Le déficit public de la France s’élève à plus de 6 % du produit intérieur brut. Il pourrait dépasser 6,5 % en 2025. Jugez-vous ce chiffre inquiétant ?
Michaël Zemmour : Le déficit public est trop important pour trois raisons. La première, c’est qu’il est inattendu. Il n’avait pas été prévu à ce niveau. Donc, cela donne le sentiment d’une perte de fiabilité de la prévision budgétaire et financière française. Le deuxième problème, c’est que le déficit se creuse alors qu’on est sorti du confinement et un peu sorti de la crise énergétique. La troisième raison, c’est qu’en grande partie, on a un déficit pour de mauvaises raisons. Il est dû aux baisses d’impôts très importantes mises en place depuis 2017 par les différents gouvernements de Macron. Ces baisses d’impôts ont coûté cher sans avoir les effets bénéfiques annoncés sur l’économie.
Peut-il y avoir un déficit pour de bonnes raisons ?
Il y a au moins deux bonnes raisons d’avoir du déficit. Quand la conjoncture n’est pas très bonne, on peut vouloir relancer l’activité économique pour amorcer une nouvelle conjoncture. Cela peut provoquer un déficit pendant un temps. L’autre raison, c’est quand on réalise des dépenses qui préparent l’avenir, qui auront un rendement à moyen et long terme. Soit parce qu’on fait des dépenses d’investissements sur les infrastructures ou des dépenses dans l’éducation et la transition énergétique. On sait que les dépenses qu’on ne fait pas sur la transition énergétique vont nous coûter à terme. Donc, cela peut être utile d’emprunter pour ça. Emprunter, en soi, ce n’est pas un problème. Il faut savoir à quel prix on emprunte, que les taux d’intérêt ne soient pas trop élevés. Et il ne faut pas que la charge de remboursement soit trop importante.
En revanche, se retrouver en déficit élevé quand vous vous êtes vous-mêmes privé des recettes, et pour rien, c’est problématique. Cela aboutit à la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Les problèmes d’éducation, de santé, d’environnement existent et sont au moins aussi importants, voire plus importants. Mais on a aussi un réel problème de finances publiques, qu’on s’est causé nous-mêmes par des baisses d’impôts qui n’étaient pas nécessaires.
Pour répondre à ce déficit, faudrait-il donc avant tout réaugmenter les impôts qui ont été baissés ?
Augmenter les impôts, c’est toujours plus difficile que de les baisser. On a perdu 62 milliards en 2023 suite aux baisses d’impôts de la période 2018-2023 [1]. Sans doute qu’il faut passer en revue un certain nombre de choses qui ont été baissées, comme l’impôt sur les sociétés. Aujourd’hui, le Premier ministre Michel Barnier veut augmenter les impôts, mais pas uniquement ceux qui ont été baissés. Il prévoit quelques hausses d’impôts sur les riches et les grandes entreprises. Cela ne va pas compenser les baisses qu’il y a eu depuis 2018 pour ces publics-là.
Sur quels impôts faudrait-il agir ?
L’impôt sur les sociétés est une piste [la loi de finances de 2018 a baissé le taux d’impôt sur les sociétés, passé de 33,3 % en 2017 à 25 % en 2022, ndlr]. Ensuite, ce que met la gauche dans le débat et à raison, c’est qu’il n’y a pas d’imposition sur le patrimoine dans le paquet Barnier. Les très gros patrimoines des particuliers, il faut faire en sorte de les taxer, mais aussi de les dégonfler progressivement. On sait depuis les travaux de Thomas Piketty qu’on fait face à une suraccumulation des très gros patrimoines. Du coup, la plupart des gens riches aujourd’hui sont des gens qui sont riches par héritage. Et cela s’aggrave au fil des générations.
Craignez-vous que le projet de budget de Michel Barnier soit surtout une cure d’austérité ?
Il y a les deux dans son projet de budget. Il y a des hausses de prélèvements obligatoires, qui passent à côté de la taxation des patrimoines. Mais ce qui marque surtout ce budget comme un budget conservateur, avec des choix clairement de droite, ce sont les coupes importantes du côté des dépenses. Dans les coupes sur les dépenses, il y a un peu les retraites, et il y a des coupes assez fortes sur les remboursements de l’Assurance maladie, notamment une moindre prise en charge des consultations médicales, qui vont se reporter sur des dépenses privées des ménages, à la fois plus chères et plus inégalitaires.
Les coupes dans les dépenses de l’État et des collectivités m’inquiètent plus particulièrement, notamment dans l’éducation, avec une suppression prévue de 4000 postes dans l’Éducation nationale. Ces suppressions de postes vont arriver dans un contexte de crise de l’éducation, et alors qu’il faudrait au contraire recruter et rendre les recrutements plus attractifs.
Cette cure d’austérité va ralentir l’activité économique, ce qui signifie du chômage et une situation de stagnation. Et on est en train littéralement d’hypothéquer l’avenir, en remettant en cause les dépenses d’éducation et celles liées à la transition énergétique. En faisant cela, on ralentit l’activité économique à court terme. Et on remet en question l’avenir à cinq ans, dix ans, quinze ans.
Où pourrait-on faire des économies sur les dépenses publiques ?
D’abord, il y a un débat à avoir sur à quel rythme on fait de la consolidation budgétaire. Je pense qu’on n’est pas obligé de la faire aussi fortement dès la première année. Quand le déficit est trop important, la première chose à faire est de le remettre sous contrôle. Mais ce n’est pas indispensable de le passer de plus de 6 % à 5 % en un an. D’ailleurs, ce gouvernement n’y arrivera probablement pas.
