Le budget 2025 sonnerait-il le retour de la justice fiscale ? C’est ce que pouvait laisser penser une annonce du Premier ministre. Début octobre, Michel Barnier a parlé d’une « contribution exceptionnelle des plus fortunés » pour aider à redresser les finances publiques.
Ce prélèvement doit s’appliquer aux ménages avec un revenu annuel supérieur à 250 000 euros pour une personne seule et 500 000 euros pour un couple, et dès lors que leur taux moyen d’imposition sur le revenu est inférieur à 20 %. Cette contribution s’appliquera à environ 24 000 foyers et devrait rapporter deux milliards d’euros de recettes à l’État, révèle l’évaluation préalable effectuée par le ministère du Budget « Pendant sept ans, on a eu une majorité gouvernementale qui disait que taxer les hauts revenus était une mauvaise idée. Aujourd’hui on a une mesure, certes symbolique, mais on est en train de regagner la bataille idéologique », se réjouit Quentin Parrinello, de l’Observatoire européen de la fiscalité.
Imposer les très gros patrimoines
La symbolique de l’annonce de Barnier est forte. Mais la mesure pourrait s’avérer inefficace, alerte aussi Quentin Parrinello. La majorité des Français tire ses moyens de subsistance de ses rémunérations liées au travail, mais ce n’est pas le cas des ménages les plus aisés. Ceux visés par cette contribution exceptionnelle vivent surtout de la rente que leur procure leur patrimoine immobilier ou financier. « Si on veut les toucher, il faut un impôt qui soit sur le patrimoine et pas le revenu », défend donc Quentin Parrinello.
En 2018, le premier gouvernement d’Emmanuel Macron avait supprimé l’impôt sur les grandes fortunes (ISF). Il a été remplacé par un impôt sur la fortune immobilière. Cela avait abouti à une perte de recettes pour l’État estimée à 4,5 milliards d’euros en 2022, selon les estimations du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital.
Quel que soit le nom de l’impôt qui taxe la fortune, il faut avant tout s’atteler à la suppression des exemptions. C’est ce que défend par exemple l’économiste Gabriel Zucman, professeur à l’École normale supérieure. Lui propose la mise en place d’un impôt sur la fortune couplé à une taxe anti-exil fiscal. Il détaillait cette possible mesure dans un entretien sur Mediapart en juin : un impôt sur le patrimoine de 1 % au-delà de 10 millions d’euros, de 2 % au-delà de 20 millions d’euros, de 3 % au-delà de 100 millions, et jusqu’à 8 % au-delà de 10 milliards. « Cela pourrait rapporter de 30 à 40 milliards d’euros par an au fisc français, un montant tout à fait significatif », soulignait le professeur d’économie. 40 milliards, c’est le montant de réduction des dépenses publiques annoncées par Michel Barnier pour le budget 2025.
Dans ses propositions pour le budget, le Nouveau Front populaire (NFP) propose de son côté de taxer les foyers disposant au 1 janvier 2025 d’un patrimoine net supérieur à 1 million d’euros. La contribution reposerait sur trois composantes : une composante « socle », avec un taux faible, de 0,5 %, sur l’ensemble du patrimoine net (hors patrimoine professionnel, celui d’une entreprise d’un petit patron par exemple). À cela s’ajouterait une composante avec des taux plus élevés et plus progressifs pour les patrimoines plus élevés : 1 % à partir de 10 millions d’euros de patrimoine, 1,5 % à 50 millions, 2 % à 100 millions et 3 % au-delà d’1 milliard d’euros. Ces taux s’ajoutent à celui du socle. Cet impôt permettrait de dégager 15 milliards d’euros de recettes en plus, assure le NFP.
Cibler les super-héritages
Il y a les revenus, le patrimoine, et les héritages, pour certains en tout cas. La moitié des Français ne reçoivent pas d’héritage. Parmi les personnes qui touchent un héritage, la somme est inférieure à 100 000 euros pour 90 % des héritiers au cours de leur vie, rappelait l’ONG Oxfam le mois dernier.
Le Conseil d’analyse économique rappelle aussi que les 0,1 % des héritiers et héritières qui reçoivent le plus touchent en moyenne 13 millions d’euros. C’est 180 fois l’héritage médian. Et pourtant, ils et elles ne paient en moyenne que 10 % de droits de succession, a calculé Oxfam.
