« Les verts renoncent à l’interdiction du glyphosate. » Ce titre du site d’informations Euractiv a profondément mis en colère les eurodéputés écologistes, membre du groupe Verts/ALE (alliance libre européenne). « Nous n’avons économisé ni notre énergie, ni notre temps, pour faire du glyphosate un véritable enjeu européen », rétorque le groupe, détaillant leurs multiples actions en la matière depuis 2016. Alors, comment expliquer ce tweet rageur de l’eurodéputé Younous Omarjee, membre du groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE) et de la France insoumise ? [1]
🔴 Qu’on se le dise : Ce mercredi à Strasbourg, l’extrême droite RN et les groupes de droite, PPE et Liberaux se sont opposé à mon amendement d’interdiction du #Glyphosate. Les groupes Socialistes et Verts, à l’exception des eurodeputés francais, ne l’ont pas davantage soutenu. pic.twitter.com/RNoPKMsG0L
— younous omarjee (@younousomarjee) 21 janvier 2019
Pour le comprendre, il faut revenir à l’adoption par une majorité d’eurodéputés, le 16 janvier dernier, des conclusions de la commission « Pest ». Celle-ci, créée à la suite des révélations des « Monsanto papers » et de la ré-autorisation pour cinq ans du glyphosate dans l’Union européenne en novembre 2017, recommande une refonte du système d’évaluation des pesticides. Or, pour que ce rapport soit adopté, les Verts ont conclu un accord avec la droite conservatrice (PPE, parti populaire européen), par l’entremise des sociaux-démocrates [2]. Interpellés à ce sujet, les eurodéputés écologistes assument « faire des compromis avec socialistes, libéraux ou conservateurs, quand ces compromis sont bons [3], et encore plus quand ils sont soutenus par 140 ONG dont le but est de trouver des alternatives aux pesticides. »
Pesticides : le Rassemblement national s’oppose à davantage de transparence
Si la culture du compromis est variable entre les Verts et la gauche radicale, une chose est sure : les eurodéputés écologistes, de la gauche unitaire européenne et les socialistes se sont régulièrement battus ces cinq dernières années pour faire reculer les pesticides à l’échelle européenne. En revanche, la droite (PPE) appuyée par les centristes de l’Alliance des démocrates et des libéraux (ALDE, centre-droit), ont compliqué l’avancée des travaux en commission [4]. Le PPE, auquel les Républicains sont affiliés, avait ainsi contesté le principe même de la création d’une commission spéciale. « Nous voulions éviter de faire un procès à Monsanto », a justifié l’eurodéputée LR Angélique Delahaye, estimant que « le Parlement ne devrait pas s’autoproclamer justicier » et « s’attaquer à une entreprise » [5].
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Cette opposition a conduit à ce que le mandat de la commission ne porte pas sur le glyphosate mais sur les pesticides en général. Au final, 77 % des parlementaires ont voté en plénière le rapport présenté par la Commission Pest. Seules la droite eurosceptique et l’extrême droite ont appelé à se prononcer contre. L’ensemble des eurodéputés du Rassemblement national qui se sont exprimés le jour du vote ont suivi la consigne de leur groupe, s’opposant ainsi à davantage de transparence sur la procédure d’autorisation des pesticides, notamment du glyphosate [6].
Détail du vote des groupes sur le rapport Pest, à retrouver sur votewatch.eu.
Pêche électrique : Les Républicains, mauvais élèves de la protection des océans
Le 16 avril dernier, le Parlement européen entérine l’interdiction de la pêche électrique en Europe à partir du 1er juillet 2021. Cette technique industrielle consiste à lancer un large filet qui racle les fonds marins et envoie une décharge électrique aux poissons qui les paralysent et les amènent à remonter à la surface. Selon l’association Bloom, fer de lance dans cette bataille, « certains responsables politiques ont joué un rôle clef dans le chemin menant à la victoire », citant les eurodéputés Younous Omarjee (France insoumise), Yannick Jadot (écologiste) et Isabelle Thomas (socialiste). L’association rappelle également que lorsqu’elle a commencé à faire campagne au Parlement européen en 2017, tous les groupes politiques sauf un – la Gauche unitaire européenne – acceptaient le principe de la pêche électrique.
