Le sort de Vincenzo Vecchi, ce militant altermondialiste réfugié en France et qui risque 12 ans et demi de prison en Italie, est désormais entre les mains de la Cour de cassation, qui doit rendre une décision aujourd’hui, mardi 11 octobre 2022. Nous espérons qu’elle ne suivra pas l’arrêt du 14 juillet 2022 de la Cour de justice européenne (CJUE), qui dévoie le mandat d’arrêt européen, censé servir l’État de droit.
De quoi parlons-nous ? Avec le mandat d’arrêt européen (MAE), institué en 2002, les 27 états européens peuvent s’échanger leurs ressortissants criminels. C’est plus facile, et plus rapide que la procédure d’extradition. Pour les infractions les plus graves (assassinats, actes de terrorisme par exemple), ce MAE est automatique sans condition. Pour les infractions mineures, l’exécution du MAE peut être refusée si l’infraction pénale pour laquelle la personne est recherchée ne constitue pas également une infraction pénale dans l’État où elle est réfugiée : c’est ce que l’on appelle la condition de la double incrimination. Pour Vincenzo Vecchi, la CJUE a choisi de ne pas tenir compte de cette condition.
Vincenzo Vecchi, militant altermondialiste, sévèrement condamné pour avoir participé à la manifestation du contre-sommet du G8 à Gênes en juillet 2001, risque 12 ans et demi et prison, 21 ans après les faits, alors qu’il vit en France depuis 11 ans ! Les manifestations à Gênes ont été parmi les premières contestations de masse d’alerte au péril climatique. Elles ont donné lieu à une justice à deux vitesses en Italie : une répression policière des manifestants extrêmement violente (un mort, 600 blessés) restée impunie, tandis que dix manifestants, dont Vincenzo Vecchi, ont été lourdement condamnés pour l’exemple.
Pour Vincenzo Vecchi et tous les citoyens européens
Après l’impunité de ces violences policières qualifiées, par les instances internationales « d’actes de torture », est venu le temps de l’habillage juridique d’une véritable vendetta d’État. L’Italie a ressorti le crime de « Dévastation et pillage » créé en 1930 sous Mussolini. Celui-ci repose sur le « concours moral », et vous désigne comme coupable de dégradations commises autour de vous, même si vous n’y avez pas participé. C’est l’intentionnalité supposée de commettre une infraction qui est retenue, sans qu’aucune preuve ne soit avancée.
La cour d’appel d’Angers, suivie dans ce raisonnement par la Cour de cassation française, avait refusé le MAE concernant Vincenzo Vecchi, estimant que le crime de « dévastation et pillage » n’a pas d’équivalent en droit français. Mais la CJUE ne partage pas cet avis. Par un arrêt rendu le 14 juillet dernier, elle abolit ce contrôle de la double incrimination. C’est pourtant un puissant « garde-fou » du respect des valeurs de l’État d’exécution, afin que la liberté de la personne recherchée ne soit pas sacrifiée, et que cet État conserve la souveraineté de ses principes de droit, reflets de ses valeurs. Cette jurisprudence de la CJUE est réellement problématique : un crime devient équivalent à un délit (pourquoi pas bientôt à une contravention !).
Elle justifie qu’une « correspondance imparfaite » suffit entre les infractions. Ce n’est plus du droit, bouclier de la liberté, mais du bricolage ! Même désinvolture sémantique avec le principe de proportionnalité pourtant édicté comme supérieur, dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il en résulte que la CJUE valide l’entrée d’une loi fasciste dans l’espace juridique européen et l’impose à l’autorité judiciaire française, ainsi qu’aux 26 autres État européens. On ne peut, on ne doit pas l’accepter, pour le respect de nos droits, dont l’enjeu est la liberté du citoyen européen, et présentement celle de Vincenzo Vecchi.
Les signataires de la tribune :
Eva Joly ex-députée européen, avocate au barreau de Paris,
Christiane Taubira ex-ministre de la Justice, parlementaire honoraire,
Yvon Chotard avocat au barreau de Nantes, adjoint au maire de Nantes,
Francis Wurtz ancien député au Parlement européen,
Didier Liger avocat au barreau de Versailles,
Nicolas De Sa-Pallix avocat au barreau de Paris,
Mohamed Jaite avocat au barreau de Paris, membre de l’AMDH,
Karine Shebado avocate au barreau de Paris,
Cécile Brandely avocate au barreau de Toulouse,
Gilles Piquois avocat au barreau de Paris,
Jean Jacques Gandini avocat au barreau de Montpellier,
Michèle Blanc avocate au barreau d’Annecy,
Karine Djinderedjian avocate au barreau d’Annecy,
Lidia Bizon Francesconi avocate au barreau de Marseille,
Yann Choucq avocat honoraire au barreau de Nantes, président honoraire du Centre de formation des avocats de la cour de Rennes,
Henri Leclerc avocat honoraire, président honoraire de la LDH,
Stéphanie Carta avocate au barreau de Marseille,
Nicole Foulquier avocate au barreau de Béziers,
Maxime Tessier avocat au barreau de Rennes,
Catherine Glon avocate au barreau de Rennes,
Magali Julou-Poirier avocate au barreau de Bordeaux,
Marianne Lagrue avocate au barreau de Paris,
Vincent Le Junter avocat au barreau de Montpellier,
Caroline Chiclet magistrate, membre du SM,
Aline Cahoreau magistrate,
Isabelle Henocque avocate au barreau de Lille,
Ophélie Berrier avocate au barreau de Bordeaux, présidente SAF Bordeaux,
Carole Bohanne juriste, Présidente du MRAP d’Îlle et Vilaine,
Jean Launay magistrat,
Vincent Brengarth avocat au barreau de Paris,
William Bourdon avocat au barreau de Paris,
Raphaël Kempf avocat au barreau de Paris,
Mélanie Le Verger avocat au barreau de Rennes,
Brigitte Sibué magistrate,
Geofroy De Lagasnerie philosophe et sociologue, professeur à l’école supérieure d’arts de Cergy-Pontoise,
Sylvain Pattieu historien et écrivain,
Manuel Cervera-Marzal Docteur en Sciences Politiques, université de Liège.
Photo : Les associés de Echopaille, scop d’écoconstruction dans laquelle travaille Vincenzo Vecchi.