Guerres

La gauche française condamne l’invasion russe de l’Ukraine, mais reste partagée sur la réponse à apporter

Guerres

par Rédaction

Tous les candidats de gauche à la présidentielle dénoncent l’offensive militaire russe lancée ce 24 février contre l’Ukraine. Les ONG s’inquiètent du « risque nucléaire » et du sort réservé aux populations civiles.

Jeudi 24 février au petit matin, la Russie a déclenché une invasion de l’Ukraine. Au fil de la journée, des frappes aériennes ont touché des cibles à travers le pays. Des forces militaires terrestres ont pénétré dans le nord, l’est et le sud du pays. L’armée de Vladimir Poutine a lancé l’assaut sur la capitale, Kiev, vendredi 25 février. Dans la nuit, l’Union européenne a annoncé de nouvelles sanctions contre la Russie. « Cette guerre restera à jamais une page honteuse de l’histoire russe », a réagi l’ONG russe Mémorial dans un court texte. Officiellement dissoute sur décision du gouvernement russe fin décembre (voir notre entretien), l’organisation documentait, depuis les guerres de Tchétchénie, les violations des droits humains perpétrés dans les conflits auxquels participent les troupes russes.

Jeudi, au soir du premier jour de l’invasion russe, des rassemblements contre la guerre et en soutien aux Ukrainiennes et Ukrainiens ont eu lieu à Paris, Marseille, Strasbourg, Nantes. Dans la capitale française, quelque 3000 personnes se sont réunies place de la République. Parmi elles, Iryna, qui habite Paris mais dont toute la famille et les amis vivent encore en Ukraine. « Je me suis réveillée avec l’information que des missiles frappaient mon pays. Depuis, je n’ai pas pu manger, je n’ai pas pu dormir, témoigne-t-elle. La seule chose que je peux faire est de venir ici, pour soutenir mon pays. » Drapeau ukrainien sur les épaules, elle est entourée d’amis internationaux. Erika est elle aussi une expatriée ukrainienne. Elle porte un ruban aux couleurs de son pays sur la poitrine, l’émotion fait trembler sa voix. « Il faut être ici pour montrer son soutien, mais surtout, que les médias en parlent. Il faut agir vite », dit-elle. Sur la statue parisienne représentant la République s’étend une banderole : « La liberté au peuple, la mort aux empires », y est-il écrit en langue ukrainienne.

Au rassemblement contre la guerre et en soutien à l’Ukraine à Paris, le 24 février 2022.
©Pierre Jequier-Zalc

Plusieurs partis de gauche se sont aussi donné rendez-vous au rassemblement. Dans la foule, on retrouve des militants verts, socialistes, insoumis, de Génération.s, du NPA ou de Place Publique. Yannick Jadot, Olivier Faure, Raphaël Gluksmann et Christiane Taubira ont pris successivement la parole. L’air grave, ils ont prononcé des discours sur le choc, la guerre, la nécessité d’agir. La maire de Paris et candidate socialiste à l’élection présidentielles Anne Hidalgo était également présente.

Parti socialiste : « Des sanctions fortes envers la Russie, tout en soutenant l’armée ukrainienne »

En pleine campagne présidentielle, les politiques de gauche ont réagi au fur et à mesure de la journée aux événements. Le secrétaire national aux relations internationales du Parti socialiste, Jean-Marc Germain, juge que cette « crise qui se passe en Europe est gravissime. La guerre est une menace réelle. On pense, avec le PS, que la nation doit faire front ». Le PS se prononce pour « des sanctions fortes envers la Russie, tout en soutenant l’armée ukrainienne, pour les équiper », nous dit Jean-Marc Germain. Armer pour dissuader, mais sans envoi de troupes étrangères : « Ce n’est pas la place des soldats autres qu’Ukrainiens d’être sur la zone de front. Sinon, cela devient une guerre mondiale. On ne veut pas ça. »

