Contre la transition

Dans les Hauts-de-France, Xavier Bertrand s’apprête à subventionner le mouvement anti-éolien

Contre la transition

par Barnabé Binctin

Le conseil régional des Hauts-de-France doit voter ce 19 mai une subvention de 170 000 euros pour une association créée pour s’opposer à des projets éoliens. Une décision à rebours des objectifs climatiques alors que les températures flambent.

C’est ce qui s’appelle respecter ses propres engagements, à défaut de respecter ceux de la France en matière de lutte contre le changement climatique. Réélu l’année dernière à la tête de la région Hauts-de-France après une campagne qu’il avait transformée en réquisitoire contre l’éolien, Xavier Bertrand (LR) s’apprête à honorer l’une de ses promesses choc en la matière : subventionner directement une association chargée de lutter contre les projets éoliens dans la région.

Le texte de la délibération
La délibération du conseil régional des Hauts-de-France (cliquer sur l’image pour télécharger le pdf).

Selon nos informations, le conseil régional doit voter ce jeudi 19 mai une délibération accordant le versement de 40 000 euros de subvention à la Fédération stop éoliennes Hauts-de-France – soit près de 77% du budget total (52 000 euros) de cette association créée en début d’année pour l’occasion [1]. La dotation qui passerait à 60 000 euros pour l’année 2023 puis à 70 000 euros pour 2024, selon les prévisions de la convention pluriannuelle signée avec l’association, soit 170 000 euros sur trois ans.

Une subvention pour s’opposer aux projets éoliens

Le texte de la délibération, que basta! s’est procuré, ne laisse guère de place au doute quant à la mission de l’association, dont « la région soutient l’action ». Afin de « lutter contre l’essor éolien dans les Hauts-de-France », la Fédération stop éoliennes Hauts-de-France se donne deux objectifs opérationnels : « informer, organiser des réunions publiques, enquêter » – autrement dit, porter toujours plus loin ses campagnes de discrédit médiatique contre l’énergie éolienne – et « mener et/ou accompagner les recours en justice ».

Lors de sa toute première assemblée générale, fin mars, la Fédération s’était fixé l’objectif comptable de financer 50% des frais de contentieux de ses associations adhérentes, « grâce à [cette] subvention attendue de la région » (comme le rapportait le journal local L’Aisne nouvelle). L’association pourra aussi s’appuyer sur l’expertise de sa présidente, Bénédicte Coste-Leclerc de Hauteclocque, dont la réputation n’est plus à faire lorsqu’il s’agit de mener bataille contre l’énergie éolienne : « Nous voulons assaillir les tribunaux », assumait ainsi cette propriétaire du large domaine Tailly-l’Arbre-à-Mouche (Somme) auprès du Parisien au printemps.

Les Hauts-de-France, première collectivité à financer ouvertement le mouvement anti-éolien

Les sympathies anti-éoliennes de Xavier Bertrand ne sont pas nouvelles non plus (voir cet article de 2019 du Monde sur la campagne anti-éolien de l’élu LR). Si cette nouvelle mesure a beau ne pas être une totale surprise, elle n’en reste pas moins inédite : le conseil régional des Hauts-de-France pourrait ainsi devenir la première collectivité à financer ouvertement le mouvement anti-éolien.

Courriers-types de la région pour s'opposer aux projets éoliens.
Des courriers-types pour s’opposer aux éoliennes
Sur le site d’un prétendu « observatoire » des éoliennes dans les Hauts-de-France, la région met à disposition des courriers-types pour s’opposer aux projets éoliens.

Certes, lors de son précédent mandat, Xavier Bertrand s’était déjà distingué par le lancement, en 2018, d’un outil de cartographie recensant les projets d’éoliennes installées ou en cours, « l’Observatoire des éoliennes en Hauts-de-France », dont seul le nom conserve l’illusion d’une certaine neutralité. En réalité, la plateforme se dévoile vite comme un manuel de mobilisation pour s’opposer aux éoliennes.

Le site rend par exemple disponibles des courriers-types pour s’opposer aux projets éoliens dans les départements de la région. « Vous avez connaissance d’un projet éolien sur votre territoire et vous souhaitez manifester votre opposition à ce projet ? La région vous propose un modèle de courrier en téléchargement ou la possibilité d’envoyer un e-mail au préfet concerné directement depuis cette page », trouve-t-on aussi dans l’onglet « mobilisations » de ce prétendu observatoire.

« Les fonds publics n’ont pas vocation à nourrir l’opposition à la transition énergétique »

Cette fois, avec cette subvention de 170 000 euros sur trois ans, Xavier Bertrand franchit un cap supplémentaire, qui interroge sur l’utilisation des deniers publics. « Le droit des collectivités est très clair sur le sujet : une subvention répond toujours à un objectif d’intérêt général, rappelle Kaddour Qassid, administrateur de l’association Anticor, dont il est le référent dans le Nord. En l’espèce, on est en droit de se demander où se situe cet intérêt général ? »

A fortiori, lorsque ces fonds publics reviennent à « financer des recours contre la loi française » résume pour sa part Thomas Hutin, conseiller régional d’opposition (EELV) dans la région. « Les objectifs climatiques et les échéances à respecter [la neutralité carbone d’ici 2050, ndlr] sont désormais inscrits dans la loi. S’attaquer à l’éolien, qui est reconnu comme indispensable dans tous les scénarios énergétiques et constitue une solution majeure dans le contexte économique actuel, c’est un combat d’arrière-garde », accuse l’élu écologiste.

Le préfet pourrait être saisi pour un contrôle de légalité de cette subvention, tandis que les élus d’opposition envisagent la possibilité de différents recours devant le tribunal administratif. Du côté de la filière éolienne, la nouvelle est jugée « ubuesque ». « Xavier Bertrand prétend se soucier des questions d’emploi dans les Hauts-de-France, mais il met en danger les 2500 emplois pérennes et locaux de la filière éolienne dans la région, s’insurge Mattias Vandenbulcke, directeur de la communication de France énergie éolienne. Les fonds publics n’ont pas vocation à nourrir l’opposition à la transition énergétique, ni à favoriser la désinformation sur l’éolien. » Sollicité par basta! sur cette décision prise au moment où la chaleur bat des records dans plusieurs régions du monde, le conseil régional des Hauts-de-France n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Barnabé Binctin