Le rendez-vous est fixé sur une vaste place de la ville où il étudie. On le repère en premier, identifiable grâce à sa photo de profil Twitter, mais surtout grâce à son keffieh rouge autour du cou. « Je l’ai mis spécialement pour l’occasion. Normalement, j’essaie d’être le plus neutre possible dans mes habits », raconte « Vilain syndicaliste ». C’est le pseudo que ce jeune homme de 22 ans s’est choisi sur Twitter. Il y compte plus de 43 000 abonnés depuis qu’il est devenu une cible privilégiée de l’extrême droite. « C’est comme les habits, maintenant je préfère rester le plus discret possible », souffle l’intéressé.
Deux agressions physiques par des militants d’extrême droite
Pendant longtemps, le jeune homme a « twitté » sous sa vraie identité. Jusqu’à ce samedi de septembre 2021, en début d’après-midi. Alors qu’il marche en compagnie de sa mère dans le centre-ville clermontois, un petit groupe de militants d’extrême droite l’agressent. « Le samedi, c’est le jour des anti-passe. À Clermont, les fachos aiment bien traîner dans ces manifestations. Là on rentrait de notre déjeuner tranquillement et certains m’ont reconnu. Ils m’ont entouré et ont commencé à me dire "Alors, on fait le malin sur Twitter ?". Puis ils m’ont bousculé, insulté, intimidé. Je ne me rappelle pas vraiment de ce qu’ils disaient. J’étais trop concentré à écarter ma mère », souligne l’étudiant.
C’est la deuxième agression physique qu’il subit de la part de militants d’extrême droite, après une première survenue en mai 2020. Mais cette fois, l’attaque a eu lieu en présence de sa famille. Pour le jeune homme, c’en est trop. Il décide de s’anonymiser sur les réseaux sociaux et se met en retrait du militantisme sur le terrain. Il dépose également plainte, vidéo à l’appui.
Comment en est-on arrivé là ? « Je me suis installé à Clermont-Ferrand après mon bac pour faire mes études supérieures. Je ne savais pas trop ce que je voulais faire alors je me suis inscrit en droit. Autrement dit, j’étais mal barré pour être de gauche », rigole-t-il. Avant ses 18 ans, Vilain syndicaliste n’était pas spécialement politisé. Il a grandi dans une petite ville de quelques milliers d’habitants avec des parents « de gauche modérée ». « On ne parlait pas trop de politique à la maison. » La politique, il tombe dedans sur Youtube. « J’ai regardé une vidéo "Mélenchon clash Le Pen, Best of", ça m’a donné envie de m’intéresser, dit-il. J’ai emmené ma mère voir Jean-Luc Mélenchon pour son meeting holographique en 2017, et j’ai tout de suite été séduit. »
« Militant de terrain lambda » et twitto à forte audience
De ce premier meeting naît un réel attrait pour la politique. « J’étais vraiment un mélenchoniste pur et dur au début. Je regardais tout ce qu’il faisait, le défendais, peu importe les arguments, même quand ils étaient foireux… », rapporte l’étudiant. « Avant d’arriver à la fac, je n’avais que Twitter pour suivre ça. Je ne savais pas vraiment ce que c’était de faire de la politique. » Dès cette époque, il se construit une première base d’abonnés sur les réseaux sociaux. « Je ne faisais que retweeter des trucs sur Mélenchon, donc il y a un certain nombre de militants insoumis qui ont commencé à me suivre et à beaucoup interagir avec mes tweets. »
Quand il débarque il y a quatre ans à l’université de Clermont-Ferrand, son engagement et son militantisme s’affinent. « En arrivant, j’étais ce qu’on appelle dans le syndicat un "nini", c’est-à-dire ni un des nouveaux qui n’ont encore aucune formation politique, ni ceux avec des discours bien structurés. » Lors d’une manifestation, il rencontre des syndicalistes de l’Unef avec qui il discute longuement. Et décide de s’engager au sein du syndicat étudiant. « Ce sont mes camarades du syndicat qui m’ont formé à la politique et m’ont convaincu de l’utilité du syndicalisme, avec cette idée d’"un pied dans la rue, un autre dans l’administration". » Aujourd’hui, le discours de Vilain syndicaliste est construit. « Je me considère comme trotskyste et profondément marxiste. Je ne me déplace jamais sans mon manifeste du Parti communiste », glisse le jeune homme.
