Climat

Alerte vague de chaleur ! Nommons-la « canicule TotalEnergies n°1 »

Climat

par Maxime Combes

Une vague de chaleur peut-être sans précédent s’annonce pour ce mois de juin en France. Ces épisodes vont devenir plus fréquents, nombreux et intenses. Donnons-leur un nom : celui des responsables du réchauffement climatique.

Pour les météorologues, c’est désormais acquis. Dans les jours qui viennent, nous allons devoir supporter une vague de chaleur peut-être sans précédent pour un début de mois de juin : 40°C ou plus dans le sud, plus de 35°C au nord. Une canicule exceptionnelle par sa précocité et sans doute aussi pour son intensité dans bien des régions du pays (et en Espagne). Liée à la remontée d’air subtropical torride, cette vague de chaleur pourrait conduire à des températures supérieures de 5 à 15 °C aux moyennes, sur plusieurs jours, avec des nuits à plus de 20°C.

Les climatologues sont formels : le réchauffement climatique, généré principalement par la combustion des énergies fossiles, augmente la fréquence, l’intensité et la durée des vagues de chaleur. Ce résultat, comme le montre le dernier rapport du Giec, est très robuste. Affirmer ce lien n’est pas hasardeux : aujourd’hui, c’est ne pas le mentionner qui n’est pas sérieux. Dans cet excellent thread sur Twitter, Christophe Cassou, climatologue, nous rappelle pourquoi.

Ainsi, si 43 vagues de chaleur ont été enregistrées depuis 1947, à peine neuf ont eu lieu avant 1989. Les 34 autres, soit 80 %, ont eu lieu depuis : on compte « trois fois plus de vagues de chaleur ces 30 dernières années que durant les 42 années précédentes » selon Météo France. Cela ne devrait qu’empirer : selon une étude publiée par la revue Science en septembre 2021, les enfants nés en 2020 subiront sept fois plus de vagues de chaleur, deux fois plus de sécheresses et incendies de forêts, trois fois plus d’inondations et mauvaises récoltes qu’une personne née en 1960 [1].

Total continue à investir dans les énergies fossiles

Le chaos climatique se conjugue donc au présent et nul n’en sortira indemne. L’insécurité est écologique et la catastrophe est aussi sociale : ce sont les plus pauvres, précaires et fragiles d’entre nous qui seront les plus touchés par ces phénomènes climatiques intenses.

Nous sommes confrontés aux doubles ciseaux de la catastrophe climatique : d’un côté les politiques climatiques que les pouvoirs publics devraient mener d’urgence sont toujours édulcorées, rendues inoffensives ou remises à plus tard ; de l’autre, les entreprises du secteur des énergies fossiles continuent d’explorer de nouveaux gisements, d’en exploiter plus et de refuser d’arrêter d’investir.

Parce qu’elle est l’une des principales multinationales françaises, qu’elle continue à investir massivement dans les énergies fossiles et qu’elle est un acteur majeur du lobbying anti-climatique en France et en Europe, TotalEnergies incarne parfaitement une part conséquente de la responsabilité des catastrophes climatiques. Le chaos climatique n’est ni un accident ni une fatalité : les responsabilités sont inégalement partagées. Nommer les responsables est une exigence du temps présent.

Grande contributrice au changement climatique

Voici un petit florilèges des raisons qui peuvent donc justifier d’appeler les canicules à venir du nom de TotalEnergies et de lui accoler son occurrence :


 TotalEnergies fait partie des 20 entreprises qui ont le plus contribué au réchauffement climatique depuis 1965, selon le quotidien britannique The Guardian.
 TotalEnergies était au courant de l’impact "potentiellement catastrophique" de ses activités sur le climat dès 1971, et n’a cessé depuis de nier, fabriquer du doute et freiner les politiques climatiques.
 TotalEnergies s’apprête à ouvrir l’équivalent de 18 centrales à charbon rien qu’avec les projets pétro-gaziers qu’elle a dans les cartons d’ici 2025, alors que l’Agence internationale de l’énergie a montré qu’il ne fallait plus investir dans de nouveaux projets gaziers ou pétroliers.
 TotalEnergies et son PDG Patrick Pouyanné viennent ainsi d’annoncer « un jour historique » [2] pour qualifier leur engagement dans le plus grand projet de gaz naturel liquéfié du monde, au Qatar.

 TotalEnergies continue de consacrer, selon ses propres données, plus de 70 % de ses investissements au pétrole et au gaz, alimentant le réchauffement climatique et les vagues de chaleur.
 TotalEnergies profite de milliards d’euros d’aides publiques – aides Covid-19, aides BCE, plans de relance, plan France2030, aide inflation (lire ici) – mais refuse de s’engager dans la reconversion de son appareil productif.
 TotalEnergies refuse d’envisager de fermer ses infrastructures dans les énergies fossiles alors qu’une étude récente montre qu’il faudrait en fermer la moitié pour conserver une chance raisonnable de ne pas dépasser 1,5°C.
 TotalEnergies profite de l’envolé des prix de l’énergie pour amasser des profits, augmenter la rémunération de ses actionnaires plutôt que d’investir massivement dans la transition énergétique.
 TotalEnergies veut construire le plus grand oléoduc chauffé au monde (1443 km), qui menace de nombreuses réserves et aires protégées et les deux plus grandes réserves d’eau douce d’Afrique de l’Est, les lacs Victoria et Albert (projets Tilenga et EACOP).
 TotalEnergies refuse d’enclencher une politique climatique digne de ce nom et continue de tergiverser et remettre à plus tard sa reconversion industrielle et technique, préférant faire voter à ses actionnaires des plans de greenwashing, selon Greenpeace.
(liste non exhaustive)

Des spécialistes du climat et de la météo ont suggéré d’autres options pour nommer ces vagues de chaleur. Notamment celle consistant à ne pas se limiter à TotalEnergies mais de commencer par Aramco, puis de continuer avec BP, Chevron, et les autres, en changeant de lettre pour chaque nouvelle vague de chaleur. Une telle taxonomie mériterait sans doute une initiative internationale.

D’ici là, notre proposition nous semble plus simple et opérationnelle à court terme. Y compris pour marquer les esprits et s’assurer de faire grossir la pression à la fois sur les pouvoirs publics et sur Patrick Pouyanné, et la direction de TotalEnergies, qui refusent catégoriquement de reconnaître que leurs investissements actuels dans les énergies fossiles sont climaticides.

Une telle appellation pourrait utilement être complétée : pourquoi ne pas prendre le nom d’Engie et procéder de la même manière pour chaque phénomène climatique pluvieux exceptionnel et inondation majeure ? Et, pourquoi pas également prendre le nom d’un des 63 milliardaires français qui brûle la planète avec leur mode de vie insoutenable pour nommer chaque méga-feu auquel nous devrons faire face, comme le propose le journaliste Mickaël Correia (#megafeuBernardArnaud) ?

À débattre.

Vite.

D’ici là, appelons donc la vague de chaleur qui arrive la « canicule TotalEnergies n°1 »

Maxime Combes, économiste, coauteur d’Un pognon de dingue, mais pour qui ? (Seuil, 2022).