Sous nos yeux ébahis, les relations internationales connaissent un bouleversement profond, ébranlant tous les repères hérités de l’après-Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide. Ce 5 janvier, le futur Président des États-Unis a énoncé publiquement ses visées impérialistes, suggérant l’extension de la souveraineté du pays sur le Canal de Panama, le Groenland et le Canada.
« Nous nous faisons arnaquer au canal de Panama comme nous nous faisons arnaquer partout ailleurs », a ainsi déclaré Donald Trump. Le milliardaire estime que le canal avait été « donné » par les États-Unis au Panama et que les taxes pratiquées sur les passages de navires états-uniens à ce nœud commercial crucial seraient injustes, suggérant que la Chine serait favorisée.
Si le Panama ne respecte pas certains principes, « alors nous exigerons que le canal nous soit restitué, en totalité, rapidement et sans poser de questions », menace Trump. Il oublie que le canal, sous contrôle colonial états-unien jusqu’en 1977, a fait l’objet d’un traité de restitution progressive au Panama, qui doit rester neutre quant à la nationalité des navires qui l’empruntent, rappelle le média étasunien Truth Out.
Le futur maître de la Maison blanche lorgne également sur le grand nord : « Pour des raisons de sécurité nationale et de liberté dans le monde, les États-Unis d’Amérique estiment que la propriété et le contrôle du Groenland sont une nécessité absolue », a-t-il dit, lors de l’annonce de la nomination de son ambassadeur au Danemark. Lors de son précédent mandat, Trump avait déjà proposé d’acheter le territoire autonome danois et ses près de 60 000 habitants.
Les Canadiens inquiets d’une guerre économique
Dans sa ligne de mire, les potentiels gisements d’hydrocarbures et ressources minières qui deviennent accessibles avec le recul des glaciers, sans oublier l’énorme réservoir d’eau douce qui y est constitué, ainsi que le contrôle des nouvelles voies maritimes qui s’ouvrent, pour y concurrencer la Russie qui vise aussi à s’approprier une partie de l’Arctique.
Trump répète également que le Canada devrait « fusionner » avec les États-Unis pour en devenir le 51ème Etat, et menace le pays de rétorsion économique malgré l’accord de libre-échange – l’Alena – qui lie les États-Unis, le Canada et le Mexique. Une perspective que refuse l’ensemble des forces politiques canadiennes.
« Ses menaces d’annexion créent un ensemble constant de défis multiples pour la prospérité économique, les normes démocratiques et la souveraineté du Canada. La dimension économique de sa menace pour le Canada est désormais bien connue. Les tarifs douaniers de 25 % proposés par Trump sur toutes les exportations canadiennes vers les États-Unis vont coûter extrêmement cher aux deux pays, compte tenu de l’intégration de leurs économies », s’inquiète le chercheur canadien Stewart Prest dans The Conversation (également repris par le média indépendant canadien The Tyee).
Comment faut-il interpréter ces intimidations ? Comme d’énièmes élucubrations sans conséquences ? Comme des coups de pression pour faire plier les partenaires des États-Unis afin d’obtenir d’avantageuses conditions commerciales et économiques, ainsi qu’un accès facilité aux ressources naturelles ? Ou comme de réelles menaces d’expansion, voire d’annexions futures, qui feront voler en éclat les alliances traditionnelles ?
Les fantasmes expansionnistes de l’extrême droite US
Ce nouvel « âge d’or pour l’Amérique » que Trump appelle de ses vœux fait échos aux desseins de certains courants trumpistes favorables à une politique agressive et expansionniste. « Dans les cercles trumpistes, une carte montrant une Amérique s’étendant jusqu’à la Méditerranée et la mer de Chine méridionale a été visionnée plus de 5 millions de fois sur X, le réseau social d’Elon Musk », observe la revue Le Grand Continent.
