la mobilisation citoyenne prend de l’ampleur. 1700 personnes ont participé à la manifestation d’octobre 2023, contre 600 en mai 2022. Le collectif Stop Rockwool appelle à une nouvelle mobilisation les 15 et 16 juin, à proximité du site.
– Le programme complet est à retrouver ici.
Daphné Brionne
photo de une : © collectif Stop Rockwool