Coïncidence du calendrier parlementaire et/ou sombre ironie. Ce 23 juillet l’Assemblée nationale recevra Greta Thunberg, la jeune militante suédoise initiatrice des grèves mondiales du climat. La jeune femme visite les capitales européennes pour alerter les Parlements et les responsables politiques des manquements catastrophiques de leurs politiques de lutte contre les dérèglements climatiques, et pour les appeler au sursaut, au nom de la jeunesse.
Or c’est ce 23 juillet que le CETA, accord de libéralisation du commerce et de l’investissement entre l’Union Européenne et le Canada, sera soumis au vote solennel des député.e.s. Quel plus terrible symbole de l’aveuglement climatique que cet accord qu’Emmanuel Macron s’acharne à faire ratifier ?
Le CETA, une « calamité climatique »
La Commission Schubert, installée en juillet 2017 par le gouvernement pour conduire une analyse indépendante du CETA, avait souligné le « manque d’ambition environnemental » du traité, et mis en évidence l’absence de dispositif sérieux à même de répondre aux impératifs de protection du climat, telle que la limitation du commerce des énergies fossiles ou l’existence d’un mécanisme légal à même d’interdire les pratiques de commerce ou d’investissement dommageables au climat.
La nocivité du CETA pour le climat et pour la planète apparaît indiscutable : augmentation des émissions liées au fret transatlantique, encouragement des pratiques d’agriculture et d’élevage les plus intensives, incitation à la production et l’exportation de carburants fossiles ultra-polluants et émetteurs, emprise accrue des lobbies industriels sur les mécanismes d’élaboration des lois et des normes relatives au climat et à l’environnement, via les dispositions de « coopération réglementaire »... Qu’ils soient réels ou inventés, les bénéfices du traité (restreints, et concentrés sur quelques niches économiques) dont se targue le gouvernement, et les éléments de langage que mobilisent ses membres depuis deux semaines, n’y changent rien : le CETA est une calamité climatique.
Les décideurs nient que l’économie mondiale réchauffe la planète
Or le traité signé entre l’UE et le Canada n’est que la pointe émergée d’un iceberg gigantesque, dont il devient urgent de tout faire pour s’éloigner : la politique de commerce et de l’investissement de l’UE et des grandes puissances, au service d’une globalisation économique et financière elle-même motrice de la dégradation des équilibres écologiques et climatiques mondiaux. Les signaux d’alerte ne manquent pourtant pas, et la visite de la jeune suédoise militante de la cause climatique en plein cœur du second épisode caniculaire de l’été exacerbe dramatiquement l’ironie.
Car officiellement, à Bruxelles comme à Matignon et à l’Élysée, il n’existe aucun rapport entre commerce et investissement d’une part et climat d’autre part : on y promeut l’un tout en prétendant combattre l’autre.
Aucun rapport entre l’accroissement du transport de marchandises et l’augmentation des émissions de CO2. Entre la déforestation massive organisée par l’agro-industrie et la réduction des moyens naturels de capture du carbone, entre la bétonisation opérée par la grande distribution et la multiplication des épisodes de chaleur extrême… Officiellement aucun lien non plus entre le pouvoir croissant conféré aux acteurs industriels privés, via l’arbitrage investisseur-État par exemple, et l’impossibilité chronique à réglementer en faveur de la transition énergétique au plan local, national ou international…
Comme si une forme nouvelle de négationnisme climatique s’était emparée des décideurs politiques et économiques : il ne s’agit bien-entendu plus de nier le réchauffement climatique lui-même, mais de nier que ce sont les règles qui organisent cette formidable machine à réchauffer la planète qu’est l’économie mondiale qu’il importe aujourd’hui de repenser.
Enclencher la fonction « pause »
La science du climat documente pourtant clairement le lien de causalité existant entre l’approfondissement des dérèglements climatiques et la multiplication des épisodes météorologiques extrêmes, dont les canicules et les sécheresses.
Des parlementaires lucides et responsables devraient se rendre à l’évidence du seul choix qui s’impose à eux : enclencher la fonction PAUSE et se donner le temps de la réflexion.
Les fondements et les paradigmes inspirant la politique de commerce et d’investissement de l’UE datent de l’après-guerre, quand l’expansion industrielle, l’urbanisation et la globalisation des transports et des échanges devaient jalonner le cheminement de l’humanité toute entière vers la prospérité ultime. Soixante ans plus tard, il est temps de réinterroger nos concepts, et de mettre à jour un logiciel manifestement défaillant, bâti sur la logique du moindre coût, et conçu pour enrichir une minorité.
Le commerce survivrait à un éventuel rejet du CETA
Il ne s’agit pas d’en finir avec le commerce, à contre-pied des caricatures fabriquées par nos détracteurs : le commerce entre l’UE et le Canada préexistait largement au CETA, et il survivrait à un éventuel rejet du traité, en France ou dans un autre pays. Rappelons que la structuration d’échanges commerciaux entre nations a largement précédé l’édification des premiers accords de libre-échange, quand, il y a trois siècles, les ancêtres des multinationales d’aujourd’hui ont entrepris de confisquer le droit international, alors à ses prémices, pour servir leurs intérêts immédiats.
La radicalisation de cet effort politique, au lendemain de la seconde guerre mondiale, s’est opérée via la multiplication des accords bilatéraux d’investissement dès la fin des années 50 puis la sédimentation d’un droit commercial aujourd’hui verrouillé par l’OMC et sa douzaine d’accords, qui constitue la base de tout accord bilatéral de commerce signé par ses membres.
Pas de commerce sur une planète morte
Mais ces règles n’ont rien d’inéluctables, elles procèdent de choix politiques que la France s’honorerait de questionner, pour, par exemple, que la discrimination entre énergies propres et énergies fossiles soit désormais possible, ou encore qu’un bien produit localement, sans externalité climatique, puisse être favorisé par rapport à son équivalent transporté depuis l’autre bout du monde.
Quand les promoteurs du traité la jouent « la liberté [du commerce] ou la mort », oubliant sans doute qu’il n’y aura ni commerce ni parts de marché sur une planète morte, l’enjeu historique face auquel les parlementaires français doivent se déterminer est tout autre : persister dans le modèle économique qui détruit la planète, empoisonne des millions de personnes et génère des inégalités colossales, ou engager la rénovation des règles internationales du commerce et de l’investissement ?