Ensuite, quelles économies pourrait-on réaliser ? Je pense qu’on peut passer en revue un certain nombre de dépenses fiscales, même si cela ne veut pas dire tout supprimer d’un coup. On parle beaucoup du crédit impôt recherche. Cela représente environ sept milliards d’euros par an. On pourrait faire des économies même en n’en supprimant qu’une partie.
L’opposition de gauche met en avant la possibilité de faire des économies sur des dépenses comme celles liées au service national universel [Le Nouveau Front populaire a décliné dix propositions pour faire 49 milliards d’euros d’économie dans le budget 2025, NDLR]. Ensuite, certains économistes de la santé disent qu’il pourrait y avoir des économies avec une meilleure régulation de l’offre de soin, une indemnisation de la médecine libérale qui ne soit pas uniquement une tarification à l’acte par exemple.
Mais dans l’ensemble, les dépenses publiques sont là pour de bonnes raisons. Elles répondent à des besoins, elles se substituent à des dépenses privées de manière souvent plus efficace et presque toujours plus juste. En France, on ne paie pas l’école, et peu l’enseignement supérieur. Une dégradation encore accrue soit de la qualité soit du nombre de places dans l’éducation ou dans l’enseignement supérieur générerait mécaniquement une fuite vers le privé et une augmentation des dépenses des ménages.
Dans ces conditions, avec la situation actuelle des finances publiques, serait-il possible d’abroger la réforme des retraites, comme le demande le Nouveau Front populaire ?
Je pense que c’est possible, pour une raison simple. Dans les scénarios présentés par l’opposition de gauche, le projet est de financer l’abrogation de la réforme des retraites par une hausse des recettes sociales [c’est-à-dire des prélèvements de protection sociale, ndlr]. Bien sûr, cela vient en plus des autres prélèvements obligatoires. Une des raisons pour lesquelles la précédente réforme des retraites a été faite, c’est que le gouvernement d’alors, face à la hausse du nombre de retraités, voulait avoir le même niveau de prélèvement obligatoire pour plus de retraités. La réponse a été d’opter pour des retraites moins longues. Mais il est possible d’augmenter les recettes de la protection sociale, et pas dans des chiffres astronomiques, pour financer un retour à l’âge légal de 62 ans.
La France se trouve-t-elle aussi dans une situation économique difficile, de crise, au-delà de la situation des finances publiques ?
Il y a eu un changement de régime économique qui date de 2008. Jusqu’alors, on avait en France une croissance économique assez forte, en tout cas plus importante que maintenant. Les ménages dans leur ensemble pouvaient alors compter sur le fait qu’à cinq ou dix ans, ils allaient globalement être plus riches. Et effectivement, les revenus augmentaient. Depuis 2008, nous avons connu une stagnation économique dans toute l’Europe.
Si on regarde le cas de la France, nous voyons moins une explosion des inégalités qu’une situation de stagnation, qui explique les difficultés économiques et sociales qu’on connaît. Cela ne s’est pas arrangé avec les confinements, leurs conséquences et la crise énergétique. Aujourd’hui, on a des perspectives de gain de productivité et de croissance économique globalement assez faibles.
Pour l’instant, il n’y a pas vraiment de stratégie de politique économique du côté du gouvernement. Le scénario qui nous menace est une trajectoire de stagnation et d’austérité permanentes. C’est un peu ce qu’a connu l’Italie pendant des décennies : une austérité budgétaire pour réduire le déficit, mais une austérité qui entraîne la stagnation et qui fait qu’il faut continuer l’austérité pour réduire le déficit, etc.
Existe-t-il une politique alternative face à cette situation ?
Sans doute. La stratégie alternative irait d’une part réaliser des dépenses de relance d’activité et de préparation de l’avenir. C’est-à-dire des dépenses d’investissement qui à la fois peuvent peut-être améliorer la productivité et préparer les réponses à des besoins dont on sait qu’ils vont augmenter, en termes d’éducation, de santé et d’environnement. C’est une vraie stratégie alternative à celle qui a été menée jusqu’ici.
Jusqu’où cela pourrait aller ? Je pense qu’il faut être mesuré. Il est difficile aujourd’hui d’envisager des augmentations de salaire généralisées et durables pour tout le monde. Pour les bas salaires, c’est envisageable. Pour l’ensemble des salaires, ce n’est pas évident. En revanche, l’amélioration des conditions de vie, qui passerait par des investissements dans l’éducation, la santé et la transition énergétique, cela paraît viable et c’est une stratégie diamétralement opposée à tout ce qui a été fait ces dernières années. Depuis 2017, on a plutôt vu une baisse des dépenses collectives et la volonté d’opérer une course vers l’augmentation du taux d’emploi quitte à avoir des emplois moins bien payés.
Au moment des élections législatives de juin, nous avons assisté à un vrai débat, même s’il n’était pas complètement abouti, entre deux visions de la politique économique à mener. Je ne sais pas jusqu’où peut aller celle qui est présentée par la gauche, mais cela me paraît être une véritable alternative au niveau de la stratégie économique.
Recueilli par Rachel Knaebel
Photo de Une : Le Premier ministre Michel Barnier le 5 septembre 2024.©Amaury Cornu/Hans Lucas