Education populaire

« Ça m’a fait apprendre des trucs sur l’écologie » : des collégiens de banlieue découvrent la France à vélo

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par Anne Paq, Emma Bougerol

Un professeur d’EPS d’un collège de Pantin (Seine-Saint-Denis) a lancé un projet ambitieux : « Jaurès à vélo » ou comment découvrir la France en pédalant. Depuis, une vingtaine de collégiens se retrouvent chaque année sur les routes.

« Zip », « zip », « zap » … La balle imaginaire passe de main en main. « Bang ! », et puis « zip », « zip », « zip » … Les collégiens présents connaissent ce jeu. Certains parlent fort, d’autres articulent le mot sans qu’aucun son ne sorte. Des rires viennent entrecouper les onomatopées. L’intervenant les interrompt : « Faites porter la voix ! C’est un entraînement de théâtre ! »

Au collège Jean-Jaurès de Pantin, ce jeudi après-midi, une vingtaine d’élèves se retrouvent dans la cour pour répéter leur pièce. Ils sont accompagnés de Grégory, comédien dans une troupe de théâtre, et de Marine Bellot (« madame Bellot » pour ses élèves), professeure d’EPS. Comme toutes les semaines depuis le début de l’année, ils se préparent pour un long périple : en juin, ils partiront à vélo jusqu’en Normandie. En plus des 300 kilomètres à pédaler, ils joueront une pièce de théâtre sur le thème de l’écologie, préparée et interprétée par leurs soins, à différentes étapes de leur trajet.

« Tout est à imaginer ! »

« Le projet Jaurès à vélo, c’est un signe distinctif de l’établissement », se félicite son principal, Yamin Horch. L’idée est née il y a neuf ans. Malgré des petites variations dans le contenu des cours, les activités ou l’itinéraire, il garde toujours la même philosophie : « Ils partent à vélo, et font chaque nuit en bivouac. Ils doivent préparer le voyage de A à Z. Il faudra réparer les vélos, faire les repas, tenir le journal de bord … Tout est à imaginer ! » Le responsable du collège souligne l’énergie et la « grande implication » des encadrants. Ils sont professeurs de sport, de sciences et vie de la terre, de français, d’histoire, et ne comptent pas les heures avec leurs élèves – ni l’énergie dépensée.

Marine Bellot, professeure d'EPS du collège, rappelle les règles aux élèves avant leur premier entraînement à vélo tous ensemble.
Marine Bellot, professeure d’EPS du collège, rappelle les règles aux élèves avant leur premier entraînement à vélo tous ensemble.
Anne Paq
« Ils partent à vélo, et font chaque nuit en bivouac. Ils doivent préparer le voyage de A à Z. Il faudra réparer les vélos, faire les repas, tenir le journal de bord … Tout est à imaginer ! »
Anne Paq

Pour participer au projet, les collégiens sont sélectionnés dès la classe de cinquième. Ils doivent rédiger une lettre de motivation pour expliquer ce qui leur a donné envie de rejoindre le projet. Le petit groupe mêle ceux que l’on appelle les « bons élèves » et les « décrocheurs ». À vélo ou pendant les répétitions de théâtre, dur de dire qui est le bon du mauvais élève – et peu importe, finalement. « Ce qui est important, c’est que tous les cours aient un sens, explique Marine Bellot. Ce n’est pas simple, mais c’est ce qui fait qu’on les accroche. »

« On fait plein de trucs différents, ça les tient vraiment, ajoute la prof d’EPS. Chaque semaine, il faut faire une nouvelle séance. On ne veut pas que ce soit comme à l’école. » Chaque cours est différent. Parfois en classe, parfois dehors, depuis le début de l’année, les élèves de Jaurès à vélo n’ont pas chômé : course d’orientation, tours en vélo, sensibilisation à l’écologie, ateliers théâtre, sessions « nutrition » pour penser les menus du voyage …

Apprendre sur soi et sur la planète

Le fil rouge du projet est l’éducation au développement durable. Pendant la course d’orientation, les élèves ramassent aussi les déchets qu’ils trouvent sur leur chemin. La semaine suivante, ces mêmes détritus servent de base pour travailler sur le devenir des différents matériaux jetés dans la nature. Les collégiens s’exclament devant les vidéos d’animaux tués par la pollution et s’indignent du mauvais recyclage du plastique.

« Ça m’a fait apprendre des trucs sur l’écologie, raconte Bintou, collégienne. Surtout sur les poubelles, là. Je ne savais pas à quoi correspondaient les couleurs. Maintenant, oui ! Je l’ai même expliqué à ma sœur. » Mais ce qui a séduit beaucoup d’élèves dans le projet, c’est le vélo. « Dans la lettre pour participer au projet, j’ai dit que j’étais fan de vélo. Et puis, vu que je sais bien en faire, j’ai dit que je pourrais aider les autres », raconte Medhi. Et le théâtre ? « Pas trop passionné. »

Manon aide un élève à préparer son vélo. Tout au long du trajet jusqu'en Normandie, ils devront aussi être en capacité de réparer leurs vélos aux fil des imprévus.
Manon aide un élève à préparer son vélo. Tout au long du trajet jusqu’en Normandie, ils devront aussi être en capacité de réparer leurs vélos au fil des imprévus.
Anne Paq
Daffa a l’habitude du vélo : « J’en ai un chez moi, je connais ! » Mais d’aussi longues distances, ce sera une nouveauté pour elle comme pour ses camarades de Jaurès à vélo.
Anne Paq

