Agrobusiness

« Hectar » , le projet d’école de Xavier Niel pour livrer l’agriculture aux nouvelles technologies

Agrobusiness

par Collectif

Xavier Niel, le patron de Free, veut ouvrir dans les Yvelines le « plus grand campus agricole du monde ». Un collectif en faveur l’enseignement agricole public alerte sur les risques de cette école qui se veut surtout un « accélérateur de start-up ».

À grand renfort de publicité, Xavier Niel, patron de Free, et Audrey Bourolleau annonçaient en septembre 2021 l’ouverture de l’école d’agriculture « Hectar » dans les Yvelines comme « un accélérateur de start-up et d’innovations, une ferme pilote en agriculture régénératrice, des espaces de coworking, des séminaires et une sensibilisation des jeunes ». Un an après, les membres du collectif en faveur l’enseignement agricole public sont toujours aussi inquiets.

Le ministère de l’Agriculture est resté publiquement muet sur cette nouvelle école. Interrogé par la mission Sénat sur l’enseignement agricole, Julien Denormandie s’est contenté de répondre : « S’agissant d’Hectar, je n’ai pas de commentaire particulier à faire sur cette initiative privée ». De nombreuses organisations ont pourtant directement interpellé le ministre pour dénoncer l’ouverture d’un établissement privé d’enseignement dans lequel certaines formations diplômantes sont prévues, contrairement à ce qui avait été affiché au départ par ses promoteurs. Les financeurs d’Hectar refusent toute présentation du projet devant les acteur.rices de l’enseignement agricole.

Plus inquiétant encore, alors que la mission d’information du Sénat avait souhaité auditionner Audrey Bourolleau, celle-ci a refusé à plusieurs reprises de s’exprimer devant les sénateur.ices et de répondre à leurs questions, « préférant manifestement déployer une communication large mais maîtrisée dans certains médias », selon les membres de la mission sénatoriale.

Mais nous le savons, si ce n’est celui du ministre de l’Agriculture, l’appui direct de la présidence de la République au projet Hectar ne fait aucun doute puisque sa directrice n’est autre que l’ex-conseillère sur les questions agricoles d’Emmanuel Macron à l’Élysée, et désormais à nouveau impliquée directement dans sa campagne pour la présidentielle 2022. Il est aussi à noter que le conseil régional d’Île-de-France fait aujourd’hui partie des partenaires d’Hectar et a contribué financièrement à sa création... Région dont la présidente, Valérie Pécresse, est elle aussi candidate à l’élection présidentielle.

« Nous avons vu fleurir des centres de formation privés »

Du côté de la FNSEA, la crainte exprimée à de nombreuses reprises est que cette nouvelle école promeuve la viande de synthèse au détriment de l’élevage. Mais force est de constater que la FNSEA ne s’attaque jamais ou si peu aux autres risques que fait peser aujourd’hui un tel projet sur la formation des agriculteur.rices et sur l’agriculture en général. Depuis le Salon de l’agriculture, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, semble même s’en accommoder, jusqu’à exprimer « sa curiosité » pour cette nouvelle établissement.

Depuis l’arrivée des premier.ères candidat.es en septembre, Audrey Bourolleau évoque une « business school agricole, avec des master class » qui, plutôt que des étudiant.es, accueillera en fait des start-up. La réalité des objectifs de formation est l’agriculture « i-tech », le recrutement d’« apprenti.es codeurs », issus de l’école 42 de Monsieur Niel, qui travailleront sur « le développement de compétences techniques en traitement des données et intelligence artificielle pour répondre au contexte et surtout aux besoins du monde agricole » et qui fourniront des logiciels pour les outils connectés et robotisés...

Une étonnante vision élitiste de la formation agricole et de l’agriculture, sans doute en phase avec la « start-up nation » chère au président de la République, mais en décalage complet avec les besoins, aujourd’hui massifs, de formation pour remplacer la génération des agriculteur.rices partant massivement en retraite sous cinq à huit ans. À moins bien sûr qu’il s’agisse ici de pourvoir à un autre type de remplacement... en allant toujours davantage dans le sens de la concentration des terres dans les mains d’un entreprenariat agricole décomplexé.

L’investissement de monsieur Niel dans la formation agricole a été la preuve que, y compris dans ce secteur, la manne financière était importante et très profitable, dès lors que l’on sache vendre le produit. Il pourrait aussi être attiré par La French Agri-tech 20 dotée de 200 millions d’euros de financement public. Nous avons ainsi vu fleurir des centres de formation privés tel que ceux de Carrefour ou Lactalis mais également nombre de projets d’écoles privées d’enseignement supérieur, dont une université des métiers de la vigne et du vin à l’abbaye de Vertheuil, dans le Médoc, ou encore une haute école du bois et de la forêt dans les Hautes-Alpes. Toutes ces écoles font valoir une volonté de développer une nouvelle forme d’agriculture... mais toutes sont portées par des intérêts privés très lucratifs !

À défaut d’être un innocent complément de la formation agricole existante aujourd’hui sur l’ensemble du territoire, ce qui aurait été un moindre mal, l’« école » Hectar apparaît comme un des faux-nez d’un système déstructurant les outils publics d’enseignement et de formation actuels pour mieux en accaparer les restes demain. Elle est aussi un leurre, se cachant derrière un discours agroécologique dont elle détourne le propos et les finalités, pour en réalité promouvoir une agriculture à l’opposé de l’agriculture paysanne, encore plus productiviste, destructrice d’emplois mais également créatrice de dépendance des futurs agriculteur.rices aux outils connectés et robotisés comme à ceux et celles qui possèdent ces mêmes outils et auront demain la main-mise sur le juteux marché des données agricoles.

CDDEAP, CGT agri, Confédération paysanne, Fadear, FCPE, CGT fnaf, Ingénieurs sans frontière, Plus jamais ça, Snetap FSU, FO enseignement agricole, Sud Rural territoires, SEA Unsa, FSU.

Photo : action du collectif à la Défense, à Paris, le 29 mars 2022.