Droit à la terre

Un paysan corse menacé d’expulsion

Droit à la terre

par Nolwenn Weiler

Un paysan expulsé manu militari de sa ferme, avec femme et enfants, pour laisser la place à un investisseur fortuné. C’est le cauchemar bien réel que vit Jean-Michel Seni, paysan en Corse-du-Sud. L’agriculteur est locataire du domaine de Rovani, un coin superbe qui domine les golfes et plages de l’île de beauté. En 2006, les terres sur lesquelles vit et travaille Jean-Michel Seni depuis près de 30 ans sont mises aux enchères, les héritiers des propriétaires ne s’entendant pas. Les actes d’adjudication – qui encadrent la vente aux enchères – omettent [1] de mentionner qu’un bail rural est en cours, prouvant qu’un agriculteur travaille sur place et qu’il ne peut être expulsé avant sa retraite.

Le bail rural protège plutôt bien les agriculteurs. D’une durée minimale de 9 ans, il est habituellement de 18 ans et donne la possibilité au paysan locataire de préempter en cas de vente de la propriété. Mais sur le domaine de Rovani, officiellement, il n’y a donc pas d’agriculteur. Le lieu a donc été vendu bien au-delà de sa valeur agricole (350 000 €) à une personne à la retraite vivant sur le continent, et n’ayant aucun projet agricole. La société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), qui aurait pu préempter pendant le délai de deux mois qui court de la vente à sa validation, ne s’est pas manifestée.

De la ferme au HLM

Depuis, un marathon judiciaire s’est engagé. De recours en requête, de tribunal en cour d’appel, l’affaire a finalement atterri sur le bureau du Préfet. Qui s’est prononcé le 24 avril dernier pour « le concours de la force publique ». C’est à dire l’expulsion de la famille Seni. Sommée de plier bagage, avec ses 40 vaches, de dire adieu à ses pâtures et à ses vergers de 500 oliviers. « Ces sept années de procédures ont ruiné financièrement M. Seni, dont les seules ressources proviennent de sa petite exploitation agricole, rappelle un juriste qui a suivi le dossier de près. Le nouveau propriétaire fait bloquer par voix d’huissier ses comptes bancaires pour s’indemniser. Depuis 2008 la famille Seni doit se débrouiller pour vivre avec 400€ par mois. » Difficile, dans ces conditions, de faire face à des spéculateurs fortunés, à même de se payer une solide défense.

Préfecture et mairie assurent à la famille Seni qu’ils auront un logement social. Un paysan, vivement modestement mais sûrement du fruit de son travail, enfermé entre quatre murs : voilà une perspectivement résolument enthousiasmante. « Nous demandons simplement que la famille Seni ne soit pas expulsée, dit Jean-Yves Torre de Droit paysan. Nous sommes près à constituer un groupement foncier agricole (GFA) pour racheter les terres au nouveau propriétaire. » En attendant, une requête en annulation doit être déposée ce lundi 3 juin 2013 au tribunal administratif de Bastia, pour demander l’annulation de l’accord au concours de la force publique du 24 avril 2013. Il a par ailleurs été demandé aux ministres du Logement, de l’Agriculture, de la Justice et au Premier ministre d’intervenir pour que le Tribunal paritaire des baux ruraux puisse arbitrer le litige concernant le bail « omis » dans les actes d’adjudication.

> Pour joindre le comité de soutien : lacellu.dilisula@gmail.com

Notes

[1La famille Seni et leur comité de soutien soupçonnent une falsification volontaire.