Moins d’un an après la mise en place de la précédente réforme de l’assurance-chômage, le gouvernement veut en faire adopter une nouvelle cet automne. Les discussions autour du texte stigmatisent encore une fois les demandeurs d’emploi et s’accompagnent de clichés. Démontage.
Cliché n°1 : l’indemnisation chômage empêcherait les entreprises de recruter
– « Il n’y a pas un endroit en France aujourd’hui, où des gens ne vous disent pas qu’ils cherchent des salariés », Emmanuel Macron sur TF1 et France 2, le 14 juillet 2022.
C’est l’un des principaux arguments pour justifier le durcissement des conditions d’indemnisation de l’assurance chômage : les difficultés de recrutement. Selon une enquête de Pôle emploi réalisée à l’automne 2021, ces difficultés de recrutement augmentent dans plusieurs secteurs. Qu’en est-il ? Les emplois vacants s’élevaient à 362 800 au deuxième trimestre 2022 selon la Dares, le service statistique du ministère du Travail. Mais « emplois vacants » ne signifient pas « emplois non-pourvus ». Les emplois vacants comprennent les postes libres ou sur le point de se libérer et pour lesquels un processus de recrutement est en cours, explique la Dares. Les emplois non-pourvus correspondent, eux, aux offres d’emploi pour lesquelles le recrutement a été abandonné par l’entreprise, faute de candidats ou de profils correspondant à ses souhaits. Selon Pôle emploi, ces emplois non pourvus ne constituent que 6 % des 3,1 millions d’offres déposées auprès de l’opérateur public, soit 186 000 emplois. Un chiffre à mettre également en regard avec les 5,1 millions de personnes inscrites à Pôle emploi, sans activité ou exerçant un travail partiel.
Au-delà des chiffres, les difficultés de recrutement s’expliquent souvent par les conditions de travail, souligne une publication de la Dares de juin 2022. Un constat partagé par Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde, sur Basta! : « De l’aveu même du ministère du Travail, ces secteurs "en tension" sont ceux qui mettent les personnes "en tension" avec des conditions de travail dégradées et des rémunérations insuffisantes ».
Cliché n°2 : on gagnerait plus au chômage qu’en travaillant
– « Quel intérêt ai-je à travailler, puisque je risque de gagner moins qu’au chômage ? », Dimitri Pavlenko, animateur à Europe 1, dans une interview donnée à l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs Actuelles, le 16 septembre 2022.
Chômeur = profiteur. Cette rengaine, tenace, est souvent mobilisée à l’occasion de réformes touchant aux prestations sociales. Dans les faits, pourtant, les chiffres communiqués par l’Unédic, l’organisme ne charge de la gestion de l’assurance chômage dressent un tout autre tableau. Sept chômeurs indemnisés sur dix reçoivent une allocation durant moins d’un an. Près de la moitié des bénéficiaires de l’allocation chômage travaillent en parallèle, même quelques heures par mois, ce qui peut faire baisser leur indemnisation.
Quant à la prétendue générosité des allocations, qui n’inciterait pas les demandeurs d’emploi à reprendre un travail, les chiffres disent aussi tout autre chose. En moyenne, les personnes indemnisées au titre de l’assurance chômage perçoivent une allocation de 960 euros nets par mois, soit un montant inférieur au seuil de pauvreté (fixé à 60 % du niveau de vie médian), de 1128 euros par mois.
L’Insee souligne que la pauvreté « touche en premier lieu les chômeurs », dont 38% vivent sous le seuil de pauvreté. Les femmes sont encore plus impactées par cette précarité, en raison de postes en temps partiel subis et d’une moindre rémunération, ce qui fait automatiquement baisser leurs indemnités chômage. Les femmes indemnisées perçoivent en moyenne 900 euros par mois, contre 1160 euros pour les hommes dans la même situation, selon les chiffres de l’Insee de 2019.
Les demandeurs d’emploi profiteraient de ces maigres allocations pour ne pas travailler ? Faudrait-il encore qu’elles et ils les touchent chaque mois. La Dares a révélé début octobre – dans une étude qui devait être publiée il y a deux ans de cela – que 25 à 42 % des personnes éligibles ne recourent pas à l’assurance chômage. Bref, quasiment une personne sur trois pouvant être indemnisée n’en fait pas la démarche.
Cliché n°3 : vive le modèle canadien !
– « Nos règles d’indemnisation doivent tenir compte de la situation du marché de l’emploi, comme le fait le Canada. » Olivier Dussopt, ministre du Travail, dans une interview au Parisien, le 27 juillet 2022
Le « modèle canadien », voilà l’inspiration de la réforme actuelle. Le système canadien fait varier les conditions d’éligibilité, la durée et le montant d’indemnisation en fonction du taux de chômage de la région économique du demandeur d’emploi. En gros, plus le taux de chômage de votre région est bas, plus le nombre de mois et le montant de l’indemnisation diminue, et inversement.
