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Une « lutte des classes climatique » : malgré la sécheresse et les canicules, les golfs de luxe prospèrent

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par Guy Pichard

Accaparement de l’eau et de terres agricoles, bétonisation, luxe... En Sologne et dans l’Hérault, deux immenses projets de golf illustrent le fossé qui se creuse entre un sport pratiqué par une élite et son époque, en proie à l’urgence climatique.

Le golf a le vent en poupe. Ce sport a marqué un nouveau record de licenciés en 2022 (441 961 personnes). Surtout, de nombreux nouveaux terrains de golf sont prêts à sortir de terre en France : en plus des 740 structures golfiques existantes, 136 projets de construction ou d’extension sont actuellement recensés, selon la Fédération française de golf.

« Il y a une dynamique quant à la création de golfs », s’enthousiasme Sylvianne Villaudière, vice-présidente de la fédération. Les projets de golf commerciaux se développent particulièrement. Ils appartiennent « à des entreprises avec parfois des hôtels et des restaurants », confirme Sylvianne Villaudière. Certains s’étendent sur plusieurs centaines d’hectares, comme dans l’Aude, où un projet de golf de luxe prévoit de s’ouvrir sur d’anciens terrains agricoles. En plus des greens, ces programmes comprennent des complexes immobiliers, des infrastructures telles que des héliports, des piscines ou encore des hôtels de luxe.

Mais qui dit golfs dit gros besoins en eau. Or, la France affronte une sécheresse historique depuis l’année dernière. Ces projets peuvent donc sembler des aberrations environnementales. Dans le Loir-et-Cher, un projet de golf de luxe lancé en 2009 sous le nom de « Chambord Country Club » affiche de grandes ambitions : 27 trous et un practice (zone d’entraînement) répartis sur une surface de 160 hectares, hôtel quatre étoiles de 61 chambres, restaurant, club-house, 565 villas allant de 0,5 à 1 million d’euros à l’achat, un centre équestre, un centre sportif, 410 places de stationnement...

Contestation du projet de golf des Pommereaux. Le 7 janvier 2023 à Blois, les manifestants ont accroché leurs messages sur les grilles de la préfecture.
Contestation du projet de golf des Pommereaux
Le 7 janvier 2023 à Blois, les manifestants ont accroché leurs messages sur les grilles de la préfecture.
© EELV 41

Un golf de luxe sur une zone Natura 2000

« Nous ne savons pas exactement qui se cache derrière cette opération, mais il semble y avoir des moyens importants, s’étonne Nicolas Orgelet, conseiller municipal EELV et vice-président de l’agglomération de Blois chargé de la transition écologique. Le terrain initial est classé Natura 2000 et c’est justement une plus-value pour les porteurs du projet que de proposer à leurs futurs clients un golf au sein d’un milieu naturel. »

Le projet est porté par Bernard Saunier, dirigeant de Saneo, une entreprise d’assainissement. Selon ses dires, ce complexe golfique, s’il sortait de terre, permettrait de créer environ 200 emplois. Mais les travaux n’ont pas encore débuté et la contestation est croissante. Deux manifestations contre ce complexe ont rassemblé une centaine de personnes le 15 octobre 2022 dernier à la Ferté-Saint-Cyr, l’un des villages concernés entre Blois et Orléans, puis 260 protestataires le 7 janvier dernier à Blois.

Du côté des institutions aussi, le projet subit des revers. L’assemblée départementale a par exemple voté en octobre un vœu s’y opposant. Tout récemment, le plan local d’urbanisme intercommunal a été invalidé par le tribunal administratif d’Orléans. « Le discours des promoteurs porte sur la création d’emplois, mais les terres agricoles qui vont être remplacées par ce golf représentent aussi des emplois, qui, eux, font vraiment vivre le pays ! » note Anne Martin, agricultrice à la retraite d’une exploitation située à quelques dizaines de kilomètres du site. « Les autorisations actuelles pour ce projet en matière d’arrosage portent sur 150 000 mètres cubes d’eau, mais pourront monter à 200 000 à leur demande. Cela paraît incroyable quand on sait que des agriculteurs voisins ont moins de droits », ajoute-t-elle.

En outre, un autre golf, celui des Bordes, existe déjà à quelques kilomètres et devrait s’agrandir massivement à hauteur de 180 millions d’euros. Un hôtel cinq étoiles, un spa, des villas, des commerces devraient sortir de terre d’ici 2025...

Des bureaux d’études juge et partie

Comment un tel projet peut-il être validé par les autorités ? Pour construire tout type de golf, une étude d’impact est généralement nécessaire pour évaluer ses conséquences sur l’environnement. « Ce sont des cabinets d’études privés qui s’en chargent, reconnaît François Landwerlin, chef de service à l’Office français de la biodiversité (OFB). Si le bureau d’étude fait mal son travail, nous n’y pouvons rien ! »

Golf de Lavagnac. Sur le chantier, seuls des panneaux isolés indiquent pour l'instant les futurs greens.
Golf de Lavagnac
Sur le chantier, seuls des panneaux isolés indiquent pour l’instant les futurs greens.
© Guy Pichard

Un bureau d’études payé par les promoteurs du projet peut-il par ailleurs être impartial ? « Cela pose un problème, affirme Pierrot Pantel, ingénieur écologue et chargé de mission à l’Association nationale pour la biodiversité. Comment juger avec honnêteté un projet vis-à-vis duquel, en fonction du résultat de ton travail, tu vas ou non gagner de l’argent ? Car c’est très souvent le même bureau d’études qui réalise le travail en amont et qui sera ensuite rémunéré pour mettre en place le suivi du chantier si le projet se fait. »

L’OFB et d’autres organismes publics liés à l’environnement restent tenus éloignés de ces projets potentiellement destructeurs de milieux naturels. Le dernier mot revient de toute façon au préfet local, comme celui du Loir-et-Cher qui va livrer sa décision sous peu au sujet du complexe touristique et golfique de 400 hectares à la Ferté-Saint-Cyr.