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Face à des eurodéputés qui clament tous vouloir défendre l’océan, les équipes de Bloom ont analysé 32 votes considérés comme les plus importants concernant la pêche et sa durabilité. Ils ont ensuite attribué des notes en fonction des votes sur cette sélection. Les pires évaluations reviennent aux groupes du PPE (droite conservatrice) et au Groupe Europe des nations et des libertés (qui comprend les élus du Rassemblement national). Les eurodéputés issus des Républicains sont les plus mauvais élèves, multipliant les votes « qui détruisent l’océan » ou les absences et abstentions. A l’autre bout, ce sont les eurodéputés écologistes qui se révèlent être les plus ardents défenseurs de la protection des mers avec un « 20/20 » pour Karima Delli et Pascal Durand – qui a depuis quitté les Verts pour la liste de La République en Marche – suivis par des membres de la Gauche unitaire européenne comme Marie-Christine Vergiat, de socialistes comme Édouard Martin ou de communistes comme Patrick Le Hyaric.
Extrait ci-dessus de l’évaluation menée par l’association Bloom concernant les votes des eurodéputés en matière de protection des océans.
L’extrême-droite en Europe : des votes qui s’opposent systématiquement aux mesures climatiques
Quels groupes d’eurodéputés ont défendu les mesures les plus ambitieuses pour lutter contre le dérèglement climatique ? Pour le savoir, le Réseau action climat a lui-aussi développé un outil passant au crible les votes sur plusieurs textes clés. L’Union européenne s’était engagée en 2014 à réduire ses émissions de 40 % d’ici 2030. Le 29 octobre 2018, les élus écologistes, socialistes, de la gauche radicale ainsi que les centristes se sont accordés pour élever cette ambition à 55 %. Ils ont également défendu une Europe neutre en gaz à effet de serre d’ici 30 ans, ce qui suppose de ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que le pays, ou l’Union européenne, ne peut en absorber via les écosystèmes (forêts, sols...) ou certains procédés industriels très controversés tels que la capture et le stockage de carbone. La droite conservatrice, dont Les Républicains, a accepté la neutralité pour 2050 sans pour autant réviser à la hausse les objectifs de 2030. En revanche, l’extrême droite (Rassemblement national, Debout la France, les Patriotes) ont rejeté pour une majorité d’entre eux la révision à la hausse des objectifs climatiques pour 2030 et 2050.
Un rapport publié en février dernier par le think tank allemand Adelphi souligne que deux députés populistes de droite sur trois au Parlement européen votent régulièrement contre les mesures relatives aux politiques climatique et énergétique. « Sept des 21 partis populistes de droite nient l’existence du changement climatique », révèle Stella Schaller, l’une des auteures du rapport [7]. L’AfD en Allemagne, le parti néerlandais pour la liberté, l’Ukip britannique, le Lega italien et le RN en France ont systématiquement voté contre toutes les résolutions, avec quelques abstentions pour le RN. Tous ces partis, à l’exception du Fidesz hongrois, se sont opposés à l’objectif d’augmenter de 35 % l’efficacité énergétique en Europe d’ici 2030. L’extrême droite assume ses votes en expliquant que l’UE n’a pas à s’immiscer dans les politiques environnementales et énergétiques des États.
Des centristes proches de LREM qui modèrent le déploiement des renouvelables et les économies d’énergie
Les énergies renouvelables couvraient, en 2017, 17,5 % de la consommation finale brute d’énergie de l’Union européenne. Faire en sorte que près de la moitié de l’énergie consommée en Europe en 2030 soit issue de sources renouvelables (45 %), c’est ce qu’ont défendu les eurodéputés de gauche et écologistes au Parlement européen le 17 janvier 2018. Mais la bataille a été remportée par les centristes ainsi que la droite qui ont préféré un objectif moins ambitieux. « Il s’agit déjà d’un effort particulier pour la France qui est le mauvais élève européen dans le déploiement des énergies renouvelables », note le Réseau Action Climat.
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Qu’en est-il de la sobriété énergétique ? En janvier 2018, les députés européens ont adopté une législation visant à réduire la consommation d’énergie d’un tiers d’ici 2030. On retrouve là encore les mêmes positionnements : alors que les socialistes, les écologistes et la gauche radicale s’étaient prononcés en faveur de cette efficacité énergétique, les eurodéputés issus des Républicains et de LREM s’y sont engagés très partiellement. L’extrême droite s’est opposée au principe même d’économie d’énergie...
