En Allemagne, des élections dominées par l’extrême droite, le climat à la trappe

par Rachel Knaebel

Le parti d’extrême droite AfD est crédité de 20 % des voix pour les élections législatives allemandes du 23 février. Les débats tournent autour de l’immigration, la question climatique a presque disparu. Sauf chez les Verts, qui se maintiennent.

« Confiance », « Ensemble ». Les mots s’inscrivent en majuscules sur les affiches de campagne des Verts allemands, sous les visages de leurs ministres stars, Robert Habeck, en charge de l’Économie depuis 2021, et Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères.

Les Allemandes et Allemands sont appelées aux urnes le 23 février pour des élections législatives anticipées. Celles-ci devaient normalement avoir lieu à l’automne. Elles ont été organisées sept mois plus tôt, après l’éclatement de la coalition au pouvoir qui réunissait dans un même gouvernement, sociaux-démocrates, Verts et libéraux. Les relations des deux premiers avec le parti libéral ont été mauvaises dès le début. L’alliance a fini par craquer.

Aujourd’hui, après trois ans de guerre en Ukraine, plus de quinze mois de guerre à Gaza, un second mandat de Donald Trump qui bouleverse le monde entier, les nouvelles élections se jouent dans une tout autre ambiance qu’il y a quatre ans. En 2021, la question écologique était au cœur de la campagne. Elle n’est maintenant presque plus abordée dans les débats et a même quasiment disparu des affiches des Verts.

« On a l’impression que cette campagne a lieu sur une autre planète, regrette Pit Terjung, porte-parole du mouvement de jeunes pour le climat Fridays for Future. Pourtant, la crise climatique s’est renforcée ces dernières années. On sort de l’année la plus chaude depuis qu’on mesure la température. En janvier, des feux ont ravagé Los Angeles. Au regard de cette escalade, c’est complètement malhonnête et irréaliste de négliger la crise climatique comme le font les partis dans cette campagne », accuse le jeune homme de 19 ans qui vote pour la première fois cette année.

L’immigration au centre des débats

À la place du climat, les partis parlent surtout d’immigration, alors que trois attaques meurtrières ont frappé le pays ces derniers mois. En décembre, un homme saoudien de 50 ans vivant en Allemagne depuis 2006 a foncé dans un marché de Noël, tuant six personnes. L’homme, médecin, était connu pour ses opinions radicalement hostiles à l’islam et pour être favorable aux discours d’extrême droite.

En janvier, un demandeur d’asile afghan de 28 ans souffrant de troubles psychiatriques s’en est pris à un groupe d’enfants dans un jardin public dans le sud du pays, tuant au couteau un garçon et un adulte. Le 13 février, un homme afghan de 24 ans a percuté avec une voiture une manifestation syndicale à Munich. Deux personnes sont mortes. Ces drames, c’est l’AfD, le parti d’extrême droite, qui semble en profiter. Après avoir obtenu 10,3 % des voix en 2021, il est aujourd’hui crédité de 20 à 21 % dans les sondages, à la deuxième place derrière le parti conservateur, la CDU, crédité de 29 à 32 %.

Le parti social-démocrate, dont est issu l’actuel chancelier Olaf Scholz, ne rassemble de son côté que 15-16 % des intentions de vote selon les derniers sondages. C’est dix points de moins que ses scores d’il y a quatre ans. Le parti de gauche Die Linke remonte à 6-7 % ; le nouveau parti créé autour d’une ancienne figure de la gauche Sahra Wagenknecht, sur des positons sociales, mais hostiles à l’immigration et très indulgentes envers Vladimir Poutine, tourne autour des 4-5 %. Le parti libéral plafonne autour de 4 %. Les Verts, eux, se maintiennent à 13-14 %, un petit peu moins que leur score de 2021 (14,8 %).

Un danger minimisé

« Avec les élections anticipées, tout ce qui est planifié normalement en un an, on doit le faire en deux, trois mois seulement. C’est un peu chaotique », confie Luca Salis, jeune candidat vert de 23 ans pour la ville de Halle, dans l’Est du pays. Son manager de campagne, campé sur son portable dans leur bureau partagé avec les élus écologistes locaux et européens de la région, ne semble pas plus âgé. Luca Salis est étudiant en droit, originaire de Hambourg, une grande ville de l’Ouest. Il a peu de chances d’être élu au Parlement cette fois-ci. Mais il bat la campagne malgré tout dans une zone où l’AfD avait déjà enregistré un score de 20 % en 2021.

Un jeune homme debout parle dans un micro
Luca Salis, 23 ans, est candidat pour les Verts à Halle.
©Laura Dittrich

« Le danger que représente l’AfD, nous, les Verts et la gauche implantés ici, à l’Est, on l’a vu il y a déjà plusieurs années déjà, souligne l’écologiste engagé chez les Verts depuis 2022, après avoir été actif à Fridays for Future. Mais à l’Ouest, les gens ne percevaient pas la menace. Quand j’ai voulu organiser des manifestations contre le congrès de l’AfD à Magdebourg en 2023, le potentiel de mobilisation était très faible. » Il a fallu les révélations du média d’investigation Correctiv, en janvier 2024, sur les réunions secrètes et les projets de l’AfD, discutés avec des néonazis, d’expulser des millions de personnes, dont des Allemands nés à l’étranger, pour que des manifestations contre l’extrême droite s’organisent partout dans le pays. « Il y a eu une sorte de prise de conscience collective à ce moment-là, mais que le mouvement s’est rapidement affaibli », ajoute le candidat.