Normalement, le taux de taxation des héritages les plus importants, de plus de 1,8 million d’euros est pourtant de 45 %. Mais ensuite, il y a les niches fiscales et les exonérations, qui profitent surtout aux héritiers les mieux dotés. Par exemple : les parents fortunés peuvent transmettre plus d’un demi-million d’euros tous les 15 ans à leurs héritiers sans payer le moindre impôt, pointe Oxfam.
« Rien que pour les 50 milliardaires actuel∙le∙s, les pertes dues aux niches fiscales et exonérations existantes représenteront plus de 160 milliards d’euros dans les 30 prochaines années », écrit l’ONG engagée pour la justice fiscale dans un rapport publié en septembre. « Le Premier ministre Michel Barnier a pointé la nécessité d’une plus grande justice fiscale en France. Oxfam appelle donc le futur gouvernement à une réforme fiscale ciblant les plus hauts héritages, qui permettrait de financer le renforcement des services publics et de réduire les inégalités en France », ajoute l’ONG.« L’impôt sur les successions est extrêmement illisible et donc injuste : seul celui qui a le meilleur conseiller fiscal peut en tirer parti », explique aussi Quentin Parrinello.
Pour rendre cet impôt plus lisible et plus juste, il serait possible de taxer le montant global touché par l’héritier tout au long de la vie plutôt que de taxer chaque succession séparément. C’est ce que proposait le Conseil d’analyse économique (un groupe de réflexion pluraliste qui conseille le gouvernement) en 2021. « Les plus riches héritiers touchent de multiples transmissions patrimoniales au cours de leur vie (plusieurs donations et successions, de plusieurs parents, etc.). Dans le système actuel où chaque transmission est taxée séparément, ceci offre la possibilité de bénéficier plusieurs fois de certains abattements et d’optimiser le “timing” du flux de transmissions », notaient les experts.
Au contraire, le Conseil envisageait un système de taxation des héritages dans lequel le taux d’imposition « dépend uniquement de la valeur des héritages reçus, quelle que soit la façon dont le patrimoine a été transmis ». Par exemple, « un héritier ayant bénéficié de trois donations de 100 000 euros au cours de sa vie, et d’un héritage de 200 000 euros de chacun de ses deux parents paye le même impôt que celui qui héritera de 700 000 euros d’un de ses parents uniquement. » Ce système existe déjà dans certains pays, comme l’Irlande. « Les droits de succession seraient ainsi concentrés au niveau des gros héritages, avec plus de lisibilité », ajoute Quentin Parrinello.
Réformer les niches fiscales
La France comptait 467 niches fiscales en 2023, a dénombré la Cour des comptes. Ce qui représente un manque à gagner de plus de 81 milliards d’euros pour l’État. En font par exemple partie, pour les entreprises, le crédit d’impôt recherche et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ou, pour les particuliers, le crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile.
À titre d’exemple, celui-ci représente chaque année 5,9 milliards d’euros de manque à gagner d’impôt pour l’État. La Cour de comptes constate que ce dispositif bénéficie essentiellement aux 10 % des plus riches. Restreindre le dispositif aux 90 % des contribuables les moins aisés pourrait générer 2,5 milliards d’euros de recettes.
Il en va de même pour le prélèvement forfaitaire unique. Ce dispositif permet depuis 2018 aux contribuables les plus riches de limiter leur impôt sur leurs revenus du capital à un taux forfaitaire de 30 %, au lieu du barème progressif appliqué à l’impôt sur les rémunérations. Supprimer cette possibilité permettrait de rapporter 3,2 milliards à l’État selon l’Institut Montaigne.
« L’objectif serait d’avoir moins de niches et d’aboutir à une fiscalité un peu plus simple, plus stable et plus juste », espère Vincent Drezet, ancien secrétaire national du Syndicat national unifié des impôts et membre du conseil scientifique d’Attac. L’expert préconise la mise en place d’une commission composée d’experts et de responsables politiques pour dresser un panorama des niches fiscales inefficaces et coûteuses, dans le but de les réformer.
Malo Janin
Photo : CC BY-NC 2.0 emily horne via flickr.