Si le système canadien était transposé en France tel quel, de fortes disparités apparaîtraient selon les régions. En Bretagne, région où le taux de chômage est le plus faible en France au 2e trimestre 2022 (5,9 %), un demandeur d’emploi devrait travailler au minimum 700 heures, soit 5 mois à temps plein environ, pour pouvoir prétendre en cas de licenciement à trois mois et demi d’indemnisation (calculée sur les 22 semaines les mieux rémunérées de l’année). Dans les Hauts-de-France, région avec le plus fort taux de chômage (9 %), il faudrait travailler au minimum 560 heures (environ 4 mois) pour prétendre à cinq mois d’indemnisation, calculée sur les 18 meilleures semaines de l’année [1].
Ce faible niveau de protection sociale est remis en cause au Canada. La crise sanitaire liée au Covid-19 a ainsi forcé l’État canadien à mettre en place d’autres prestations sociales et à assouplir ces conditions d’admission à l’assurance chômage. « La pandémie de coronavirus (...) ont montré ce que nous savions depuis longtemps : le régime canadien d’assurance-emploi ne permet pas de protéger suffisamment les revenus d’un très grand nombre de personnes lorsqu’elles perdent leur emploi », pointe un rapport de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques, un think-tank progressiste canadien. « Les travailleurs et les travailleuses peuvent de moins en moins compter sur l’assurance pour laquelle ils et elles cotisent et qui est censée les protéger en cas de chômage. » [2]. Cet automne, nombre de travailleurs saisonniers de la région de Charlevoix, une zone touristique du Québec, n’ont pu remplir les conditions d’éligibilité – 700 heures de travail leur étaient demandées – pour pouvoir toucher une allocation chômage et se sont donc retrouvés sans ressources, même après une très bonne année touristique. C’est ce que rapportait Radio Canada à la mi-octobre. En France, le nouveau mode de calcul sera probablement appliqué au niveau national et non régionalisé. Il devrait réduire la durée d’indemnisation, mais a priori pas son montant. Il sera décidé par décret après consultation des syndicats et du patronat.
Cliché n°4 : Moins indemniser un chômeur favoriserait le retour vers l’emploi
– « Quand la durée d’indemnisation est plus courte, la durée de retour vers l’emploi est plus courte » Paul Midy, député Renaissance/LREM, le 5 octobre 2022 sur LCP.
Précisons que Paul Midy, député macroniste de l’Essonne est un ancien cadre du cabinet de conseil McKinsey habitué aux « restructurations » d’entreprises. Plus la durée d’indemnisation est courte, plus vite les demandeurs d’emploi s’activent pour retrouver un emploi, laisse-t-il entendre. Cette corrélation est vraie, mais mérite d’être nuancée : dans ce cas, les chômeurs retrouvent-ils un emploi qui leur convient ?
« Plusieurs travaux économiques montrent qu’empiriquement il semble exister un lien entre la générosité de l’assurance-chômage et la durée du chômage. (… ) Mais si l’assurance-chômage vous permet de refuser un emploi, c’est précisément parce qu’elle joue son rôle en vous permettant d’aller vers un emploi qui vous convient. (…) En s’attaquant encore au portefeuille des allocataires, on ne modifie pas la législation en matière d’obligation faite aux chômeurs, mais on les oblige de fait à prendre des emplois qu’ils auraient aimé refuser », explique ainsi l’économiste Christine Erhel dans Politis. Une longue durée de retour vers l’emploi n’est donc pas synonyme d’une dégradation de l’insertion comme le sous-entend le député, mais le signe d’une plus grande marge de manœuvre pour les demandeurs d’emploi en quête d’un travail à la hauteur de leurs compétences.
Cliché n°5 : Une prime aux fainéants
– « Il n’est pas normal que celui qui abandonne un poste soit mieux protégé que celui qui a l’honnêteté de démissionner », Aurore Bergé, Présidente du groupe Renaissance (ex-LREM)
à l’Assemblée nationale, sur Public Sénat, le 10 octobre 2022.
Pour vérifier cette affirmation de la députée des Yvelines, il faut déjà comprendre le type de protection dont on parle. Avant l’adoption en première lecture par le Sénat du projet de loi de réforme de l’assurance chômage fin octobre, l’abandon de poste - à savoir l’absence « de manière prolongée ou répétée » du salarié - entraîne une procédure disciplinaire pouvant aboutir à plusieurs mesures :
– une sanction disciplinaire,
– un licenciement pour « cause réelle et sérieuse » donnant droit aux indemnités de licenciement
– un licenciement pour faute grave sans indemnités de licenciement.
