Témoignage

« Le modèle imposé aux paysans est de s’agrandir ou de dégager ! »

Témoignage

par Pierrick Berthou

Agriculteur dans le Finistère, Pierrick Berthou constate avec colère la constante diminution des fermes, et le faible revenu de ses collègues. Il propose de réguler la production pour sortir de cette crise agricole qui tue la terre et les paysans.

Un revenu mensuel de 350€, voilà ce que déclarent un tiers des agriculteurs français, depuis quelques années. Pour autant, n’allez pas croire que les deux autres tiers « roulent sur l’or » ! En ce début d’année 2022, l’agriculture est en « crise ». Le prix du porc se « casse la gueule », les producteurs de lait bio sont fragilisés par un prix du lait en chute à cause, dit-on, d’une surproduction, c’est un comble ! L’agriculture va mal - très mal. Malheureusement, cette situation n’est pas nouvelle, ne feignons pas d’être surpris ! C’est ainsi depuis 60 ans. L’agriculture évolue en passant d’une crise à une autre. La conséquence, VOULUE, est qu’à chaque crise les plus fragiles disparaissent ; c’est ainsi que les agrandissements se font.

Un plan social qui ne porte pas son nom

Depuis 60 ans, le modèle imposé aux paysans est de s’agrandir ou de dégager ! Et pourtant, c’est bien cette logique d’agrandissement qui prévaut dans nos campagnes depuis l’après-guerre. Dans le Finistère, mon département, il y avait 31 000 fermes laitières en 1970, il en reste moins de 1900 en 2021. Et pour autant la production ne baisse pas, voire augmente. En 2030-2040 il ne pourrait en rester que 300 ! Soit une ferme laitière par commune en moyenne ! Voilà un plan social qui ne porte pas son nom.

De plus, dans cinq ou six ans, 50 % des producteurs laitiers actuels partiront à la retraite et d’autres quitteront la profession… Certes, ces agrandissements ont permis à un certain nombre de paysans de s’extirper de leur misère, mais à quel prix ? Exode rural, souvent subi, faillites, suicides et je n’évoquerai pas le volet environnemental ni celui de l’endettement abyssal que ces agrandissements génèrent. Cette logique a bénéficié d’un prix de l’énergie (pétrole) plutôt faible. Il n’en sera pas toujours ainsi, c’est déjà le cas aujourd’hui. Ce modèle, imposé, mériterait un débat national : Et si l’on s’était trompé d’agriculture ? En tous cas, les paysans, eux, ont été trompés ! C’est une certitude.

Réguler la production, garantir les prix, protéger nos ressources

Au delà de la redéfinition de nos attentes sociétales pour l’agriculture, il y a des solutions simples et peu onéreuses pour sortir du marasme, pour ne pas dire de cet « agricide ». Il faut tout d’abord caler la courbe de la production sur la courbe de la consommation. Cela s’appelle la régulation. Il est totalement nuisible de produire plus que ce que le marché peut absorber. Cela entraîne, à la fois, une chute dramatique des prix agricoles, mais aussi un gaspillage de nos ressources et d’énergie ! In fine, ces excédents finissent toujours par détruire les économies locales des pays en développement et par bouleverser leurs habitudes alimentaires. Tout cela en ayant recours massivement aux subventions européennes à l’exportation.

Prenons la production laitière pour exemple. Pour appliquer cette régulation, il faudrait regrouper l’ensemble des producteurs de lait français au sein d’une seule et unique O.P.(Organisation de Producteurs). Cette O.P. aurait pour mission de collecter l’ensemble du lait français et de le vendre aux industriels, aux artisans, qui ont besoin de lait. La différence fondamentale avec aujourd’hui est que les producteurs qui sont totalement sous le joug des industriels seraient, alors, libres. Libres de négocier leur production avec différents industriels, privés ou coopératives, à un prix rémunérateur. Produire un aliment a un coût, donc il est normal que ces produits aient un prix !

Cette stratégie de régulation serait gérée par la profession agricole et ne demanderait pas d’aide publique, ou très peu, de façon ponctuelle. La régulation aurait l’énorme avantage de pouvoir s’appliquer séparément aux différentes productions en fonction de leurs situations respectives. L’application de la régulation garantirait un revenu décent aux paysans, des projets seraient possibles. Elle permettrait aussi de garder un nombre important de paysans, bien répartis sur l’ensemble du territoire. Pour une efficacité maximale, il faudrait une action de régulation au niveau de l’Europe. En définitive, le seul reproche que nous pouvons faire aux paysans c’est d’avoir fait ce qu’on leur a demandé ! Et, de toute évidence, cela ne leur a pas réussi. Les solutions existent. Encore faudrait-il que nos décideurs veuillent les appliquer.

Pierrick Berthou

Photo : © Laurent Guizard