Politique

« On va rentrer au pied de biche dans cette présidentielle » : Anasse Kazib, le candidat invisibilisé

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par Pierre Jequier-Zalc

Le candidat d’extrême gauche à la présidentielle bataille depuis de longs mois pour obtenir ses 500 parrainages. Il est totalement invisibilisé par les principaux médias audiovisuels. Une situation qui interroge.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Entre le 1er janvier et le 13 février, Éric Zemmour a eu 1592 fois plus de temps de parole qu’Anasse Kazib. Certes, ce dernier est moins connu et ne dispose pas de 15 % d’intentions de vote dans les sondages. Pourtant, le constat est le même avec les candidats de son camp politique. Nathalie Arthaud, candidate de Lutte Ouvrière (LO), et Philippe Poutou, candidat du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), ont pu respectivement s’exprimer sur des plateaux télé ou des studios radio 61 et 51 fois de plus que lui… Serait-ce parce qu’il dispose de moins de parrainages que d’autres « petits » candidats ? Même pas. Christiane Taubira, qui a recueilli moins de signatures d’élus, dispose pourtant d’un temps de parole 322 fois supérieur…

3 minutes et 12 secondes d’antenne en... 45 jours

Pendant cette période de 45 jours, Anasse Kazib n’a disposé que de 3 minutes et 12 secondes de temps d’antenne cumulé (radio et télé) selon l’Arcom (ex-CSA) [1]. Un total ridicule pour le cheminot et syndicaliste à Sud-Rail qui ambitionne depuis plusieurs mois de se présenter à l’élection présidentielle. Il a, à ce jour, validé 130 parrainages au Conseil constitutionnel. Le candidat de Révolution permanente, une scission du NPA, est même parfois carrément supprimé des graphiques qui résument le nombre de parrainages obtenus par chacune et chacun des candidates et candidats.

L’exemple le plus criant est le tableau présenté lors de l’émission de C8 Touche pas à mon poste où des personnalités n’ayant reçu qu’une seule signature d’élu (comme Guillaume Meurice ou François Hollande) sont intégrés dans une infographie d’où le nom d’Anasse Kazib est absent. « Ils ont même mis Florian Philippot avec son unique parrainage alors qu’il avait annoncé le matin même qu’il se retirait », rit amèrement l’aiguilleur de la gare du Bourget qui a pourtant été, un temps, un habitué des plateaux de télévision. Entre 2018 et 2020, il a en effet été chroniqueur pour les Grandes gueules, une émission sur RMC.

TPMP
Sur ce graphique diffusé dans TPMP le 18 février, Anasse Kazib n’apparaît pas dans la liste des candidats.
Capture d’écran C8

« Son absence pose question », reconnaît Claire Sécail, chargée de recherche au CNRS sur les liens entre média et politique. Comment expliquer cette invisibilisation presque totale de l’espace de débat médiatique ? « Je pense qu’il y a une crainte du système à me donner de la visibilité. Les médias savent très bien que passer sur leur antenne c’est me donner de l’influence, la possibilité d’être vu par tout un pays. Je pense qu’ils ne veulent pas qu’un front de lutte des classes qui lutte aussi contre le patriarcat et le racisme d’État, s’invite dans la présidentielle », estime Anasse Kazib. Claire Sécail explique de son côté cette situation différemment. « Il est dur de se prononcer sur l’intention des chaînes. Peut-être qu’à leurs yeux, le fait qu’il n’ait pas eu de poids politique réel avant [il ne s’est jamais présenté à une élection nationale] et qu’un autre candidat plus connu [Philippe Poutou] partage son couloir politique ça suffit peut-être, la plupart du temps, à expliquer cette différence de traitement », suppose la chercheuse au CNRS.

« "Rebeu" et lutte des classes, ils ne veulent pas en entendre parler »

Un autre facteur interroge forcément : celui de la discrimination. Anasse Kazib est en effet le seul candidat dans cette présidentielle à être issu de l’immigration maghrébine. « Les noirs et les arabes à la télé, ils sont intéressants quand ils sont proches des idées néolibérales. Avec moi, la combinaison "rebeu" et lutte des classes, ils ne veulent pas en entendre parler. Ça ne fait que renforcer ma conviction que ce système ne va pas. Le seul ouvrier issu de l’immigration maghrébine de cette campagne ne bénéficie même pas du respect minimum, souffle l’intéressé. On ne demande pas des avantages. On veut juste être logé à la même enseigne que les autres. » Pour illustrer son propos, le candidat de Révolution permanente prend l’exemple de Gaspard Koenig, un autre petit candidat, sur une ligne très libérale, qui dispose de 49 parrainages à ce jour. Entre le 1er janvier et le 13 février dernier, il a parlé 27 fois plus qu’Anasse Kazib. « Oui, mais c’est un philosophe blanc aux idées libérales… Vous les voyez le racisme et le mépris de classe ? » interroge le syndicaliste de Sud-Rail.

