Le 13 avril, Emmanuel Macron annonçait des aides financières exceptionnelles pour les étudiants les plus démunis. Une lueur d’espoir pour ces derniers, pour qui la précarité s’accentue de semaine en semaine, à mesure que s’accumulent les charges, et que pèse l’urgence alimentaire. Depuis la déclaration du président, les étudiants attendent, dans le silence.
Si le gouvernement envisage bel et bien le versement d’une aide aux étudiants qui sont employés dans les structures médicales, fortement mobilisés et sous-payés durant la crise sanitaire, et pour ceux dont la famille se trouve en Outre-mer, rien n’a été prévu pour la majorité restante.
Sans stage et sans emploi, comment survivre au confinement ?
Dès l’annonce du confinement, le ministère de l’Éducation a voulu se montrer rassurant. Sur son site, une foire aux questions spéciale Covid19 a été ouverte pour répondre aux inquiétudes des étudiants. Oui, le versement des bourses sur critères sociaux sera maintenu pendant la fermeture des établissements supérieurs. Oui, les services administratifs poursuivront leurs activités en télétravail, et assureront le traitement des dossiers de demande de bourses et de logement pour la rentrée prochaine. Oui, les étudiants qui le souhaitent, ou qui n’ont pas d’autres solutions, pourront rester dans leur logement universitaire. À condition bien sûr de continuer à s‘acquitter du loyer. Pour les confinés des résidences Crous, principalement occupées par les étudiants boursiers et étrangers, dont la survie dépend de petits boulots précaires et de contrats de travail limités, la peur de la précarité et des impayés monte à mesure que se prolonge le confinement.
En France, 46 % des étudiants travaillent à côté de leurs études [1]. Avec le confinement, ils sont nombreux à avoir perdu leur source de revenu, sans pouvoir prétendre au chômage partiel. Pour les plus précaires, tout repose désormais sur la bourse versée par les Crous, sur critères sociaux. Cette aide mensuelle attribuée de septembre à juin varie significativement d’un étudiant à l’autre, de 102 euros à 561 euros. Le montant est calculé en fonction des revenus et charges des parents, sans prendre en compte les situations vécues par les étudiants, qui ne bénéficient pas toujours du soutien financier de leur famille. Parmi les 712 000 étudiants boursiers recensés en 2019, moins de 7 % ont obtenu le niveau de bourse le plus élevé [2]. Ils sont donc une majorité à vivre avec moins de 500 euros par mois.
En première ligne pour organiser la solidarité, les syndicats et les associations étudiantes
Les bourses et les aides au logement ne devraient pourtant pas être revalorisées pendant la période de confinement. Les étudiants qui travaillent normalement doivent donc se débrouiller pour payer leurs charges et s’alimenter avec des moyens réduits, voire inexistants, et sans l’aide des restaurants universitaires, fermés. Vice-président de l’Unef, Madji Chaarana désespère face au manque d’action du gouvernement : « Pour l’instant aucune réponse sociale n’a été réellement apportée. Il faut absolument que la ministre de l’Enseignement supérieur prenne position. »
En première ligne pour organiser la solidarité, les syndicats et les associations étudiantes tentent de répondre comme ils peuvent à la panique grandissante. « L’État ne donne pas les moyens aux Crous de répondre à la crise. Immédiatement, dans l’urgence, il faut permettre aux jeunes de subvenir à leurs besoins de base après la perte de leur emploi ou de leur stage. C’est pourquoi nous demandons une aide d’urgence exceptionnelle qui soit à la hauteur du salaire perdu, et de vrais fonds pour les universités et les Crous », précise Madji Chaarana. Les 10 millions d’euros débloqués par la ministre de l’Enseignement supérieur pour venir en aide aux étudiants les plus démunis dans cette crise ne régleront des années de précarité grandissante.
« En moins de cinq jours, nous avons reçu plus de 700 mails d’étudiant.es, ayant tous et toutes des difficultés pour s’acheter de quoi manger, et des demandes continuent d’affluer chaque jour », communique le Collectif solidarité étudiante Paris 8 (en Seine-Saint-Denis). Avec l’antenne locale du Secours Populaire, le collectif a organisé une première distribution de 100 colis alimentaires le 17 avril. Mais il en faudrait donc dix fois plus. « Comment est-il envisageable qu’en 2020 des étudiant.es se rationnent pendant des semaines ou ne puissent plus manger ? » s’interroge le collectif.
Après un mois de confinement, la faim, l’insalubrité, et le stress des impayés commencent à peser sur les esprits. En dernier recours, les étudiants les plus démunis peuvent se tourner vers les aides exceptionnelle mises en place par certaines universités et certains Crous. Mais chaque Crous et chaque université est libre de choisir le type d’aide disponible, décident de leurs montants et conditions d’attribution. Les critères d’obtention sont variables en fonction des régions et des ressources de chaque établissement.
