Législatives

Assemblée nationale : le piège que devra déjouer la gauche, coincée entre le camp présidentiel et l’extrême droite

Législatives

par Ivan du Roy

Une abstention record, aucune majorité, une extrême droite en force à cause de la fin du front républicain, et la gauche comme principale force d’opposition, avec une complexe ligne de crête à tenir. Tels sont les enseignements des législatives.

Emmanuel Macron et ses prédécesseurs ont à chaque fois refusé d’intégrer une dose de proportionnelle pour élire l’Assemblée nationale. Les votants et votantes de ce second tour l’ont fait : élire une représentation nationale peu ou prou « proportionnelle » aux rapports de forces politiques qui se sont exprimés dans le pays. Cela se réalise cependant dans les pires conditions possibles : une absence de débats de fond pendant la campagne, plus de la moitié du corps électoral (53 %) qui s’abstient, un mode de scrutin à deux tours inadapté, d’où une forte proportion de votes blancs et nuls (près de 8 % des votants).

Si les principales forces politiques sont en proportion mieux prises en compte, la nouvelle Assemblée nationale reste, au vu du niveau d’abstention, la moins « représentative » de la 5e République. Les nouveaux élues et élus, quel que soit leur bord politique, ne devront pas l’oublier : l’alliance présidentielle Ensemble (247 députés) ne pèse que 16,5 % du corps électoral, l’alliance de gauche Nupes (142 élus, auquel s’ajoute 13 « divers gauche »), 14 %, l’extrême droite avec le Rassemblement national (89 députés) seulement 7 %, la droite LR (61 députés) 3 %… De quoi calmer les ardeurs de celles et ceux prompts à faire référence « au peuple ».

L’extrême droite en force

L’extrême droite entre en force à l’Assemblée, avec 89 députés, bien davantage que les estimations les plus généreuses envers le RN. Du jamais vu. C’est la conséquence du relativisme politique dont l’extrême droite fait l’objet depuis des années : de la part de nombreux médias qui ont banalisé ses thèses les plus xénophobes ; du gouvernement – plusieurs ministres et ex-ministres appelaient à « faire barrage » non pas contre l’extrême droite mais contre la gauche ! De l’électorat macroniste et LR qui se sont très majoritairement abstenus (quand ils n’ont pas voté RN au second tour), mais aussi à gauche où l’antifascisme – combattre l’extrême droite, y compris en la faisant battre dans les urnes – n’est plus une évidence.

Résultat : le RN a remporté la moitié de la centaine de duels qui l’opposaient à Ensemble, idem dans la moitié des 60 duels où l’extrême droite affrontait la gauche. Dans ce cas de figure, les trois quarts de l’électorat macroniste ont préféré s’abstenir ! [1]. Le front républicain avait encore fonctionné au second tour de la présidentielle – si l’électorat de gauche s’était comporté à la présidentielle comme l’électorat macroniste aux législatives, Marine Le Pen serait à l’Élysée… Ce n’est plus le cas localement.

Reste à voir ce que feront les 89 députés RN de cette nouvelle visibilité, dans un hémicycle où leurs votes et prises de parole seront beaucoup plus scrutés qu’au Parlement européen. Combien de temps leur discours « social » fera-t-il illusion ? Les saillies racistes ou le déni du réchauffement climatique décrédébilisera-t-il certains de leurs élus ? Cette entrée en force désinhibera-t-elle encore davantage les groupuscules d’extrême droite adeptes des actions violentes ? Ce relativement gros groupe parlementaire changera-t-il le fonctionnement oligarchique actuel du RN autour du clan familial de Marine Le Pen ?

D’une « monarchie » présidentielle vers un régime parlementaire ?

Autre caractéristique de la nouvelle assemblée : aucune force n’y dispose de la majorité des sièges. Cela donnera en théorie un plus grand pouvoir de négociation aux députés, vis-à-vis de l’exécutif, et un rôle accru aux commissions qui auront à travailler les textes de loi. Là encore, le basculement est brutal : d’un exercice du pouvoir quasi monarchique avec une assemblée croupion, simple chambre d’enregistrement, la France devra passer à un régime plutôt de type parlementaire, où un texte de loi, pour être adopté, devra être le résultat de compromis entre groupes politiques. Une révolution pour la conception macroniste verticale du pouvoir, où tout dialogue constructif et prise en compte d’autres avis et points de vue – y compris des corps intermédiaires, syndicats et associations – ont été réduits à néant. Une révolution aussi pour les oppositions parlementaires : refuser tout, en bloc, au prétexte que cela vient de la majorité présidentielle, était une posture plus facile. Cela ne sera plus forcément le cas.

Le piège tendu à la gauche

C’est sans doute l’un des pièges qui sera tendu aux 142 élus de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) pour la décrédibiliser, voire tenter de la faire exploser entre ses différentes composantes (LFI, EELV, PS et PCF). Pour la Nupes, refuser tout compromis risque, à terme, de la faire passer pour une opposition stérile, enfermée dans un immobilisme et des calculs politiciens aux mépris des grands défis immédiats, sociaux ou climatiques, et de la déconnecter des réalités, donc de l’électorat. Au contraire, accepter certains compromis, même pour un texte de loi forcément insatisfaisant, risquera de l’exposer aux critiques et divisions de son propre camp, sans même parler des attaques de l’extrême droite.

Tenir la ligne de crête entre ces deux menaces sera ardu. Pour éviter de chuter, les élus de la Nupes, au-delà des postures politiques, devront montrer leur capacité, au delà de leurs appartenances respectives, à travailler collectivement, comme ils et elles l’ont fait pendant la campagne. Ils devront également avoir comme boussole l’intérêt des premiers concernés : celles et ceux qui aujourd’hui subissent davantage les injustices environnementales, sociales ou fiscales. Telle mesure, même imparfaite, améliore-t-elle le quotidien des personnes à faibles revenus ? Prend-elle en compte l’avenir des générations futures ? Répare-t-elle, ne serait-ce qu’insuffisamment, un service public dégradé ?

L’arrivée d’une nouvelle génération de députées et députés, venues de luttes sociales comme Rachel Kéké, actrice de l’une des plus longues grèves d’employé.e.s de ménage, ou d’engagements associatifs comme Aurélie Trouvé (ancienne coprésidente d’Attac), François Piquemal (Droit au logement) ou Marie Pochon (mobilisations sur le climat), devrait y aider. Proposer et voter des mesures concrètes constitue aussi l’une des manières de redonner des couleurs à l’action politique, et peut-être réconcilier demain les abstentionnistes avec le vote et les Français avec le désir d’émancipation.

Ivan du Roy
Photo : © Valentina Camu

Notes

[1Selon Brice Teinturier (Ipsos), sur France 2, en cas de duel Nupes/RN, 72 % des électeurs Ensemble se sont abstenus, 16 % ont voté Nupes, 12 % pour le RN. Chez les électeurs LR, 58 % n’ont pas voté, 30 % ont voté RN et 12 % pour la Nupes.