Un abandon de poste n’aboutit donc pas nécessairement à une procédure de licenciement. Si cela arrive, ce licenciement ne donne pas forcément droit à des indemnités. Par ailleurs, les données manquent sur le nombre d’abandons de poste, comme le reconnaissait lui-même le député LR Jean-Louis Thériot au micro de France Info. Il est pourtant l’auteur de l’amendement au nouveau projet de loi, assimilant l’abandon de poste à une forme de démission.
Dans le cas d’une démission, un salarié ne peut « a priori pas bénéficier de l’allocation chômage », comme l’explique Pôle Emploi. L’établissement public rappelle les différentes exceptions, parmi lesquelles les 17 motifs de démission dit « légitimes », si l’employeur « oublie » de verser le salaire ou si l’employé est victime de harcèlement ou de violences par exemple. Ces motifs légitimes peuvent donner droit à une indemnisation. Les démissions, qu’elles qu’en soient la cause, et qui ne sont pas forcément des abandons de poste, ont concerné un demi-million de personnes au premier trimestre 2022.
Cliché n°6 : La réforme permettra de réaliser des économies importantes
– « L’Unédic calcule qu’au bout de plusieurs années de réformes, l’assurance-chômage pourrait économiser plusieurs milliards d’euros », Nicolas Bouzou, éditorialiste économique d’Europe 1 , le 20 octobre 2022.
Dans une étude relayée par Le Monde qui n’a pas encore été rendue publique, l’Unédic a évalué les effets de la nouvelle réforme de l’assurance chômage. L’organisme estime que « l’augmentation d’un mois de la durée de travail nécessaire pour bénéficier d’une indemnisation entraînerait une diminution des dépenses de 400 à 500 millions d’euros par an ».
Dans le même temps, l’Unédic prévoit un régime excédentaire pour l’assurance-chômage en 2022 : 4,4 milliards d’euros d’excédents en 2022, sans même prendre en compte les mesures de la nouvelle réforme. La dette de l’assurance-chômage devrait même diminuer de près de 10 milliards d’ici 2024. Affirmer que de prochaines réformes pourraient engendrer des économies n’est donc pas faux, mais cela occulte le fait que des économies sont déjà prévues en l’absence de toute nouvelle réforme.
Cliché n°7 : L’assurance-chômage profiterait d’abord aux étrangers inactifs
– « En 2017, 41 % des Algériens en France sont chômeurs ou inactifs », Guillaume Bigot, éditorialiste sur CNews, 19 octobre 2022.
L’éditorialiste de la chaîne d’extrême droite CNews cite ici les chiffres publiés par un certain « Observatoire de l’immigration et de la démographie ». Fondé en 2020, cet « observatoire » n’a rien à voir avec l’organisme officiel qu’est l’Observatoire statistique de l’immigration et de l’intégration. Cette source citée par CNews a déjà diffusée de fausses informations et des chiffres biaisés, comme en détournant une étude démographique pour justifier la pseudo théorie d’extrême-droite du grand remplacement.
D’après le ministère de l’Intérieur, 17,9% des Algériens âgés de 15 ans ou plus résidant en France en 2017 étaient au chômage. Un nombre bien loin des 41% cités par Guillaume Bigot. En 2021, ce taux de chômage avait par ailleurs diminué, atteignant 16,5% chez les Algériens résidant en France. Ce que CNews oublie de mentionner, c’est que ce taux de chômage plus élevé s’explique par plusieurs raisons : « Les actifs immigrés cumulent en effet des facteurs qui rendent plus difficile l’accès à un emploi, tels un moindre niveau de diplôme, des lieux de résidence défavorables ou une arrivée récente dans le pays. Et lorsqu’ils sont en emploi, leur quotidien est souvent marqué par le déclassement et la précarité. » Sans oublier les discriminations à l’embauche et le racisme dont ces populations font l’objet.
La nouvelle réforme de l’assurance-chômage a été adoptée en première lecture ce 11 octobre à l’Assemblée nationale, puis au Sénat qui en a modifié une partie. Une commission mixte paritaire doit s’accorder sur une version commune aux deux chambres à partir du 9 novembre. La droite souhaite durcir encore le texte en excluant du droit à l’indemnisation les salariés en CDD qui refuseraient plus de trois offres de CDI et les intérimaires qui en refuseraient une.
Maÿlis Dudouet et Nils Hollenstein
Photo de une : © Noan Ecerly/basta!