Alternatives

Une « sécurité économique » pour développer les entreprises coopératives d’intérêt social ou écologique

Alternatives

par Benoît Borrits

Le mouvement coopératif est porteur de valeurs démocratiques dans l’économie. Mais le besoin d’investir pèse sur son développement. Cette contrainte pourrait être réduite par la mutualisation de flux de trésorerie, plaide Benoît Borrits.

La différence fondamentale entre une coopérative et une société de capitaux est la relation inverse qui existe entre le capital et l’objet social. Dans une société de capitaux, les propriétaires se réunissent pour valoriser leur capital, l’objet social – ce que va produire l’entreprise – est le moyen qui leur permettra cette valorisation. Dans une coopérative, c’est l’exact inverse : on se réunit autour d’un objet social qui correspond à un besoin social ou écologique, le capital est au service de celui-ci.

Dans la société de capitaux, il n’y a aucune limitation à la rémunération du capital (les dividendes versées aux actionnaires). Dans la coopérative, celle-ci sera limitée à un dédommagement pour avoir immobilisé une somme d’argent pour les besoins de l’entreprise.

Malgré le capital, la démocratie coopérative

Ce renversement de la relation entre capital et objet social a aussi une incidence sur l’organisation collective des prises de décision. Si le capital est la motivation première de la société, il est alors logique que les prises de décision se fassent sur la base du nombre de parts ou d’actions détenues. Le principe du suffrage censitaire s’applique alors. À l’inverse, dans une coopérative, comme les individus se réunissent sur la base de l’objet social, les prises de décision peuvent se faire sur le principe d’une voix par personne quel que soit le nombre de parts détenues. La démocratie fait son apparition dans l’entreprise coopérative, ce qui est impossible dans une société de capitaux.

Si les règles coopératives permettent l’éclosion de la démocratie dans l’entreprise, il n’en reste pas moins vrai que le capital coopératif est peu attractif : comme dans une société de capitaux, il est à risque. En plus, si l’entreprise se maintient, on n’en retirera qu’une rémunération limitée. Pour le dire autrement, on n’investit dans le capital coopératif seulement parce que l’entreprise en a besoin et aucunement par intérêt. Si on pouvait diminuer le besoin en capital, ce serait une formidable opportunité de développement des coopératives.

Démocratiser l’entrepreneuriat

La Sécurité économique est une proposition de régime obligatoire interentreprises – comme la Sécurité sociale – dans lequel une partie de la richesse produite est mutualisée pour être redistribuée en fonction du nombre d’emplois dans chaque entreprise. Ceci revient à mettre hors-marché une partie de la production privée pour garantir une base de revenus à toute personne impliquée dans cette production.

La première difficulté d’une création d’entreprise est de payer les personnes qui vont y travailler alors que l’entreprise ne commencera à générer des ventes que quelques mois plus tard. Il est donc nécessaire que l’entreprise dispose d’argent au moment de sa création. Ceci explique qu’une grande partie des entreprises soient des sociétés de capitaux que les apporteurs dirigent dans l’objectif de valoriser leur argent.

Avec une Sécurité économique qui mutualisera 50 % de la richesse produite, une entreprise en démarrage est certaine de disposer de revenus permettant d’assurer à chacun de ses travailleurs la moitié de la valeur moyenne que produit un salarié, soit légèrement plus que la moitié du salaire moyen. Voilà qui réduira largement le besoin en capital initial et favorisera, en conséquence, l’entrepreneuriat coopératif pour qui le capital reste une contrainte.

Subventionner l’investissement

Un autre aspect non négligeable du besoin de capital sont les investissements de long terme. Même si l’entreprise compte emprunter pour financer ceux-ci, les établissements bancaires exigeront des fonds propres. Or la Sécurité économique est aussi un outil de subventionnement partiel des investissements.

En effet, la mesure de la richesse produite dans le cadre de la Sécurité économique sont les flux de trésorerie d’activité (FTA), une notion équivalente à la valeur ajoutée sur le long terme. Schématiquement, il s’agit des encaissements de ventes et de subventions diminués des paiements de fournisseurs et des impôts. Ce choix des FTA permet de subventionner l’ensemble des achats qu’effectue une entreprise, y compris ses investissements de long terme. En supposant que nous mutualisions 50 % des FTA, qui sont une différence entre encaissements et décaissements, ceci signifie alors que nous allons prélever 50 % des encaissements et subventionner 50 % des paiements. Lorsqu’une entreprise va acheter un équipement à long terme, 50 % du prix de cet équipement sera subventionné par l’ensemble des entreprises. L’entreprise concernée n’aura plus qu’à financer les 50 % restants, par emprunt bancaire ou sur ses fonds propres. Les besoins en capital seront ainsi réduits de moitié.

La mutualisation comme complément de la coopération

Le principe de base de la Sécurité économique est de mettre hors-marché une partie de la production privée en la partageant de façon égalitaire entre toutes celles et ceux qui ont participé à cette production. Elle réduit ainsi le capital à mobiliser pour entreprendre en garantissant une base de rémunération aux travailleurs et en subventionnant les investissements. Cette mutualisation démocratise ainsi l’entrepreneuriat, ce qui constituera une formidable opportunité de développement du mouvement coopératif dans l’économie.

Pour en savoir plus sur la Sécurité économique : pleinemploi.org

Benoît Borrits, animateur de l’association Autogestion (www.autogestion.asso.fr), est l’auteur d’Au-delà de la propriété. Pour une économie des communs, (La Découverte, 2018) et de Travailler autrement : les coopératives (Édtions du Détour, 2017).

Photo de une : L’équipe la première coopérative de médias indépendants espagnols, El Salto, en 2017. ©Saltamos.net.