Extrait de l’Observatoire des élus, réalisé par le réseau Action Climat. Les élus qui se sont opposés au principe d’économie d’énergie sont surlignés en rouge.
Transports : la droite rechigne à imposer des normes
Les poids lourds représentent 25% des émissions de CO2 du transport routier et environ 5% de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne. Alors que l’Union ne disposait d’aucun cadre réglementaire pour limiter ces émissions, les États et le Parlement européen se sont finalement accordés fin 2018 pour fixer les premières normes. Celles-ci permettront de contraindre les émissions de CO2 des camions neufs mis sur le marché par les constructeurs. Écologistes, socialistes et gauche radicale souhaitaient que les poids lourds réduisent leurs émissions d’au moins 35 % d’ici dix ans. Selon le Réseau action climat, « le gouvernement français a adopté une position ambivalente tout au long des négociations, en souhaitant relever l’objectif de long terme proposé par la Commission européenne, tout en soutenant une limite de réduction faible pour 2025 ». C’est finalement cette position qui l’a emportée avec un objectif de réduction d’au moins 15 % en 2025 et de 30 % en 2030 par rapport à 2019.
« Il est temps que le secteur du transport routier change de statut : de plus grand pollueur, il peut dès demain devenir un protecteur majeur du climat, saluait l’eurodéputée écologiste Karima Delli, présidente de la commission Transports au Parlement. C’est aussi un enjeu pour l’emploi, car c’est en innovant pour des véhicules propres que nous pourrons sauver les salariés de l’industrie automobile européenne, pas en les enfermant dans le vieux monde des carburants fossiles. » Un avis qui n’est pas partagé par la droite et l’extrême droite qui se sont prononcés contre un cadre réglementaire, rechignant à imposer de réelles contraintes aux constructeurs. Selon la députée européenne (LR) Françoise Grossetête, ces cibles de réduction de CO2 « ne sont pas réalistes ». « Il faut laisser le temps aux constructeurs de s’adapter, leurs chaînes de fabrication sont moins flexibles que celles des constructeurs de voitures » justifie-t-elle.
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Traités de libre échange : des oppositions, mais pas pour les mêmes raisons
En 2017, la Commission a soumis au vote l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada qui soulève de nombreuses inquiétudes en matière d’emploi, de qualité de l’alimentation ou de poursuites des États par des multinationales. Alors que les Verts, l’extrême gauche et l’extrême droite ont voté contre, les conservateurs, les libéraux et la majorité des sociaux-démocrates – à l’exception des eurodéputés socialistes et radicaux français – ont voté en faveur du Ceta (notre précédent article). Si le PS était alors divisé, il précise désormais dans son programme commun avec Place publique et Nouvelle Donne vouloir suspendre toutes les négociations et ratifications en cours des accords de commerce et d’investissement, « tant que n’auront pas été démocratiquement définis les critères environnementaux, sociaux, fiscaux et de droits humains ambitieux qui remettent la politique commerciale au service du bien commun ». Cette position n’est pas partagée par l’ensemble des eurodéputés affiliés aux sociaux-démocrates à l’échelle européenne.
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Quant aux eurodéputés du RN, ils se sont effectivement bien affichés le jour du vote avec un panneau « Stop Ceta » et ont voté contre le traité. Pourtant, il semble qu’ils aient mieux à faire lorsque les caméras ne sont pas là. Ainsi, quand il s’agit de mener des batailles concrètes en commission, Marine Le Pen brille par son absence. Le 28 mai 2015, la commission « commerce international » – dont Marine Le Pen est membre titulaire – doit se prononcer sur le projet d’accord de libre-échange transatlantique, ce fameux Tafta que la patronne du RN ne cesse de pourfendre dans ces discours. Sur un sujet aussi crucial, Marine Le Pen n’a pas jugé bon de faire le déplacement. Ni d’ailleurs son suppléant d’alors, Aymeric Chauprade. Bis repetita en janvier 2017, lorsque la même commission est saisie de l’accord de commerce entre Europe et Canada, le Ceta, qui contient les mêmes dispositions controversées que le Tafta. La cheffe de file du RN est de nouveau aux abonnés absents.
Sophie Chapelle
Photo de Une : Le Parlement européen adopte à une large majorité le 15 février 2017 le traité de libre-échange conclu entre l’Union européenne et le Canada.