Agriculture

« Il faudra à l’avenir privilégier les chaînes d’approvisionnement alimentaire courtes et plus solides »

Agriculture

par Urgenci

Cette pandémie révèle la fragilité du modèle agricole industriel. Et la pertinence d’alternatives résilientes et soutenues par les citoyens, comme les Amap en France. Le réseau Urgenci témoigne du succès actuel de ces circuits agricoles courts, partout dans le monde. Voici son analyse.

La lutte planétaire dans laquelle nous sommes tous engagés contre l’épidémie du Covid-19 n’est qu’une répétition de la grande campagne qui s’annonce, pour construire des systèmes alimentaires locaux durables fondés sur de nouvelles alliances entre producteurs et les consommateurs.

Nous sommes au seuil d’une crise alimentaire mondiale, non pas en raison du manque de nourriture, mais plutôt parce qu’elle ne peut pas être récoltée ou transportée jusqu’au consommateur. Cela montre qu’il faudra à l’avenir privilégier les chaînes d’approvisionnement courtes et plus solides, favorisant la traçabilité et la souveraineté alimentaire locale.

Les différents modèles d’Agriculture soutenue par les Citoyens (ASC [1]), que ce soit les Amap en France ou les CSA aux États-Unis, par exemple, réagissent rapidement et font face à la crise avec succès partout en Europe et dans le monde. « En Chine, au pic de la crise du Coronavirus, en janvier, la demande a crû de 300 % ! », s’exclame Shi Yan, la pionnière du modèle ASC en Chine et la co-Présidente d’Urgenci. « Nos producteurs continuent d’être sous pression pour répondre à la demande. »

Isa Álvarez, vice-présidente d’Urgenci, le réseau international des ASC, décrit de façon similaire la situation au Pays basque espagnol : « Le gouvernement a recommandé de fermer les marchés en plein air, mais les réseaux d’ASC fonctionnent plus que jamais. Le seul problème, c’est qu’en raison des restrictions à la mobilité, seuls les agriculteurs sont autorisés à faire les livraisons et qu’ils doivent les faire maison par maison ».

Aux Pays-Bas, Bregje Hamelynck, une maraîchère néerlandaise en ASC constate que, dans le contexte actuel, « plus la source est proche, plus la relation entre l’agriculteur et le citoyen semble forte, et plus l’approvisionnement alimentaire est sûr ». Ruby van der Wekken, du réseau finlandais des groupes en ASC renchérit : « nos partenariats ne sont pas seulement le moyen le plus sûr d’obtenir de la nourriture pendant cette période, ils font aussi partie de la solution pour un avenir plus sain ».


Résilience de l’approvisionnement en circuit court

Dans le contexte de la pandémie actuelle, la distribution hebdomadaire des paniers d’Agriculture Soutenue par les Citoyens a été maintenue partout. Différents facteurs favorisent la résilience de ce mode d’approvisionnement. D’abord, les producteurs et les consommateurs veillent à ce que la distribution de paniers se fasse conformément aux nouvelles normes sanitaires. Ensuite, les paniers sont préparés en amont de la distribution. Cela réduit considérablement le contact humain avec les aliments et entre les personnes.

Troisièmement, en ASC, les distributions sont planifiées à l’avance. Il n’est pas nécessaire de s’attrouper, ni de faire la queue comme lors du passage en caisse dans un supermarché. Chaque groupe peut s’organiser de sorte que la collecte du panier soit échelonnée et qu’il n’y ait jamais plus d’une poignée de personnes présentes en même temps. De plus, il n’y a pas de transactions en espèces : tout est commandé et payé à l’avance ou en ligne. Les espèces (billets et pièces) étant un vecteur de transmission du virus, c’est un aspect important.

La distribution est courte et immédiate. Cela réduit les interactions et le risque de contamination. Enfin, si nécessaire, afin de protéger les personnes vulnérables, les paniers peuvent être livrés à votre porte. Il suffit de vérifier avec votre groupe local ce qui est mis en place. On voit actuellement une multiplication des partenariats entre producteurs et consommateurs du type ASC. La distribution en plein air de produits prépayés est l’un des moyens les plus sûrs de s’approvisionner, plus sûre que de faire ses courses dans des supermarchés sans aucun doute !