« Attendre qu’on soit vraiment dans la merde, c’est ça la politique d’aide du Crous »
À Bordeaux notamment, les confinés en résidence peuvent bénéficier d’aides à la restauration et de paniers repas distribués par des bénévoles. Dans certaines universités, comme à Tours, des bons d’achat de produits alimentaires et d’hygiène d’une valeur de 70 euros, ainsi que des prêts de matériel informatique, sont prévus pour ceux qui en ont font la demande. Dans les situations les plus urgentes, les étudiants pourront bénéficier deux fois seulement de cette aide alimentaire. Un coup de pouce financier loin d’être suffisant, d’autant plus lorsqu’il faut attendre plusieurs semaines sans revenu, et sans restauration universitaire, avant de savoir si l’ont peut en bénéficier.« Certains ont perçu leur dernier salaire en mars, ont fait leur demande d’aide il y a trois ou quatre semaines, sans réponse pour le moment. Attendre qu’on soit vraiment dans la merde, c’est ça la politique d’aide du Crous », témoigne Raphaël [3], de Solidaires étudiants.
Étudiante à Lyon, Halima avait confié à Basta! en décembre dernier les conditions de vie dégradantes de la résidence Mermoz (voir notre article). Elle a depuis quitté les lieux, mais s’inquiète du sort des étudiants qui y sont actuellement confinés, avec lesquels elle a encore quelques liens. « C’est encore pire qu’avant ! », se désole-t-elle. « Les tours de ménage dans les parties communes sont de plus en plus rares, les cafards ont complètement envahi les couloirs, les sanitaires et la cuisine. La laverie est fermée pour la durée du confinement, et avec la chaleur, les punaises de lit prolifèrent comme jamais. Ces conditions créent des tensions et des problèmes entre résidents. Certains vont mal psychologiquement. »
Face aux cris d’alertes des locataires, les gestionnaires de la résidence continuent de faire la sourde oreille. « Les employés de l’accueil sont évidement en télétravail, mais ils ne sont pas plus disposés à aider les étudiants aujourd’hui qu’ils ne l’étaient avant. En cela, le confinement n’a rien changé, et les résidents doivent toujours payer leur loyer », rappelle Halima. 150 euros par mois pour une chambre de 9m2 avec punaises de lit et cafards. Même en pleine de crise sanitaire, les plus démunis devront faire le choix de payer ou de partir. En-dehors des résidences Crous, les étudiants confinés dans de petits appartements insalubres doivent aussi s’acquitter de loyers excessifs, face à des propriétaires souvent peu coopératifs.
La Confédération nationale pour le logement a lancé un appel le 15 avril exigeant l’annulation des loyers des étudiants pendant le confinement, ainsi qu’une revalorisation des aides au logement pour l’ensemble des étudiants locataires, boursiers ou non.
« La plupart des étudiants vont travailler sur le parking pour avoir du réseau »
Malgré ces conditions de vie difficiles, les étudiants doivent encore réussir à décrocher leur année, et pour certains leur diplôme. Encore faut-il pouvoir accéder aux cours, assurer chaque rendu, participer aux examens, et rédiger les mémoires de fin d’études. Or, la continuité pédagogique en ligne ne peut fonctionner que si l’on possède le matériel informatique et la connexion Internet nécessaires. Ce n’est pas le cas de tous. Dans la résidence universitaire Mermoz, les camarades d’Halima en font les frais : « Tous les cours et les examens ont été programmés sur internet, sauf que la résidence, comme beaucoup d’autres, a de gros problèmes de connexion. Du coup, la plupart des étudiants vont travailler sur le parking avec leur ordinateur pour avoir du réseau. » Nombre de résidences ne disposent pas de réseau Internet suffisamment puissant permettant à des dizaines d’étudiants de se connecter en même temps.
Pendant que certains décrochent de leurs études, les étudiants actuellement employés dans les supermarchés et les commerces encore ouverts, doivent jongler entre leurs engagements pédagogiques et l’augmentation de leur temps de travail. Raphaël ne comprend pas le silence des pouvoirs publics face à la double pénalisation des étudiants : « Pour ceux qui peuvent encore travailler comme pour ceux qui doivent se nourrir sans revenu, il y a eu très peu d’aménagement des contrats pédagogiques, alors que les étudiants doivent trouver le moyen de passer leur année en se serrant encore plus la ceinture ou en travaillant constamment pour ne pas perdre leur emploi. La précarité étudiante est alarmante, et même en situation de crise on n’est pas entendus. » Pour Madji Chaarana, de l’Unef, l’État se repose un peu trop sur les actions solidaires des associations et syndicats étudiants : « Répondre à cette crise, ce n’est pas notre rôle ! Nous sommes là pour guider, et organiser la solidarité étudiante. Il va falloir que l’État fasse beaucoup plus que ça pour sauver les étudiants. »
Solani Bourébi