Citoyenneté

Une conductrice en « niqab » verbalisée, ou le droit à la banalité

Citoyenneté

par Eros Sana

La priorité avant l’été, ce n’est ni la lutte contre le chômage, ni l’urgence écologique, ni la reconstruction d’une Europe au bord du gouffre, mais le voile intégral porté par quelques centaines de femmes. Un simple fait divers routier vient nous rappeler qu’aucune législation d’exception n’est nécessaire pour faire respecter la loi à celles qui portent la « burqa ».

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Une jeune femme de 31 ans conduit sa voiture dans les rues de Nantes. Tout de noir vêtu, son corps – à l’exception de ses yeux – est entièrement recouvert d’un voile intégral. Deux membres des forces de l’ordre effectuent un contrôle routier et… la verbalisent. Elle écope d’une amende de vingt-deux euros pour « circulation dans des conditions non aisées », les policiers considérant que son champ de vision est restreint. Cette amende est une excellente chose.

Au surlendemain des élections régionales, l’ensemble de la droite – avec à sa tête un Nicolas Sarkozy affaibli par les résultats de l’UMP, une crise sociale, économique et écologique sans précédent ainsi que des sondages qui frôlent les profondeurs abyssales – choisit d’effectuer un virage encore plus à droite (restons dans la métaphore routière). Ce tête-à-queue vers la droite ultra s’exprime de différentes manières : volonté d’imposer aux forceps une réforme néo-libérale des retraites, retour dans les banlieues de « Sarko simple flic », maintien de la tension sociale suscitée par le débat sur l’identité nationale en faisant feu de tout bois sur le voile intégral.

Islamophobie d’État

Le chômage est à l’un de ses plus hauts taux historiques (plus de 10% des actifs). Les procédures de licenciement collectif sont toujours aussi nombreuses. Les enjeux climatiques et énergétiques auxquels la France et l’Europe sont confrontées demeurent d’une urgence impérative. Pendant ce temps, Nicolas Sarkozy, son gouvernement et sa majorité, comme un seul homme, considèrent que la loi qui doit être « adoptée en urgence avant l’été » est une loi sur l’interdiction générale du voile intégral dans tous les lieux publics.

Reconquête de l’électorat du Front National, expression d’une xénophobie et d’une islamophobie d’État, cette future loi s’élabore en dépit de l’avis du Conseil d’État, de la majeure partie des juristes et des organisations de défense des droits humains.

L’interdiction totale du port la « burqa » – terme employé à tort par les médias et le personnel politique – reviendrait littéralement à interdire à certaines femmes de sortir de chez elles, de marcher dans la rue, de prendre des transports collectifs ou d’aller faire leur marché. Ce qui serait contraire à de nombreux principes et règles de droit qui figurent parmi les plus importants de notre encadrement juridique : la liberté de circulation, d’expression et de conscience, l’égalité des citoyens devant la loi, et la laïcité (neutralité de l’action de l’État et de ses représentants). Si la droite préfère piétiner le droit, la constitution ainsi que les conventions internationales signées et ratifiées par la France, c’est pour endiguer, éradiquer un phénomène qui concerne entre trois cents ou deux milles personnes (les chiffres de la police ne sont pas concordants entre eux). Quelle terrible menace !

Le contrôle de police et l’amende de Nantes sont positifs en ce qu’ils invalident clairement les deux principaux prétextes juridiques derrière lesquels se cachent une droite et une partie de la gauche islamophobe : les femmes portant un voile intégral constitueraient un trouble à l’ordre public et le droit actuel comporterait des lacunes pour gérer cette situation au quotidien.

Les musulmans, citoyens à part entière ou citoyens entièrement à part ?

Les policiers qui ont verbalisé cette dame rappellent que rien dans l’état actuel du droit n’empêche un membre des forces de l’ordre de contrôler ou de verbaliser une femme portant un voile intégral qui aurait commis une infraction.

La conductrice a, de son côté, décidé de contester cette amende, avançant qu’elle est fondée sur une discrimination : ses yeux n’étant pas couverts, son champ de vision était dégagé, et ce n’est que parce qu’elle portait un « niqab » qu’elle a été verbalisée. Elle fait usage d’un droit légitime. Il reviendra à la justice de se prononcer sur l’application de l’article 412-6 du Code de la route qui dispose que « tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d’exécuter commodément et sans délai toutes les manœuvres qui lui incombent ». La pratique et la jurisprudence démontrent que cet article peut être interprété de façon large par les forces de l’ordre. C’est notamment en se fondant sur cet article que les personnes qui conduisent téléphone portable à l’oreille peuvent être verbalisées.

Les musulmanes, même intégralement voilées, sont des citoyennes comme les autres, comptables comme les autres de leurs actes devant les autorités et la loi. Il n’est donc pas besoin de loi d’exception, de « régime exorbitant du droit commun ». Les musulmanes et musulmans de France sont des citoyens à part entière et non pas des citoyens entièrement à part.

L’amende de Nantes est une histoire profondément banale, quotidienne dans l’histoire de la sécurité routière. Elle doit être traitée comme tout autre affaire de ce genre. Il doit en être de même de tous les musulmanes et musulmans de France, qui doivent être traités avec la même « banalité » que toutes les autres personnes qui vivent dans l’Hexagone.

Eros Sana, Zone d’écologie populaire