Un vendredi ensoleillé de mai, profs et élèves se rejoignent exceptionnellement pour un pique-nique au collège. L’après-midi, ils partent s’entraîner à pédaler tous ensemble au parc de la Courneuve. « Pas question d’y aller le ventre vide ! » répètent les profs à celles et ceux qui font les difficiles. Comme tous les repas dans le cadre du projet, les encadrants font très attention à ce qu’il soit équilibré et avec de bons produits. « Eux, ils ont l’habitude des pâtes et du riz, là ça change », raconte Manon, membre du projet depuis plusieurs années. Alors, forcément, il faut hausser la voix sur les petits malins qui essayent de ne pas finir leur assiette : « Mange ! - Mais y a des légumes, râle un élève. - Fallait pas signer à Jaurès à vélo, alors ! »

« Même les gros durs finissent par devenir nostalgiques »

« Les courbatures, ça va taper ! » Bol de taboulé à la main – qu’elle a contribué à préparer –, Daffa appréhende un peu le voyage. Elle a juste « un peu » hâte, même si elle en a envie. Ce qu’elle aime, c’est surtout la partie théâtre. Ça la connaît, elle en fait depuis toute petite. Et puis, le vélo, « ça va aller ». « On va faire une trentaine de kilomètres cet après-midi, rappelle sa prof, Marine Bellot. Faut qu’on vous voie pédaler tous ensemble, on a besoin de savoir si vous en êtes capables. »

Le pique-nique se termine. Les encadrants n’ont pas lâché, et tout le monde a fini par manger. « C’est particulièrement compliqué en ce moment avec le Ramadan », glisse la professeure d’EPS. Mais les estomacs sont remplis, les gourdes pleines d’eau et les casques sur la tête. La petite équipe est prête à partir en direction du parc de la Courneuve, à quelques kilomètres du collège. Shylina s’inquiète un peu : « Ça va me fatiguer. Je vais me mettre derrière, pour aller à mon rythme. Les autres, ils aiment bien aller vite. » « Mais j’aime bien le vélo, même si c’est dur », sourit la collégienne, déjà prête à partir.

La partie sur la route est compliquée. Le long du tram, les voitures klaxonnent, les professeurs sont hyper vigilants. Cela fait partie de l’apprentissage : ils auront beaucoup de routes jusqu’en Normandie, il faut faire attention.

Entre le collège de Pantin et le parc de la Courneuve, la route est difficile. Un entraînement nécessaire ! Il faut rester en fil, écouter les consignes et s'habituer à cohabiter avec les autres véhicules.
Entre le collège de Pantin et le parc de la Courneuve, la route est difficile. Un entraînement nécessaire ! Il faut rester aligné, écouter les consignes et s’habituer à cohabiter avec les autres véhicules.
Anne Paq
La partie sur la route est compliquée. Le long du tram, les voitures klaxonnent, les professeurs sont hyper vigilants. Cela fait partie de l’apprentissage.
Anne Paq

Une fois dans le parc, on monte, on descend, on s’entraîne à changer les vitesses et à rouler tous à bonne distance. Reste à discipliner la petite troupe, encore pleine d’énergie. « On n’est pas à la récré ! », leur lance Marine. Les petites récompenses sont les pauses en hauteur, pour observer le paysage. Du doigt, les encadrants montrent aux cyclistes en herbe le Sacré-Cœur, la tour Eiffel … « Au niveau de l’allure, vous tenez bien », les félicite la professeure.

Au parc, le gros de l'entraînement commence. Sur plusieurs kilomètres, les élèves s'essayent aux montées, aux descentes et aux différents types de terrains ... Et aussi à faire attention aux piétons !
Au parc, le gros de l’entraînement commence. Sur plusieurs kilomètres, les élèves s’essayent aux montées, aux descentes et aux différents types de terrains ... Et aussi à faire attention aux piétons !
Anne Paq
Dernier entraînement au Parc de La Courneuve avant un périple de 300 km à vélo, jusqu’au Mont Saint-Michel.
Anne Paq
« Il se passe un truc vraiment incroyable. Les élèves se poussent entre eux, et tout le monde va jusqu’au bout, pour leur fierté. À la fin, plus personne ne veut partir »
Anne Paq

Dans moins de deux mois, ce sera le grand saut. Du 15 au 23 juin, ils prendront la route pour la Normandie. Beaucoup ne sont jamais partis aussi loin, sans leur famille. « Ça fait un peu peur quand même », glisse Bintou. Mais les professeurs se veulent rassurants. « Ça s’est toujours bien passé. Le voyage, c’est magique, raconte Marine, se remémorant les éditions précédentes. Il se passe un truc vraiment incroyable. Les élèves se poussent entre eux, et tout le monde va jusqu’au bout, pour leur fierté. À la fin, plus personne ne veut partir. Même les gros durs finissent par devenir nostalgiques. »

Emma Bougerol, Anne Paq

Photo de une : © Anne Paq