Le parcours peut sembler classique : celui d’une politisation post-bac grâce à des lectures et des rencontres qui, au fil des années, ont forgé des convictions. D’ailleurs, il le répète plusieurs fois : « Je suis un militant lambda, de terrain, rien de plus ». Dans sa ville, sans doute. Sur Internet, c’est moins sûr. En parallèle de son engagement à l’Unef, le jeune homme a continué à être très actif sur Twitter. « Ce que j’écris est rarement réfléchi. Je vois passer des nouvelles qui m’énervent et j’y réponds cash. On vit dans un monde où il y a peu de nouvelles positives. Mes tweets sont souvent animés par de la colère de classe. Et cette colère est, je pense, saine. »
« Certaines personnes me demandaient des photos, ça m’a beaucoup dérangé »
Ce ton fait grimper son audience et son nombre d’abonnés. Au point de devenir, malgré lui, une personnalité publique. « Aux universités d’été de la France insoumise, certaines personnes me demandaient des photos, ça m’a beaucoup dérangé. Je rejette totalement ce statut d’influenceur, de personnalité publique. » Cette visibilité le place aussi en première ligne face à l’extrême droite. « Je pense que le tournant, c’est le premier article que m’a consacré Démocratie participative. » Attribuée au militant néonazi Boris Le Lay, cette plateforme publie des contenus racistes, homophobes, antisémites sur des personnalités publiques. Des contenus qui font partie des plus violents et haineux mis en ligne sur l’Internet francophone. Au point que Google l’a déférencée et que la justice française a ordonné aux fournisseurs d’accès Internet de le bloquer [1].
Fin 2019, Vilain syndicaliste fait son coming-out à sa famille et l’écrit sur twitter. Quelques jours plus tard, le site Démocratie participative sort un article qui lui est uniquement consacré. Nous l’avons lu. Mais pour éviter toute mauvaise publicité, nous ne le citerons pas. Il reçoit ensuite régulièrement sur Twitter des messages haineux, jusqu’à des menaces de mort. « Ça s’est un peu calmé. De toute manière, je supprime tous ces messages et bloque systématiquement ces comptes. » Les groupuscules fascistes le gardent dans le collimateur. En 2021, Démocratie participative lui consacre un second article, du même acabit que le premier. Puis, comme l’a révélé une enquête de nos confrères de StreetPress, Vilain syndicaliste se retrouve en novembre dernier sur un canal Telegram d’extrême droite avec une cible sur la tête, aux côtés de Jean-Luc Mélenchon, de la député insoumise Danièle Obono, de Taha Bouhafs, journaliste au Média, de Mathieu Molard, rédacteur en chef de StreetPress, et du visage d’Anne Frank, l’adolescente morte à 15 ans en déportation.
Les photos, assorties de caricatures racistes et antisémites, sont publiées sur la chaîne Telegram « Les Vilains Fachos », dont certains membres sont proches de la campagne d’Éric Zemmour. Le tout est accompagné d’un lien qui dirige vers un site permettant d’acheter des armes à feu. « Je ne sais pas pourquoi j’ai été foutu là, souffle l’étudiant. Peut-être qu’avec les articles sur Démocratie participative, les fachos ont fait une fixette sur moi… » Comme les autres victimes de ces menaces, il a porté plainte. La France insoumise a également pris contact avec lui. « Ils m’ont dit que l’affaire allait être portée auprès du procureur de la République de Paris. »
« Il faut clairement une réponse antifasciste à ce phénomène »
Pour faire face à ces attaques, Vilain syndicaliste essaie de se détacher au maximum. « Je me dis que tout le monde s’en fout de ma vie. Ce qui est attaqué ce n’est pas moi, ce sont les idées que je porte, l’antiracisme, la lutte contre l’extrême droite, des idées de gauche. » Il souligne que ces agressions ont aussi changé sa manière d’appréhender l’extrême droite. « L’erreur c’est de les considérer comme des bouffons. Avant tout ça, je prenais peut-être un peu le fascisme à la légère. Mais ce n’est pas de la bouffonnerie et ce n’est jamais à prendre à la légère, surtout quand il est décomplexé à ce point… C’est très inquiétant. Il faut clairement une réponse antifasciste à ce phénomène. »
Si le jeune militant explique réussir à prendre du recul vis-à-vis de tout ça, il a tout de même dû se mettre en retrait de ses engagements syndicaux. « Par exemple, il y avait des élections syndicales à la fac récemment, et je n’ai pas milité, pour ma santé mentale, mais surtout pour la sécurité de mes camarades. » Il confie aussi être en permanence sur le qui-vive. « Je me retourne régulièrement dans la rue, j’ai peur quand on toque à la porte de mon logement… »
Malgré tout, le jeune homme veut continuer à vivre le plus normalement possible. Cette année, il termine son master 2 de droit et politique internationale. Pour devenir chercheur ou juriste ? « Je ne sais pas du tout encore », répond-il. Une chose est sûre toutefois, il se projette dans un métier où il pourra « servir » en cas d’arrivée de la gauche au pouvoir.
Pierre Jequier-Zalc
Photo de Une : ©Pierre Jequier-Zalc