Documentaire

« Paris Stalingrad » : un film pour ne pas se contenter des mises en scènes et du discours officiel sur les migrants

Documentaire

par Nolwenn Weiler

Pendant deux ans, la réalisatrice Hind Meddeb est allée à la rencontre des réfugiés qui survivent dans la capitale ou sa périphérie et espèrent reconstruire leur vie en Europe. Son documentaire, dont basta! est partenaire, sort en salle ce mercredi 26 mai.

Basta! : Dans votre film vous dites que vous souhaitez montrer ce qui a été infligé aux réfugiés, pour « garder une trace ». Pourquoi était-ce si important ?

Hind Meddeb : Ce qui m’a beaucoup frappée quand j’ai commencé à aller à la rencontre des personnes occupant ces campements en 2016, c’est que la réalité n’avait pas grand-chose à voir avec ce que présentaient la plupart des médias, à savoir une préfecture qui serait attentive à mettre les gens à l’abri. En réalité, « les évacuations sanitaires » organisées par la préfecture et la ville de Paris sont des mises en scènes à destination des caméras de télévision que l’on invite ces jours-là en particulier à venir relayer le discours politique officiel.

Ce qui n’était jamais montré dans ces reportages, c’est qu’entre juin et novembre 2016, au cœur de Paris, à proximité du métro Stalingrad, tous les deux jours, la police venait rafler les réfugiés qui n’avaient pas pu déposer leurs demandes d’asile. Les personnes arrêtées étaient ensuite mises en garde à vue, des obligations de quitter le territoire leur étaient remises et ils étaient parfois même enfermés en centre de détention. En 2016, le préfet de police de Paris a été condamné 135 fois par le tribunal administratif pour entrave au droit d’asile.

Aux arrestations s’ajoutaient la destruction systématique des campements...

Oui. Et ensuite, les agents de la propreté de Paris venaient prêter main forte aux CRS. Ils avaient pour consigne de jeter aux ordures les tentes, les matelas, les couvertures et les affaires personnelles des réfugiés. Ils laissaient les gens sans rien. Aucune solution n’était proposée aux habitants de ces campements qui se retrouvaient ensuite à dormir sur un bout de carton à même le bitume. Les médias se gardaient aussi bien d’enquêter sur les opérations de mise à l’abri. La plupart des personnes obtiennent quelques nuits d’hôtel avant d’être remises à la rue. D’une évacuation à l’autre, ce sont souvent les mêmes personnes que l’on retrouve. Le même film est rejoué pour nous donner l’impression que la France serait dépassée par un flux continu de nouveaux arrivants, ce qui est faux. Avec ce film, je voulais documenter ce moment de l’histoire de Paris. Les images que j’ai tournées ont valeur d’archives.

Entre juin et novembre 2016, au cœur de Paris, tous les deux jours, la police venait rafler les réfugiés qui n’avaient pas pu déposer leurs demandes d’asile. © Hind Meddeb et Thim Naccache

Ce que je voulais, c’était aller à la rencontre de l’humanité de ces personnes qui arrivent, de montrer l’intelligence avec laquelle elles abordent la violence qu’elles subissent. C’était important pour moi que l’on soit avec eux, que l’on partage leur quotidien, que l’on écoute ce qu’ils ont à nous dire. J’aimerais que les gens qui voient le documentaire aient envie d’aller les rencontrer et les connaître. Qu’ils sortent du récit médiatique des « exilés » et des « migrants » pour les voir comme des miroirs de nous-mêmes. « Exilé » ou « migrant » cela ne veut rien dire. Ce sont des concepts qui effacent les personnes et leurs histoires.

Quelles étaient les réactions des Parisiens face à ces campements ?

Dans le film, je voulais montrer les élans de solidarité des habitants du quartier. Mais ceux qui se mobilisent pour aider les exilés sont en réalité une minorité de personnes. La plupart des habitants passent sans s’arrêter et nombre d’entre eux sont plutôt hostiles à ce qu’ils voient comme une dégradation de l’image de leur quartier. Mais tant que les campements étaient dans le centre de Paris, il pouvait y avoir de l’interaction entre les habitants et les exilés. Des amitiés sont nées et l’aide spontanée et individuelle du début s’est peu à peu organisée. De nombreux collectifs ont vu le jour : Paris d’exil, Les Midis du Mie, les Petits déjeuners de Flandres, etc. Ce soutien aux migrants a concerné des personnes qui ne s’étaient encore jamais impliquées dans une association ou un engagement politique.

Les agents de la propreté de Paris venaient prêter main forte aux CRS. Ils avaient pour consigne de jeter aux ordures les tentes, les matelas, les couvertures et les affaires personnelles des réfugiés. Ils laissaient les gens sans rien. © Hind Meddeb et Thim Naccache

Cela a rassemblé des personnes qui n’avaient rien à voir les unes avec les autres. Il y a réellement eu beaucoup de solidarité, c’était très fort. Maintenant, c’est beaucoup plus compliqué. Les camps ont été déplacés à la périphérie, vers des zones beaucoup moins peuplées, voire dangereuses, des lieux de deal de drogue ou de prostitution, par exemples aux portes de Paris. La solidarité entre Parisiens et migrants qui était née lorsque les campements étaient en centre-ville est moins possible aujourd’hui, simplement du fait de cet éloignement. Les campements sont plus isolés, ils ont volontairement été éloignés du centre.

L’un de vos témoins, Souleymane, explique à un moment que la situation d’errance, de violence et d’incertitude peut amener à devenir fou. Il n’y a pas beaucoup d’informations sur ce point mais les migrants qui arrivent en France perdent parfois pied du fait de leurs mauvaises conditions d’accueil…

La situation s’est réellement dégradée depuis que nous avons tourné le documentaire entre 2016 et 2018. On dénombre une soixantaine de suicides de demandeurs d’asile déboutés [1]. Un des meilleurs amis de Souleymane a été interné en hôpital psychiatrique et le phénomène n’est pas isolé. Parmi les déboutés de l’asile condamnés à vivre à la rue avec le risque de se faire expulser, beaucoup sont tombés dans le crack et l’alcool. Ce qu’il faut bien comprendre c’est que ces personnes qui arrivent du Soudan, d’Afghanistan, de Somalie ne peuvent pas rentrer dans leur pays, qu’ils ont souvent quitté depuis de nombreuses années. Une fois qu’ils arrivent en France, ce qui les fait tenir, c’est la perspective d’obtenir des papiers pour pouvoir reconstruire leur vie dans un pays où ils seront protégés.

Dans le processus de demande d’asile, il y a une forme d’arbitraire. Souleymane le vit dans le film. Il obtient la protection de l’État français mais la plupart de ses amis ne l’obtiennent pas. Ils viennent pourtant de la même région, ont des parcours similaires. Quelqu’un qui fuit un pays en guerre et qui est débouté de l’asile ne peut pas retourner dans son pays où sa vie est en danger, mais il ne peut pas non plus reconstruire sa vie en Europe. Il se retrouve dans une impasse.

Propos recueillis par Nolwenn Weiler

Photo de Une : Souleyman. © Hind Meddeb et Thim Naccache

Paris Stalingrad, un documentaire de Hind Meddeb coréalisé avec Thim Naccache. En salle à partir du 26 mai.

Notes

[1Voir cet article du quotidien Libération.