« Cette carte (...) consistait initialement à imaginer à quoi ressemblerait la géographie des États-Unis si tous les territoires temporairement occupés ou ayant fait l’objet de revendications — plus ou moins avancées — avaient été incorporés au pays », poursuit la revue. Y figurent, outre le Canada, le Groenland, l’Islande, le Panama et le nord du Mexique, « le nord-est de la Sicile, utilisé pour ses ports par l’armée américaine durant la Seconde Guerre mondiale, l’île de Cuba (occupée à la suite de la guerre hispano-américaine de 1898), le port allemand de Brême (utilisé pour l’approvisionnement de la zone d’occupation américaine en Allemagne de 1945 à 1949) ou encore les îles de Mindanao et Luzon aux Philippines (occupées par les forces du général MacArthur en 1945) ». Bref, une version encore plus radicale des menaces proférées par Trump.
A ces velléités expansionnistes, qui concernent aussi le Mexique – Trump propose de renommer le Golfe du Mexique en Golfe de l’Amérique – la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum (issue d’une coalition de gauche) a répondu par l’humour. « Debout devant une carte du monde lors de sa conférence de presse quotidienne, Sheinbaum a proposé sèchement que le continent soit connu sous le nom d’“América Mexicana”, ou “Amérique mexicaine”, car un document fondateur de 1814 qui a précédé la constitution du Mexique l’a désigné ainsi », raconte The Guardian. « “Cela semble bien, non ?”, a-t-elle ajouté d’un ton sarcastique. Elle a également noté que le bassin océanique délimité par la côte du golfe du Mexique aux États-Unis, les États de l’est du Mexique et l’île de Cuba est connu sous le nom de golfe du Mexique depuis 1607. »
Et l’Europe dans tout cela ? Comme Poutine, Trump et ses affidés disposent en Europe de leur cheval de Troie : les partis d’extrême droite, déjà au pouvoir (Italie, Hongrie...) ou en pleine ascension électorale (Allemagne, France...). La Première ministre italienne Giorgia Meloni a ainsi rendu visite à Trump, dans sa luxueuse résidence de Floride, le 4 janvier – et sera invitée avec le Premier ministre hongrois Viktor Orban à son investiture.
Vassalisation de l’Europe ?
Elle est également en train de négocier un contrat de 1,5 milliard d’euros avec Elon Musk, véritable VRP de Trump et de l’extrême droite états-unienne, pour que sa société Starlink (filiale de Space X) installe un réseau de satellites en orbite basse au-dessus de l’Italie, en dépit du fait qu’un projet européen, avec des sociétés et des technologies européennes, soit prévu, rappelle le quotidien italien Il Manifesto. Elon Musk a par ailleurs apporté son soutien public aux partis d’extrême droite britannique (Reform UK) et allemand (AfD). Si bien que le média espagnol elDiario le qualifie de « moteur d’une nouvelle vague d’extrémisme de droite à l’échelle mondiale ».
Si ces mouvements parvenaient au pouvoir dans un nombre conséquent d’États européens, cela signifierait une vassalisation du continent aux désidératas de Trump. Donc la fin de son modèle social, démocratique, multiculturel, et de ses tentatives de régulation et d’encadrement (en matière environnemental, d’économie numérique, de droit du travail...), qui, s’ils sont loin d’être satisfaisants, font désormais office de quasi exception sur la planète.
Face au risque de vassalisation, et à celui de renouer avec « la loi du plus fort » que pratiquent déjà la Russie, Israël ou la Chine vis à vis de leurs voisins, l’Europe et les mouvements progressistes et humanistes qui la constituent doivent très vite réfléchir à une autre voie : celui du soutien et de la coopération avec les quelques gouvernements (en Amérique latine notamment) et les nombreuses sociétés civiles, des États-Unis à l’Iran en passant par l’Afrique et le Proche-Orient, qui aspirent à l’émancipation, la démocratie et l’égalité. Et tenter d’enrayer l’engrenage nationaliste, impérialiste et potentiellement meurtrier qui s’est mis en branle.