Jean-Luc Mélenchon :« La Russie crée le danger immédiat d’un conflit généralisé qui menace toute l’Humanité »

« Je condamne la guerre de la Russie en Ukraine », a de son côté déclaré sur twitter Jean-Luc Mélenchon. Dans un communiqué, le candidat de la France insoumise qualifie l’opération militaire russe d’« initiative de pure violence manifestant une volonté de puissance sans mesure. Une escalade insupportable est provoquée ». Le texte poursuit : « L’histoire du vieux continent bascule. La Russie y installe de nouveau la guerre comme moyen de règlement des conflits. (…) Elle crée le danger immédiat d’un conflit généralisé qui menace toute l’Humanité. Pour l’Union européenne le temps de la protection mutuelle est venu. » « L’agression russe contre l’Ukraine est insupportable. Vladimir Poutine porte la responsabilité de la guerre », a aussi écrit le député LFI Bastien Lachaud sur twitter. Le groupe de la France insoumise a demandé un débat sur le sujet à l’Assemblée nationale.

Le ton peut sembler à première vue différer d’avec les positions passées de Jean-Luc Mélenchon sur les questions internationales. Le programme de Mélenchon pour la présidentielle demande « le retrait immédiat de la France du commandement intégré de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) puis, par étapes, de l’organisation elle-même ». Le 21 février encore, quand Poutine venait de reconnaître l’indépendance des républiques séparatistes du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, le candidat de la France insoumise évoquait la situation en Ukraine et « sur toutes les frontières à l’est » comme « des rebondissements d’une de ces guerres sans fin qui, depuis Pierre le grand et Catherine II, tenaillent les peuples du secteur ». Il écrivait aussi que « l’annexion de l’Ukraine dans l’Otan ne tardera plus », tout en soulignant que « c’est bien la Russie qui a pris la responsabilité de cet épisode ». Aujourd’hui le candidat le mieux placé à gauche dans les sondages insiste sur le fait qu’« il ne faut surtout pas accepter d’entrer dans l’escalade. Elle serait sans retour ».

Ces derniers jours, des responsables socialistes et écologistes avaient attaqué Mélenchon sur ses positions quand à la crise ukrainienne (voir cet article de Mediapart). La candidate du Parti socialiste Anne Hidalgo a par exemple accusé Mélenchon d’oublier « de condamner l’agression de Vladimir Poutine », tout en mettant le leader de la France insoumise dans le même panier que Le Pen et Zemmour. Yannick Jadot, candidat des écologistes, a même déclaré sur le plateau de France5 que Mélenchon était prêt « à sacrifier les Ukrainiens, l’Ukraine, dans un délire anti-américain qui consiste à dire que 150 000 soldats russes qui rentrent en Ukraine, c’est la faute de l’Otan, c’est la faute des États-Unis ».

Yannick Jadot : « Des livraisons d’armes pour que les Ukrainiens puissent se défendre »

Jeudi, Yannick Jadot a qualifié l’opération russe d’« agression sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale contre un pays européen, contre une démocratie ». « Vladimir Poutine en porte la pleine et entière responsabilité », écrit aussi le candidat d’EELV. À la différence de Mélenchon, il en appelle dans son communiqué à des sanctions contre les responsables russes et même à des livraisons d’armes à l’Ukraine : « La réponse de la France et de l’Europe unie doit être à la mesure de cette attaque contre la démocratie. Notre fermeté et notre solidarité doivent immédiatement se traduire par des livraisons d’armes pour que les Ukrainiens puissent se défendre et par des sanctions d’une ampleur exceptionnelle contre Poutine et ses complices, en les bannissant de la communauté internationale. »

Fabien Roussel : « La France ne peut pas prendre part à ce conflit »

