Suite à un accident du travail mortel, le tribunal administratif de Rouen, en Normandie, a sommé ce 6 juin Total Raffinage France (TRF), de se conformer à la loi. L’entreprise, disent les juges, ne respecte pas les règles du code du travail qui ordonne, entre autres, que les interventions d’entreprises sous-traitantes soient précédées d’une visite des lieux, et d’un plan de prévention spécial.
Non respect de la loi, mise en danger des salariés
C’est la mort d’un salarié de 38 ans, Cédric Marchant, le 15 février dernier, qui a entraîné cette décision. Salarié d’une entreprise sous-traitante assurant la maintenance sur le site de la raffinerie normande de Total, à Gonfreville-l’Orcher, à côté du Havre (Seine-Maritime) [1], Cédric Marchant a fait une chute mortelle d’environ six mètres. Son boulot, ce jour là, consistait à recharger en sable un filtre qui sert à nettoyer l’eau qui est pompée à proximité avant d’être utilisée sur l’ensemble du site. Situé à plus de six mètres de haut, à l’entrée de ce qui fait office de « château d’eau », le filtre doit être rechargé via un tuyau relié à un camion. La barrière qui protège le poste de travail en hauteur était mal fixée, et n’a pu retenir Cédric Marchant quand il a probablement été déséquilibré par la pression du tuyau d’alimentation en sable (l’enquête devra confirmer, ou infirmer cette hypothèse).
« Cet accident mortel aurait pu être évité, disent des membres de la CGT Total siégeant au sein de la commission santé, sécurité et conditions de travail de la plate-forme normande. Il faut absolument que l’entreprise inspecte régulièrement ses structures, pour s’assurer de leur bon état. » L’inspection préalable des lieux sur lesquels interviennent des sous-traitants, obligatoire selon le code du travail, aurait pu permettre de revoir les modes de fixation de la barrière. Mais ces inspections préalables, qui doivent être faites par les donneurs d’ordre et les sous-traitants, n’ont quasiment jamais lieu. Les représentants du personnel de la plate-forme Total déplorent cette grave entorse au droit depuis des années. Cette absence de plan de prévention spécifique avait déjà été mise en cause lors de la mort de deux salariés en février 2018 soufflés dans l’explosion d’une usine à Dieppe, appartenant au groupe agro-alimentaire Avril.
Total refuse de se conformer au droit
Dépêchés sur place le jour de l’accident, les inspecteurs de la Caisse de retraite et de santé au travail (Carsat) de Normandie ont déclenché une procédure dite « d’injonction », demandant à Total de mettre en œuvre une inspection commune des futurs lieux de travail des entreprises sous-traitantes sur l’ensemble de la plate-forme. Une attention particulière doit être portée aux risques de chute de hauteur. Mais Total ne l’entend pas de cette oreille, et dépose une requête demandant l’annulation de cette injonction. La direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (direccte) rejette cette requête. Total décide alors de saisir le tribunal administratif.
« C’est assez rare d’avoir un refus d’injonction, observe Gérald Le Corre responsable santé au travail pour la CGT de Seine-Maritime, où se trouve la plate-forme normande de Total. D’habitude, ce sont plutôt des négociations sur les délais de mise en œuvre. » Pour justifier leur demande, les avocats de Total avancent que l’application effective de l’injonction n’est pas matériellement réalisable et que le non-respect des mesures de prévention imposées aura des conséquences financières graves sur le montant de la cotisation accidents du travail. Si l’entreprise continue à se mettre hors-la-loi, ses taux de cotisations liés aux accidents du travail et aux maladies professionnelles risquent d’être majorés.
« Même après un mort, ils disent aux juges qu’il n’y a pas de problème »
« En 2019, Total paye 4,5 millions d’€ pour la plate-forme de Normandie, souligne Gérald Le Corre. Une majoration de 25% signifie 1,1 million de plus. S’ils s’entêtent et continuent à ne rien faire on peut imaginer une majoration de 50%, soit 2,2 millions supplémentaires. » Des montants à comparer aux 12 milliards d’euros de bénéfices de Total en 2018, soit une hausse de 28 % par rapport à 2017 [2].
Total « conteste que les processus de prévention mis en œuvre sur son site soient différents de ceux prévus par le code du travail et indique qu’ils présentent, en tout état de cause, des garanties équivalentes pour la sécurité des salariés », relèvent les juges. « Même après un mort, ils disent aux juges qu’il n’y a pas de problème, que ce n’est pas dangereux, relève Gérald Le Corre. Ils font fi de la réglementation, et se cachent derrière la réalisation d’un plan de prévention annuel pour ne pas faire d’inspections à chaque opération. L’analyse de l’activité réelle, il n’y en a jamais. »
Le tribunal a balayé les arguments de Total, considérant que le plan de prévention annuel ne pouvait en aucun cas se substituer à une analyse des risques propres à l’intervention de chacune des entreprises sous-traitantes. Les juges ont rappelé à Total que cette réglementation n’est pas récente : elle date de 1992 ! Et estiment que l’entreprise ne peut « sérieusement » prétendre que ces mesures sont « inapplicables ». Les représentants du personnel de la plate-forme s’attendent à ce que Total porte l’affaire devant le Conseil d’État pour contester la décision du tribunal administratif.
Photo : une « opératrice » à la raffinerie normande de Total, à Gonfreville-l’Orcher / © Total