Bien-être social et mental

Les réseaux nationaux et régionaux de l’ASC travaillent en étroite collaboration avec les autorités locales. Selon Gaelle Bigler, présidente d’un réseau d’ASC Suisse, « les membres ont dû changer toutes leurs pratiques, depuis leur système de livraison jusqu’à la gestion des bénévoles. C’est, à la fois, très compliqué mais en même temps très excitant, puisque que tout le monde semble réaliser que nous jouons un rôle important dans la fourniture d’aliments sains à la population des villes. Avec la fermeture des frontières, les très gros maraîchers ont eu des problèmes d’emploi puisqu’ils embauchent habituellement des travailleurs saisonniers étrangers et peu rémunérés, contrairement à nous, les groupes d’ASC, qui n’en employons pas. En tant que coordonnatrice du réseau, j’ai été contactée par plusieurs fonctionnaires qui voulaient dresser la liste de toutes les petites chaînes d’approvisionnement possibles. J’aimerais ajouter qu’ils nous connaissaient tous et nous ont remerciés pour notre travail ! »

Un autre aspect critique et encore négligé de la pandémie actuelle est celui du bien-être social et mental. En période de confinement généralisé, les gens sont de plus en plus isolés. Dans ce contexte, selon Fatima Zohra Hocimi en Algérie « l’ASC permet aux gens de se connecter entre eux, de briser les frontières sociales et de servir une cause qui les dépasse. L’ASC avec la construction multidimensionnelle de la santé est l’avenir du bien-être des communautés ».

« Il est temps de prendre le chemin de l’agroécologie et de la souveraineté alimentaire »

En ce moment effrayant où nous avons tant besoin de solidarité et de compassion, mais alors que nous devons malgré tout rester séparés, l’Agriculture Soutenue par les Citoyens a un rôle essentiel à jouer pour nourrir les communautés locales en toute sécurité.

Nous devons continuer à penser cette crise dans une vision à long terme. Que se passera-t-il une fois que la pandémie sera maîtrisée ? Comment cela affectera-t-il la chaîne d’approvisionnement de type industriel et les systèmes alimentaires alternatifs ? Est-ce que la sensibilisation du public sera montée d’un cran et permettra à l’agriculture paysanne et familiale de devenir le pilier de nos systèmes alimentaires ? Et les gains actuels en termes de réduction des gaz à effet de serre seront-ils convertis en une victoire durable dans la lutte contre les changements climatiques ? 

Notre responsabilité est de contribuer à une approche fondée sur les droits humains qui vise à préserver les moyens de subsistance des producteurs et à assurer aux consommateurs un accès continu à une alimentation saine et nutritive produite localement. Notre rôle consiste à demander un soutien institutionnel accru pour les réseaux de l’ASC en cette période de crise, et à nous assurer qu’ils sont en mesure de répondre à l’explosion de la demande. Il est temps de prendre le chemin de l’agroécologie et de la souveraineté alimentaire pour aller vers des systèmes alimentaires démocratiques, par les citoyens et pour les citoyens.

Pour débuter un nouveau partenariat en ASC, rendez-vous sur la plateforme d’apprentissage en ligne de Urgenci. Beaucoup de réseaux d’ASC à travers le monde effectuent une veille d’informations et de conseils pour soutenir leurs membres, comme au Royaume-Uni et en France. Ce sont des ressources précieuses qui permettent aux chaines d’approvisionnement locales d’opérer dans de bonnes conditions.

Réseau International URGENCI, le 8 avril 2020.

Photo : © Anne Paq / Distribution des paniers bio du Marché sur l’eau, qui propose aux consommateurs des produits frais produits en Ile-de-France. Des dispositions ont été prises pour que les gestes barrières soient respectés et des instructions avaient été envoyées par avance aux consommateurs.

Notes

[1L’agriculture soutenue par les citoyens a été définie par la déclaration européenne d’Ostrava (2016) comme « un partenariat fondé sur des rapports humains directs entre des consommateurs et un ou plusieurs producteur(s), où les risques, responsabilités et bénéfices du travail agricole sont partagés dans le cadre d’un engagement mutuel sur le long terme ». Le modèle français de l’ASC est l’Amap, Association pour le maintien d’une Agriculture paysanne. En Suisse, c’est l’ACP, Agriculture contractuelle de proximité, et en Belgique ce sont les Gasap, Groupes d’achat solidaire de l’Agriculture paysanne. Dans les pays anglo-saxons, on parle plus volontiers des CSA, Community Supported Agriculture. Le texte de la Déclaration européenne est disponible sur le site de Urgenci.