La Cour de cassation va-t-elle clore l’affaire liée à la mort d’Angelo Garand, tombé à 37 ans sous les balles des gendarmes ? « Ça paraît mal engagé mais on lâchera pas ». Accompagnée d’Awa Gueye – sœur de Babacar également abattu par les forces de l’ordre à Rennes (lire ici) –, Aurélie Garand s’est montrée déterminée lors de la conférence de presse à la suite de l’audience. La sœur d’Angelo porte ce combat judiciaire depuis trois ans et s’est dite prête « à saisir la Cour européenne des droits de l’homme ». Elle arborait un t-shirt blanc taché de cinq points rouges, comme les cinq balles qui ont atteint son frère...
Légitime défense ou exécution ?
Il est 13h ce jeudi 30 mars 2017, à Seur (Loir-et-Cher), quand une quinzaine d’hommes armés en uniforme pénètrent dans la ferme de la famille, dite des gens du voyage, alors réunie autour d’un barbecue. À la recherche d’Angelo, les membres du GIGN mettent en joue les hommes présents – frère, père, oncle – les menottent au sol puis procèdent à une perquisition. Celui que les médias décriront comme « le gitan en cavale » ou le « multirécidiviste » n’est pas rentré, depuis six mois, d’une permission de sortie de la prison de Vivonne (Vienne) où il était incarcéré pour conduite sans permis, vols et bagarre. Des « faits mineurs », précise sa sœur. Pourquoi un tel commando pour interpeller Angelo ? D’après les informations du journal Libération, l’intervention pourrait avoir été menée dans le cadre d’un exercice de l’antenne de Tours du GIGN.
Alors que ces gendarmes d’élites s’apprêtent à repartir, ils entendent un bruit dans la remise où se cache Angelo. Cinq fonctionnaires s’y précipitent. Huit coups de feu retentissent. Selon la version officielle, Angelo les aurait attaqués au couteau après avoir résisté à des tirs de Taser [1]. La famille affirme n’avoir entendu aucune sommation, conteste cette version et parle d’exécution.
Six mois après les faits, les deux tireurs sont mis en examen pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » par une juge d’instruction qui sera bientôt remplacée. En octobre 2018, un non-lieu est prononcé, ordonné par le nouveau magistrat instructeur. Motif ? Légitime défense des gendarmes. Les proches du défunt font appel de la décision. En février 2019, le non-lieu est confirmé par la cour d’Orléans. Cette fois, la décision se fonde sur la loi de sécurité intérieure, promulguée un mois avant la mort d’Angelo Garand. Pour la première fois, des forces de l’ordre bénéficient de l’article L435-1 qui étend leur droit d’usage de tirs, au delà du cadre de légitime défense [2]. « Cet arrêt va créer une première jurisprudence et fixer la portée de cet article », a déclaré l’avocat des gendarmes, maître Laurent-Franck Liénard (lire son analyse ici). Cette affaire comporte donc des enjeux judiciaires qui concernent l’ensemble des personnes tuées par balles, ou qui le seront, par la police ou les gendarmes.
Le collectif « Justice pour Angelo » vise à éviter qu’un « permis de tuer » ne soit accordé aux forces de l’ordre, sur le dos de ce père de trois enfants (lire leur analyse des tenants et aboutissants de ces non-lieux). « C’est comme si les arguments de nos avocats n’avaient pas été entendus. Aujourd’hui, la justice n’acquitte même plus, il n’y a plus de procès », se désole le collectif de soutien.
En février 2019, les huit parties civiles se sont donc pourvues en cassation afin qu’ait lieu un jugement. Les magistrats de cette haute juridiction ne statuent pas sur le fond de l’affaire mais sur la conformité juridique des décisions. Sans détailler plus avant, l’avocate générale a toutefois affirmé que dans cette « affaire douloureuse, les gendarmes ont agi en suivant une “riposte graduée“. Ils n’ont pas tiré pour neutraliser Angelo mais parce qu’il était dangereux », poursuit-elle pour motiver son rejet du pourvoi, qualifiant d’« instruction complète » le travail des juges.
« Je ne souhaite pas nécessairement que les gendarmes aillent en prison, Angelo y est allé et ça sert à rien »
Pourtant, comme souvent dans ce genre d’affaires, plusieurs zones d’ombres n’ont pas été dissipées par l’instruction (Lire notre enquête). Si l’instruction a établi qu’Angelo Garand était muni d’un couteau, pourquoi un médecin urgentiste aurait déclaré que « le gars n’était pas armé », lors du constat de décès ? Pourquoi son corps sans vie a-t-il été démenotté pour être repositionné sur le dos avant d’être remenotté dans... « une position plus confortable », avec le couteau « dans le prolongement du bras droit » ? Pourquoi les horodateurs du Taser mentionnent neuf secondes d’écart entre les impulsions alors que les récits font mention de tirs simultanés ? Ces contradictions entre les déclarations des gendarmes et celles des témoins de la famille, et les incohérences entre les version des agents eux-mêmes, incompatibles avec les expertises balistiques, sont pointées dans une contre-enquête menée par le sociologue Didier Fassin.
Toutes ces questions sans réponses, la famille aurait aimé les poser devant une cour de justice. Fait rare, la présidente de la cour a « exceptionnellement » accordé aux parties civiles le droit de prendre la parole devant la Cour de cassation. « Si la Cour veut appliquer l’article L435-1, qu’elle le fasse lors d’un procès public et non dans une décision de bureau », a prévenu la sœur du défunt, debout face aux magistrats, visiblement étonnés de la présence d’un public dans la salle. « La justice, c’est aussi connaître la vérité. On n’aura pas de deuil. Je ne souhaite pas nécessairement que les gendarmes aillent en prison, Angelo y est allé et ça sert à rien. » À l’automne dernier, Aurélie Garand nous interpellait : « Vit-on en démocratie si des gendarmes peuvent tirer cinq balles dans le torse d’une personne sans s’en expliquer sur la place publique ? »
Ludo Simbille
Photo : Manifestations contre les violences policières, le 6 juin à Paris / © Pedro Brito Da Fonseca