Discriminations

Transphobie dans les médias : une association alerte sur une « stratégie éditoriale réactionnaire »

Discriminations

par Maÿlis Dudouet

Une nouvelle étude analyse les parutions en ligne de 21 médias français traitant des transidentités en 2022. Bilan : la moitié des articles n’ont pas un traitement respectueux des personnes trans. Un sur quatre sont même anti-trans.

La transidentité [1] est-elle correctement abordée dans les médias ? L’association des Journalistes LGBTQI+ (AJL) a étudié la question dans une étude en trois volets parue le 22 février et intitulée « Transidentités : de l’invisibilisation à l’obsession médiatique ».

Parmi les principales observations, l’AJL constate que les thèmes liés à la transidentité « semblent être devenus un sujet légitime dans un nombre croissant de médias ». Les articles concernant les personnes transgenres [2] se sont multipliés. L’enquête relève toutefois certains épisodes médiatiques où des propos et attitudes transphobes ont été relayés. La veille médiatique a ainsi commencé à la mi-août 2022, au moment de l’emballement médiatique autour de l’affiche représentant un homme enceint pour Le Planning Familial.

Plus de la moitié des articles étudiés sont « de bonne qualité »

L’AJL a classé les articles en trois catégories selon leur traitement : « de bonne qualité », « à améliorer » et enfin « de mauvaise qualité ». Sur les 434 articles en ligne analysés, 98 avaient la transidentité pour sujet principal. Résultat : 55,4 % des productions examinées lors de cette étude sont « de bonne qualité » estime l’association de journalistes. « Elles ne comportent pas de mégenrage » (parler d’une personne en utilisant un genre dans lequel elle ne se reconnaît pas, ndlr) ou de deadnaming [3], et évitent des clichés éculés et hors-sujet, ou des propos discriminatoires sur les personnes trans. »

« Ce qui signifie que l’autre moitié des articles relevés sont à améliorer, voire posent problème dans leur traitement journalistique et/ou dans le respect des personnes trans », nuance l’AJL, qui estime qu’en dépit des avancées constatées, « les progrès restent fragiles ». Un article étudié sur quatre se révèle même anti-trans [4].

L’une des observations effectuées par l’AJL concernant le bon traitement des sujets sur les transidentités se trouverait dans l’influence du traitement de l’AFP (Agence France Presse), dont les contenus sont repris parfois intégralement par d’autres médias. Avec près d’un quart des articles étudiés provenant de dépêches AFP, l’association estime que le traitement fait par l’AFP relève le niveau général des articles parus sur le sujet dans les médias étudiés. Une proportion d’autant plus importante sur les sujets liés à l’international, avec 61,2 % des articles « à l’étranger » jugés de bonne qualité.

Terme inadapté, usage du deadname

Au sein des « mauvaises pratiques », l’AJL recense l’usage encore trop récurrent du terme « transexuel » au lieu du mot transgenre, inadapté car il comprend une « connotation médicale (...) pathologisante ». Autre erreur de traitement, l’usage du « deadname » (ou « morinom »), qui se réfère au prénom assigné à la naissance et indiqué à l’état civil, mais qui a été abandonné par la personne au profit d’un nouveau prénom qui correspond mieux à son identité de genre. L’étude déplore également l’idée reçue encore véhiculée par certains médias selon laquelle les transidentités sont un sujet compliqué. « Au lieu d’aider à comprendre ce sujet, ils entretiennent ce flou et cette supposée complexité », constate l’AJL.

L’AJL déplore également la répartition inégale de la parole des intéressées, qui voient des propos transphobes relayés sans contradictoire. De fait, « sur 98 articles qui ont pour sujet principal les transidentités, seulement 36 donnent la parole à des personnes trans », chiffre le rapport.

Instrumentalisation et panique morale

Dernière étape de cette analyse en profondeur, la convergence des lignes éditoriales classées à droite, qui tendent à « instrumentaliser les personnes trans, nier leur humanité et leurs droits au service d’une stratégie éditoriale réactionnaire ».

En diabolisant les transidentités, certains médias participeraient à la création d’une « panique morale » autour des personnes trans et de leurs droits. Elle est définie par le sociologue américain Stanley Cohen comme une panique se produisant quand « une condition, un événement, une personne ou un groupe de personnes est désigné comme une menace pour les valeurs et les intérêts d’une société ».

Certains médias contribuent également au relais de propos ouvertement transphobes par le biais de tribunes. L’AJL désigne ainsi la rubrique Figaro Vox comme vecteur de « propos sensationnalistes voire haineux ». Elle fait aussi le constat de l’utilisation croissante d’un « lexique catastrophiste ».

Et l’AJL de s’interroger : « Où sont les faits sourcés et vérifiés et le respect de la dignité des personnes ? » Elle appelle « à plus de sérieux journalistique dans le traitement des transidentités, comme cela serait le cas pour n’importe quel autre sujet ».

L’association propose un kit d’actions à destination des médias et journalistes, afin d’améliorer le traitement des sujets liés aux personnes LGBTQI+.

Maÿlis Dudouet

Photo en Une : ©AJL

Notes

[1La transidentité est le fait, pour une personne transgenre ou trans, de ne pas s’identifier au genre qu’on lui a attribué à la naissance.

[2Personne qui exprime une identité de genre différente de celle qui lui a été assignée à la naissance.

[3Dans le cas d’une personne trans, prénom indiqué à l’état civil à la naissance, avant que la personne ne choisisse un nouveau prénom qui correspond mieux à son genre. L’utilisation d’un deadname peut-être perçue comme une forme de harcèlement.

[4Cette donnée correspond à la proportion d’articles classés « de mauvaise qualité » sur le total des articles étudiés. Les articles instrumentalisant ou diabolisant les personnes trans, les opposant aux femmes ou suggérant que les personnes trans sont un danger étaient classés comme de mauvaise qualité.