Puis, à l’automne dernier, l’AfD a enregistré des scores historiques lors d’élections régionales dans l’Est, dépassant les 30 % dans une région. « À l’Ouest aussi, l’AfD se normalise », souligne également Luca Salis. Le jeune vert déplore lui aussi que la question climatique soit complètement oubliée par la plupart des partis, sauf le sien. « Pour nous, le climat est important à tous les niveaux, pour la paix, la sécurité, la justice sociale, on pense toujours le climat avec ces questions, défend-il. Mais beaucoup de gens qui ont des bas revenus bas ou des revenus moyens ont plus de difficultés aujourd’hui qu’il y a quatre ans. Et ceux pour qui ça va voient que d’autres ne s’en sortent pas et ont peur de la dégringolade sociale. Il y a une grande peur et insécurité dans la société qui fait que les gens cherchent des réponses faciles et immédiates. L’AfD dit que les personnes immigrées sont coupables de tout, et c’est une réponse simple, mais fausse. » Alors que parler de climat, c’est envisager des réponses de long terme.

Les Verts trop timides

« Pour les jeunes comme moi qui votent pour la première fois cette année, la situation est précaire. Aucun parti ne répond vraiment à la situation climatique, critique de son côté Pit Terjung. Mais on peut tout de même constater que les Verts restent le parti avec le programme le plus ambitieux du point de vue climatique. Ce n’est pas assez, mais en comparaison avec par exemple la CDU, les Verts sont dans la bonne direction. Par exemple, à Fridays for Future, nous demandons une sortie du gaz d’ici à 2035. Là-dessus, nos protestations ont eu de l’effet. Les Verts ont inscrit dans leur programme qu’il faut une sortie du gaz, mais sans inscrire de date. »

Quatre personnes autour d'un stand dans une rue, avec au centre un drapeau vert et jaune des Verts allemands.
Des militants verts font campagne dans les rue de Halle, ville de Saxe-Anhalt, dans l’Est de l’Allemagne.
©Rachel Knaebel

L’activiste juge toutefois les Verts trop timides face à une AfD qui affirme vouloir arracher toutes les éoliennes, et à un parti conservateur qui « promet aux électeurs de tenir les objectifs climatiques de l’Allemagne, mais sans dire comment, comme si cela se faisait par magie », accuse Pit Terjung. « Je ne suis pas de ce bord politique, mais je pense qu’on a besoin d’une offre de politique climatique honnête et sérieuse aussi du côté des partis conservateurs », ajoute le militant.

Une coalition avec qui ?

En l’état, il est plus que probable que le prochain chancelier soit le candidat conservateur Friedrich Merz. Mais il ne pourra a priori pas gouverner seul. Il lui faudra une coalition. Avec qui ? Le parti de l’ancienne chancelière Angela Merkel exclut, pour l’instant, toute alliance avec l’extrême droite. Mais fin janvier, le chef de la CDU a fait sauter le cordon sanitaire allemand en faisant adopter grâce aux voix de l’AfD une motion, non contraignante, pour durcir les lois sur l’immigration. D’un autre côté, une figure de la droite conservatrice bavaroise a exclu toute coalition avec les Verts, alors qu’une telle alliance a déjà eu lieu au niveau de certains Länder.

Quand on demande à Luca Salis ce qu’il penserait d’une coalition entre conservateurs et Verts à l’issue des élections du 23 février, il répond d’abord par un silence. « Je ne suis pas du tout fan de cette perspective. Je trouve la CDU terrible sur le plan de la politique sociale, de la politique économique, de la politique financière et climatique et évidemment surtout du point de vue de la politique migratoire. Il y a très peu de dénominateurs communs entre moi et la CDU, le seul serait peut-être le soutien à l’Ukraine. Mais je suis de l’aile gauche des Verts. Il y a des gens chez nous qui souhaitent une coalition avec la CDU, du moins le souhaitaient avant que Friedrich Merz n’accepte le soutien de l’AfD fin janvier. »

Malgré tout, le candidat ne veut pas exclure l’option. « Je pense qu’un gouvernement avec les Verts, c’est toujours mieux qu’un gouvernement sans les Verts dedans, car sinon le climat ne joue plus aucun rôle. On peut objecter que si on entre dans un gouvernement avec la CDU aujourd’hui, on devra faire tellement de compromis que dans quatre ans, plus personne ne nous prendra au sérieux et ne votera pour nous. Mais je suis de l’avis qu’on fait de la politique pour obtenir maintenant le meilleur résultat pour les gens, pas pour avoir un meilleur score dans quatre ans. Donc, pas à n’importe quelles conditions, mais je pense qu’une coalition avec la CDU serait une possibilité. » Car, ajoute, Luca Salis, « toutes les autres alternatives sont pires ». Surtout celle qui prétend servir l’Allemagne avec un programme xénophobe.