L’édition 2019 du Forum économique mondial de Davos s’ouvre le mardi 22 janvier dans les montagnes suisses. L’événement sera une nouvelle fois l’occasion pour les milieux d’affaires et les multinationales de faire étalage de leur engagement face aux grands défis de la planète. Et de proposer leurs propres « solutions » pour y faire face, qu’il s’agisse de sauvegarder le climat, de promouvoir la cause des femmes, de lutter contre la misère et la maladie, de mettre fin à la pollution des océans par le plastique ou de réduire les inégalités.
Une posture rendue encore plus commode par la démission ou l’inaptitude évidente des dirigeants politiques. Le sommet de Davos se tiendra cette année sans Donald Trump, retenu aux États-Unis par le « shutdown » (l’absence d’accord sur le budget), sans Theresa May, retenue par le Brexit et sans Emmanuel Macron, retenu par le « grand débat national » organisé en réponse au mouvement des gilets jaunes. En leur absence, c’est le nouveau président brésilien d’extrême-droite, Jair Bolsonaro, qui risque de tenir la vedette, et affiche son mépris pour toute considération environnementale et climatique. Le président français accueillera toutefois 150 patrons français et étrangers en grande pompe à Versailles, comme l’année passée, pour promouvoir l’investissement étranger dans l’Hexagone.
Grand écart entre les discours et les pratiques
Derrière le festival de promesses et de beaux discours de Davos, il y a surtout une profonde schizophrénie. Les multinationales et leurs dirigeants s’y mettent en scène en tant que porteurs de « solutions » à des problèmes que, souvent, ils ont eux-mêmes grandement contribué à créer. C’est ce que vient rappeler opportunément une note publiée par Attac en partenariat avec l’Observatoire des multinationales, qui s’appuie largement sur le « véritable bilan annuel des grandes entreprises françaises » que nous avions publié en juin dernier (à retrouver ici).
C’est vrai de la crise climatique, alimentée par l’industrie des hydrocarbures, de l’automobile et de l’agriculture industrielle, entre autres. Mais c’est vrai tout autant de la montée des inégalités dans les pays industrialisés et de la persistance de la misère dans les pays pauvres, favorisées par des politiques néolibérales qui profitent seulement à quelques-uns, comme l’illustre le rapport d’Oxfam : 26 personnes possèdent autant que la moitié la moins bien lotie de la population mondiale, soit 3,8 milliards de personnes [1]. Ou encore de la crise des finances publiques, nourrie par les pratiques d’optimisation fiscale des grands groupes et les politiques de « compétitivité » et d’« attractivité » comme celles poursuivies en France.
On observe la même schizophrénie, à plus petite échelle, en France, à propos des « gilets jaunes ». Le mouvement de protestation est largement alimenté par une révolte contre l’injustice fiscale et contre la vision du monde incarnée par Emmanuel Macron, à commencer par ses réformes fiscales et sociales visant à rendre le pays plus « attractif » pour les investisseurs. Et pourtant, l’une des principales réponses apportées par le gouvernement aura été de demander aux entreprises de verser une prime « exceptionnelle » et volontaire de fin d’année. Ce que la plupart des groupes du CAC40 se sont évidemment empressés de faire.
Les dividendes augmentent, les impôts et l’emploi en France baissent
Ils pouvaient se le permettre, puisque ces mêmes groupes ont battu en 2018 un nouveau record de profits et de versement de dividendes à leurs actionnaires : 57,4 milliards d’euros, en comptant les rachats d’actions. Attac et l’Observatoire des multinationales rappellent la réalité qui se cache derrière ce record. Côté pile, les bénéfices cumulés des entreprises du CAC40 ont augmenté de 9,3% entre 2010 et 2017, leurs dividendes de 44%, et les rémunérations patronales de 32%. Côté face, l’impôt sur les bénéfices versés par ces mêmes sociétés ont baissé de 6,4% en valeur absolue, et leurs effectifs en France ont diminué de 20%, soit plus de 100 000 emplois en moins (alors que leurs effectifs mondiaux augmentaient de 2,4%).
Vaut-il vraiment la peine pour autant de s’acharner sur le Forum de Davos ? Après tout, ne représente-t-il pas les couches les plus « éclairées » du monde des affaires, désireuses de pallier au moins aux défauts les plus criants de la mondialisation ? En réalité, Davos vise surtout à favoriser une certaine conception de la « gouvernance mondiale », associant étroitement le public et le privé [2]. C’est ce que rappelle la note d’Attac : les « solutions » mises en avant à Davos occultent les causes profondes des problèmes, et privilégient des solutions cosmétiques, qui ne remettent pas en cause les intérêts établis des élites politiques et économiques. Cela contribue à occulter la possibilité même de politiques plus ambitieuses, comme celles que propose l’association altermondialiste : limiter les rémunérations patronales par un facteur de 12, mettre en place une réelle fiscalité carbone visant les sites polluants, et instaurer une taxation unitaire des multinationales.
Douze des entreprises du CAC40 sont « partenaires » officiels du Forum économique mondial de Davos ; autrement dit, elles paient cher pour s’afficher parmi les multinationales « leaders » de leur secteur et influer sur les thèmes et la tenue des débats. Et ainsi soigner leur image publique, loin, très loin des conséquences réelles de leurs pratiques.
Olivier Petitjean
– Lire le rapport d’Attac en partenariat avec l’Observatoire des multinationales : Les grandes entreprises françaises, un impact désastreux pour la société et la planète
– Lire notre « Véritable bilan annuel des grandes entreprise françaises » (juin 2018)
Photo : World Economic Forum by E.T. Studhalter