Cette invisibilisation a des effets très concrets sur sa campagne. Pour avoir son nom inscrit sur un des bulletins de vote le jour du premier tour, un candidat doit disposer de 500 parrainages d’élus validés par le Conseil constitutionnel d’ici le 4 mars. Une opération délicate, surtout pour les petits candidats qui ne disposent pas d’élus affiliés à leur parti. Depuis plusieurs mois, les militants et militantes de Révolution permanente sillonnent la France pour démarcher les maires et les convaincre de parrainer Anasse Kazib. Ils revendiquent avoir visité plus de 7000 édiles sur tout le territoire et avoir recueilli plus de 250 promesses de parrainages. Seules 130 se sont concrétisées à ce jour. « Certains se rétractent, et je les comprends. La pression est importante sur les maires, on leur dit que leur parrainage doit être utile. Et moi, c’est comme si je n’existais pas. »

Un appel aux candidats de gauche ayant déjà obtenu leurs 500 parrainages

La candidat cheminot appelle les candidats de gauche ayant déjà obtenu leurs parrainages à l’aider dans sa quête. « Je demande un soutien démocratique, pas un soutien politique, lance-t-il. Anne Hidalgo elle a plus de 1200 parrainages, elle compte en faire quoi ? Les encadrer dans une armoire ? Elle, comme le Parti communiste, pourrait permettre que je sois sur la ligne de départ. Quoi de plus subversif face à une campagne marquée par les idées d’extrême droite qu’un candidat ouvrier issu de l’immigration ? »

Pour lutter contre cette invisibilisation, le candidat de Révolution permanente a saisi l’Arcom. Car, en période électorale, le temps de parole des candidats déclarés ou présumés est encadré. « En ce moment, le principe de l’équité du temps de parole doit être respecté », explique Claire Sécail. C’est-à-dire que les chaînes de télévision et de radio doivent traiter de manière équitable les candidats en fonction de leur « poids politique ». Cette notion, forcément sujette à interprétation, doit se baser sur trois critères : les intentions de vote dans les sondages, les résultats aux précédentes élections, et les signaux qui montrent une implication dans la campagne (organisation de réunions publiques, de meeting…).

À la suite de cette saisie, l’Arcom a délibéré sur la réclamation mercredi 23 février. Sans qu’aucune décision claire ne soit prise. Dans la réponse envoyée à Anasse Kazib, que Basta! s’est procuré, l’ex-CSA rappelle juste que « les candidats déclarés ou présumés et leurs soutiens bénéficient de la part des radios et des télévisions d’un temps de parole et d’un temps d’antenne équitables ». Avant de poursuivre sur les critères qui leur permettent de juger cette notion « d’équité ». Rien, en revanche n’est tranché sur le fond, la réponse de l’Arcom ne précisant pas si le candidat bénéficie, ou non, d’un temps d’antenne équitable. Son équipe de campagne a annoncé qu’il allait solliciter un rendez-vous avec l’institution.

Une enquête pour organisation d’une manifestation non-déclarée

Dans le cas d’Anasse Kazib, les critères de l’Arcom pour juger le principe d’équité posent certains problèmes. Ni lui, ni son parti ne disposent de résultats à des élections précédentes. Pour les sondages, c’est simple, son nom n’est même pas proposé aux sondés. Sur les notices des sept derniers sondages publiés que nous avons épluchées, son nom n’est jamais proposé parmi les réponses. Au contraire, par exemple, d’Hélène Thouy, candidate du parti animaliste, qui dispose, à ce jour, d’une trentaine de parrainages de moins que le candidat cheminot. En revanche, les signes d’implication dans la campagne sont nombreux. Un site avec son programme a été créé. Révolution Permanente a organisé plusieurs meetings et évènements autour de son candidat. Le dernier en date : une conférence qui devait se tenir au sein de l’université Paris Panthéon-Sorbonne et qui s’est finalement déroulée devant l’établissement, faute de places suffisantes dans l’amphithéâtre. Environ 300 personnes étaient venues assister au discours du candidat à la présidentielle. À la suite de ce meeting improvisé, le Parquet de Paris a ouvert une enquête pour « organisation d’une manifestation non déclarée »…

Ainsi, à quelques jours de la date limite, l’obtention du nombre suffisant de parrainages paraît compliqué à atteindre. Malgré tout, Anasse Kazib veut rester positif. « On est un peu les "Rasta Rockett" de cette présidentielle », rigole-t-il en faisant référence à ce film qui retrace le parcours de l’équipe Jamaïcaine de bobsleigh aux Jeux olympiques d’hiver de 1988. Il conclut, en poursuivant sa métaphore : « Comme les bobsleigheurs jamaïcains quand ils arrivent sur la glace, on nous insulte, on nous méprise, on veut nous disqualifier de la course. J’ai l’impression qu’ils ne veulent pas de nous dans ce milieu, celui de la politique institutionnelle. On sait qu’aucun cadeau ne nous sera fait. Mais nous on va rentrer au pied de biche dans cette présidentielle. »

Pierre Jequier-Zalc

Photo de Une : Anasse Kazib le 9 février devant l’université Panthéon-Sorbonne à Paris. Crédit : ©O Phil des ontrastes