Crise énergétique

Faut-il vraiment craindre des coupures d’électricité ?

Crise énergétique

par Anne Debrégeas

Les risques de coupures d’électricité cet hiver suscitent l’inquiétude. C’est un problème mineur en regard de la catastrophe écologique et de l’envolée des factures, due au marché de l’électricité, défend la porte-parole du syndicat Sud-énergie.

Le risque de coupures hivernales trouve sa cause principale dans un défaut de conception du parc nucléaire : la « corrosion sous contrainte », révélée lors d’un contrôle et qui concerne un nombre important de centrales, en particulier les plus récentes.

Anne Debrégeas
Anne Debrégeas
Économiste de l’énergie, porte-parole du syndicat Sud-Énergie.

Ce défaut impose des interventions de maintenance préventive, provoquant l’indisponibilité des centrales concernées y compris pendant l’hiver – période de forte consommation d’électricité. Cet « accident industriel », qui révèle une fragilité d’un parc très fortement dépendant du nucléaire, arrive à une période déjà contrainte par le retard de démarrage de l’EPR de Flamanville (12 ans de retard à ce jour !), par des incertitudes sur la disponibilité du gaz ajoutant un risque sur nos importations en provenance d’Allemagne notamment, par un faible débit de nos cours d’eau dû à la sécheresse qui dégrade la production des barrages, par les retards dans les politiques de baisse de la consommation et de développement des énergies renouvelables.

Cet épisode conjoncturel, qui entraînera des répercussions sur les prochaines années, ne révèle pas un sous-dimensionnement structurel de notre parc de production. Par ailleurs, la gravité du risque est à relativiser : deux heures de coupures, éventuellement plusieurs fois dans l’hiver, avec un préavis de plusieurs jours (le risque se précisant jusqu’à la veille au soir). Rien de dramatique a priori.

Certains ont pointé le risque de fermeture d’écoles pendant une demi-journée, de panne des feux de signalisation, un risque vital pour certains malades sous assistance respiratoire et un risque de ne pas pouvoir joindre les secours en raison d’antennes-relais téléphoniques coupées. Mais si vraiment notre société n’est pas résiliente à ce type de coupures électriques, c’est bien cela qu’il faut interroger.

La nouveauté n’est pas le risque de coupure, mais sa cause

Car chaque usager est coupé en moyenne une heure par an, en raison d’accidents sur le réseau (par exemple une chute accidentelle d’arbre) et donc sans préavis, sans ciblage. Par exemple, la moitié du Tarn-et-Garonne a subi une coupure d’une heure quinze fin novembre à la suite d’un incident réseau. Il faut donc espérer que la survie des malades n’est pas suspendue à ces coupures. De même, si les services d’urgence ne sont pas joignables à chaque coupure électrique, il faut s’interroger sur l’absence de secours des antennes-relais.

La nouveauté n’est pas le risque de coupure, mais sa cause : une insuffisance de production et non un problème de réseau. Mais, même sur ce point, le système électrique n’est pas dimensionné pour répondre à tous les scénarios. En théorie, il se cale même sur une défaillance moyenne de trois heures par an (c’est-à-dire trois heures pendant lesquelles certains usagers – pas tous – pourraient manquer d’électricité). Et cela n’a rien de choquant. On a été habitués à disposer, pendant des années, d’un parc en surcapacité. L’enjeu de sobriété, pas seulement énergétique, peut nous conduire à dimensionner le parc de production au plus juste, quitte à supporter, parfois, quelques coupures à condition d’en maîtriser l’impact.

L’absence de mesures efficaces pour lutter contre les passoires énergétiques et l’envolée des factures ont des conséquences autrement plus graves : combien de foyers en précarité énergétique, contraints de se priver de chauffage ? Combien de communes obligées de renoncer à des investissements nécessaires à la transition énergétique, de rogner sur les services publics de proximité et les aides aux associations ? Combien d’entreprises mises en difficulté ou exposées à la faillite ? Combien d’industries qui renoncent à une électrification de leurs procédés, pourtant essentielle dans la lutte contre le réchauffement climatique, ou qui baissent leur production (-17% de consommation industrielle constatée en début d’hiver) ou encore qui envisagent de délocaliser hors d’Europe ? Tout cela parce que leurs factures explosent en raison d’un marché de l’électricité délirant, dont les prix sont déconnectés des coûts de production.

Mais les États membres tout comme la Commission européenne ne renoncent toujours pas à faire rentrer le rond du système électrique dans le carré de la concurrence. Après avoir empilé les rustines en tout genre, aussi complexes qu’inefficaces, ceux-là mêmes qui ont théorisé, accompagné ou mis en place ce système indéfendable continuent à interdire tout débat.

La réforme structurelle du marché européen annoncée pour le premier trimestre 2023 n’envisage toujours pas la sortie de la concurrence et la mise en place de tarifs régulés pour ce bien essentiel qu’est l’électricité. Il est aujourd’hui urgentissime d’imposer ce débat, alors que le chaos créé par le marché nous empêche de planifier et de mettre en œuvre la transition énergétique. Au-delà de l’énergie, il est indispensable de se donner les moyens de transformer nos modes de production et de consommation … en commençant par refuser de partir à la retraite plus tard au nom du « travailler plus pour produire plus » !

Anne Debrégeas

Photo : Centrale nucléaire de Paluel/©Laurent Guizard