Plus de 150 000 emplois menacés en France, c’est le chiffre alarmant diffusé en novembre dernier par la CGT. Le syndicat, rejoint par la FSU et Solidaires, appelle à une journée de grève nationale ce jeudi 12 décembre pour la sauvegarde « de l’emploi et de l’industrie ». En novembre dernier, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, alertait sur les plus de 286 plans sociaux. , dans des entreprises comme Auchan, Stellantis, Michelin ou encore ArcelorMittal.
Les secteurs les plus menacés sont la métallurgie et le commerce. Derrière ces licenciements : des fermetures de site, des délocalisations et des stratégies d’allègement des coûts souvent destinées à augmenter les marges des grandes entreprises concernées, dont certaines réalisent pourtant des milliards d’euros de chiffre d’affaires et versent des centaines de millions d’euros à leurs actionnaires chaque année, comme le constatait l’Observatoire des multinationales.
Depuis l’annonce de la fermeture des différents sites, les salariés s’organisent à travers des grèves, des blocages ou des occupations. C’est par exemple le cas à Denain (Nord), où une vingtaine de salariés d’ArcelorMittal se sont mis en grève à l’annonce de leur licenciement et de la fermeture de leur usine, rapporte Rapports de force. En plus de ces moyens classiques de mobilisation pour tenter de sauver des emplois ou de négocier indemnités et reclassements, une autre alternative pourrait être la reprise en main par les travailleurs eux-mêmes des sites et activités concernés, sous la forme de coopératives.
Une société coopérative est une entreprise détenue en majorité par ses salariés qui en deviennent sociétaires. Chaque sociétaire, homme ou femme, travailleur ou investisseur, détient une voix à l’assemblée générale, à la différence des sociétés classiques où le nombre de voix détenues dépend du capital apporté. Les coopératives prennent ainsi les décisions stratégiques et d’organisation du travail de manière plus démocratique qu’une société par actions, où les actionnaires ont le dernier mot. Dans une coopérative, le dirigeant est élu par les salariés sociétaires et le chiffre d’affaires doit majoritairement être réinvesti dans l’activité. Il en existe plusieurs sortes comme la Scop (Société coopérative de production ou participative) et la Scic (Société coopérative d’intérêt collectif).
Déjà près de 5000 coopératives en France
À Gémenos près de Marseille, l’ancienne usine Unilever, maintenant appelée Scop-ti, fait partie de ces entreprises reprises par les salariés : face à la menace de fermeture de son site par la multinationale, elle a été transformée en coopérative. En 2010, le groupe qui détenait cette usine de fabrication de thé prévoit sa délocalisation vers la Pologne. Il laisse le choix aux 186 salariés entre le déménagement vers l’est de l’Europe ou le licenciement. Des salariés s’organisent alors pour récupérer leur usine et créer une coopérative, et relancer la production qui reprend en 2015. La Scop a développé sa propre marque de thé, 1336, (et de jus de fruits désormais). Au sein de Scop-ti des ouvriers ont pu changer de poste, aménager leur travail en fonction de leurs fragilités et ont décrété la fin du travail de nuit et le week-end.
En France, on peut trouver de nombreux exemples similaires. Comme celui de la librairie Les Volcans, à Clermont-Ferrand, reprise en coopérative par douze de ses salariés en 2014, après sa mise en liquidation judiciaire. Du restaurant l’Après-M à Marseille, ancien McDonald’s devenu Scop. Ou encore, très récemment, de l’ancienne verrerie Duralex, à Orléans. La Confédération générale des Scop et des Scic comptait près de 5000 entreprises, représentant 85 000 emplois et plus de neuf milliards d’euros de chiffre d’affaires, avec notamment le développement récent de petits supermarchés en coopérative.
C’est un modèle que l’on retrouve aussi à l’étranger, comme dans cette ancienne usine automobile près de Florence, en Italie, transformée en coopérative par ses ouvriers après l’annonce de sa fermeture et d’un plan de licenciement important.
Réappropriation de leur outil de travail par les salariés, partage du chiffre d’affaires, démocratie interne… Bien qu’encore peu exploré et peu soutenu par les pouvoirs publics, le modèle de la coopérative fait partie de ces alternatives qui pourraient permettre de sauvegarder des emplois, mais aussi de travailler et produire différemment.
Lisa Damiano
Photo : À l’usine Duralex d’Orléans, reprise en société coopérative de production (Scop) par ses salariés et l’ancienne direction en août 2024/©Benoît Collet. Lire notre reportage sur Duralex.