« La situation va devenir ingérable »

Jean-Claude Blanc, vigneron
Jean-Claude Blanc, vigneron
« Un golf chez nous n’a pas de raison d’être. »
© Guy Pichard

Dans l’Hérault, aux pieds des Cévennes, un projet promet un golf « de classe internationale » de 18 trous, sur près de 180 hectares, auquel s’ajouteront 410 habitations luxueuses, souvent équipées de piscines, le tout autour d’un château classé monument historique, le domaine de Lavagnac, surnommé « Le petit Versailles du Languedoc ».

Sur place, des travaux sont déjà en cours et la livraison du golf est annoncée pour 2024. « Je ne tiens plus personne si ce truc se fait. Si l’État s’obstine dans cette démarche, la situation va devenir ingérable », alerte Jean-Claude Blanc, vigneron et président de l’Association syndicale du Canal de Gignac, qui gère le canal d’irrigation des cultures de la région. La commune de Gignac se trouve à quelques kilomètres du futur complexe.

« En tant qu’élus, nous avons dû manifester cet été pour soutenir les agriculteurs face aux restrictions d’eau, qu’ils soient en conventionnels ou non, se souvient Éric Poujade, conseiller municipal d’une commune à proximité (Le Vigan), affilié à Génération écologie et membre de la commission locale de l’eau. Quelques mois plus tard, nous apprenons que ce projet de golf est relancé et aura une consommation d’eau équivalente à celle de près de 6000 habitants ! Au sein de la commission locale de l’eau, nous avions émis deux avis défavorables à ce golf, mais les travaux sont repartis malgré tout. »

Protestations sur les greens

Éric Poujade, conseiller municipal au Vigan
Éric Poujade, conseiller municipal au Vigan
« Notre mobilisation est encore très récente, mais nous allons sans doute nous structurer. »
© Guy Pichard

La région, fortement touchée par la sécheresse estivale de 2022 et toujours en manque d’eau, est riche de terres agricoles et de vignobles qui font son économie. « C’était très difficile d’aller voir les agriculteurs cet été et de leur dire qu’on coupait l’eau, témoigne Jean-Claude Blanc. Malgré les pertes, les producteurs ont fait des efforts et je les en remercie encore. Mais ils ne comprendront jamais si, demain, on donne autant d’eau à un golf ».

Si la végétation a eu du mal à pousser sur tout le territoire français l’été dernier avec la canicule, des initiatives de protestation ont en revanche fleuri, parfois même directement sur les greens. « Nous avions anticipé cette sécheresse, mais pas une partie de ses aspects médiatiques , déplore Sylvianne Villaudière, la vice-présidente de la Fédération française de golf. Certains golfs ont fait l’objet de dégradations et ont été attaqués par des personnes révoltées, pas seulement contre les golfs, mais plus largement, et qui sont radicalisées », dit-elle.

Dans les faits, seules onze structures golfiques ont été « vandalisées » cet été en France, mais leur traitement médiatique a donné à ces actions un grand écho. « Nous avons pénétré dans le golf des futurs Jeux olympiques dans les Yvelines, un immense domaine de 43 trous, explique Camille, d’Extinction Rébellion. Nous nous sommes introduits de nuit avec des pelles et des bêches pour creuser sur un green et y placer des plantes ainsi que des pancartes ». Datée du 19 septembre, cette action a eu lieu au golf national de Saint-Quentin-en-Yvelines, situé à Guyancourt. « Nous trouvions intolérable que les golfs aient des dérogations afin d’arroser leur pelouse en pleine sécheresse, continue la militante. C’est un peu le même problème qu’avec les mégabassines, il y a une concentration de la ressource de l’eau réservée à quelques-uns. »

Convoquée au commissariat pour un potager sur un golf

À genoux à gauche, Pauline Rapilly Ferniot a été la seule membre du collectif Ibiza convoquée au commissariat pour cette action.
Un potager installé sur un terrain de golf
À genoux à gauche, Pauline Rapilly Ferniot a été la seule membre du collectif Ibiza convoquée au commissariat pour cette action.
© Collectif Ibiza

Une autre initiative a aussi marqué l’opinion fin août, celle du collectif Ibiza au golf de Saint-Germain-en-Laye (également dans les Yvelines) : les militants y ont installé un potager, sans dégradation, mais avec des revendications similaires. « L’action était purement symbolique, elle ne fera pas changer le système et c’est justement l’intérêt de le faire à visage découvert : pour communiquer », explique Pauline Rapilly Ferniot, qui y avait participé.

Membre du collectif et élue EELV à la mairie de Boulogne-Billancourt, elle a ensuite été convoquée au commissariat sans savoir qui avait porté plainte. « Un journaliste de L’Équipe (le quotidien sportif, partenaire de la Fédération française de golf, aux côtés de Rolex, ndlr) m’a carrément engueulé au téléphone », se souvient-elle. L’élue a finalement dû suivre une journée de stage de citoyenneté d’un coût de 200 euros. La photo de l’action, elle, a largement fait le tour d’Internet. « Le principe de lutte des classes climatique a fait son chemin dans la tête des gens ! » constate Camille.

Guy Pichard

Photo de une : Au golf de Bréville-sur-Mer, en Normandie/©Guy Pichard.