Fabien Roussel, candidat communiste, s’est de son côté opposé à toute livraison d’armes : « La France ne peut pas prendre part à ce conflit, ni directement, ni indirectement par l’intermédiaire de livraisons d’armes », écrit-il. Il assure que le Parti communiste français « est solidaire de toutes les forces de paix, en Ukraine, en Russie et en Europe qui se lèvent contre la guerre » et ajoute que « la sécurité de l’Europe, de l’Ukraine et de la Russie sont indissociables ». Fabien Roussel condamne l’attitude du président russe qui, dit-il « s’enfonce dans l’ultranationalisme » et « porte la responsabilité militaire de cette guerre ». Mais il s’en prend aussi aux États-Unis : « La responsabilité collective revient aussi à tous ceux qui ont nourri le feu de la confrontation aux portes de la Russie en laissant entendre que l’Ukraine pouvait intégrer l’Otan. »

Philippe Poutou : « Assez de voir les peuples victimes des puissances impérialistes »

« Solidaires du peuple ukrainien face à l’agression militaire de Poutine, a de son côté déclaré le candidat du Nouveau parti anticapitaliste Philippe Poutou sur twitter. Assez de voir les peuples victimes des puissances impérialistes et des conflits et rivalités entre elles. Pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ! À bas la guerre ! » Anasse Kazib, le candidat de Révolution permanente, parti né de la scission d’avec le NPA, met en avant une position de « Ni Otan ni Poutine ! » : « Je réaffirme toute ma solidarité avec la population en Ukraine. Les troupes russes doivent sortir immédiatement d’Ukraine, cette guerre montre une fois de plus les conséquences des politiques impérialistes et militaristes. Leurs guerres nos morts ! »

Die Linke (Allemagne) : « Une conférence spéciale de l’ONU impliquant la Russie, l’Ukraine et tous les États voisins »

En Allemagne, les chancelier social-démocrate Olaf Scholz annoncé hier la suspension du projet de gazoduc Nordstream 2, qui doit acheminer en Europe du gaz extrait en Russie. La ministre écologiste des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a annoncé un « ensemble complet de sanctions massives contre la Russie ». Les présidentes du parti de gauche allemand Die Linke, Susanne Hennig-Wellsow, Janine Wissler, ont appelé la Russie à « immédiatement cesser les combats, accepter un cessez-le-feu et revenir à la table des négociations », en ajoutant que « les bombardements et l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes constituent une nouvelle étape de l’agression de Poutine, que nous condamnons avec la plus grande fermeté ». Die Linke demande depuis des années une politique de sécurité internationale qui se ferait en coopération avec la Russie. « Nous demandons la dissolution de l’Otan et son remplacement par un système de sécurité collective avec la participation de la Russie », revendique ainsi le programme du parti de gauche. Face à l’opération militaire russe, Die Linke souligne aujourd’hui que « rien ne peut justifier cette guerre d’agression contraire au droit international » et demande « une conférence spéciale de l’ONU impliquant la Russie, l’Ukraine et tous les États voisins ».

Un risque de « conflit impliquant des armes nucléaires »

Amnesty International a appelé « à un respect sans faille du droit international relatif aux droits humains et du droit humanitaire » : « Les vies, les habitations et les infrastructures civiles doivent être protégées ; les attaques indiscriminées et l’utilisation d’armes interdites telles que les armes à sous-munitions ne doivent pas avoir lieu ». La Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN, lauréate du prix Nobel de la paix 2017) alerte sur le « risque nucléaire de cette guerre ». « Si toutes les guerres sont inacceptables, ICAN informe que le récent comportement de la Russie risque de faire dégénérer le conflit en un conflit impliquant des armes nucléaires », écrit le mouvement. La semaine dernière, Poutine a effectué un exercice impliquant des armes nucléaires stratégiques (voir l’information de l’agence Reuters), « s’exerçant ainsi à lancer des missiles balistiques intercontinentaux via ses sous-marins et ses bombardiers sur des populations civiles. »

Emma Bougerol, Rachel Knaebel

En illustration : Vladimir Poutine. CC BY-NC-SA 2.0 World Economic Forum via flickr.

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Article mis à jour le 25 février à 15 h.