À gauche, domine l’idée que l’écologie politique serait naturellement ancrée à gauche. Alors qu’elle ne l’est pas naturellement. Elle est certes historiquement ancrée à gauche, c’est-à-dire qu’une frange particulière de la gauche s’est effectivement saisie la première de la question écologique.
C’est une mouvance politique qui émerge notamment à la suite de Mai 68 : beaucoup de gens plus ou moins marqués par le marxisme, en tout cas engagés très à gauche, se sont investis dans la lutte écologiste, lui donnant ainsi une certaine coloration émancipatrice. Mais ce n’est pas parce qu’il y a eu cette histoire particulière au départ qu’il n’y a pas aujourd’hui une pluralisation de l’écologie politique.
Actuellement, les principales forces politiques qui se saisissent de la question écologique restent effectivement toujours les forces politiques de gauche. Mais ce n’est pas parce que l’extrême droite est en retard et ne s’est pas saisie du problème pour l’instant qu’elle ne pourrait pas le faire. L’hypothèse est d’autant plus probable qu’un corpus écofasciste, dans lequel l’extrême droite pourrait piocher ses arguments, existe déjà depuis plus de 30 ans.
Une « écologisation du fascisme » déjà bien entamée
Ce que j’appelle « l’écologisation du fascisme », soit l’appropriation de la question écologique par des idéologues réactionnaires, prend plusieurs formes. La Nouvelle Droite en est l’exemple le plus développé, à travers certains idéologues comme Alain de Benoist. Ce dernier a théorisé une écologie enracinée, qui fixe les populations humaines sur leur territoire de naissance. Tout déplacement serait alors un déséquilibre de la répartition « naturelle » des communautés humaines sur la surface terrestre.
On peut également regarder du côté de l’écologie intégrale en France, qui agrège certaines franges catholiques issues de la Manif pour tous. Là encore, l’idée d’un ordre « naturel » à ne pas dépasser nourrit une conception essentialiste de l’écologie. Cela ne veut pas dire que tous les catholiques qui parlent d’écologie versent dans cette tendance homophobe et antiféministe.
Ce sont des corpus idéologiques qui ne seront jamais absorbés en tant que tels par les partis d’extrême droite. Le Rassemblement national ou Reconquête ! ne vont jamais défendre l’utopie localiste néopaïenne d’Alain de Benoist, une petite communauté enracinée sur un territoire autarcique. Ils vont plutôt mobiliser certains arguments d’ordre narratif sur l’histoire de la crise écologique, comme la supposée « décadence de la société moderne » par exemple.
Beaucoup d’arguments de la gauche disent que l’extrême droite ne peut pas être écolo. Ils ne sont pas forcément faux, notamment lorsqu’ils pointent la dépendance de ce camp politique vis-à-vis du capital fossile, mais doivent être nuancés. Il faut être capable de voir la possibilité d’une hybridation entre une extrême droite écolo et une extrême droite anti-écolo.
C’est ce qui s’est historiquement fait à gauche. L’arrivée de l’écologie à gauche ne s’est pas réalisée en douceur. Dès le départ, il y a eu des conflits importants entre écologistes et communistes, qui restaient sur une ligne productiviste. Si aujourd’hui l’écologie politique est devenue beaucoup plus consensuelle à gauche, il subsiste des oppositions très fortes alors qu’il s’agit de sensibilités politiques qui disent défendre un projet de société relativement proche.
Du carbofascisme à l’écofascisme ?
Le carbofascisme est la forme principale de rapport à l’écologie qui domine à l’extrême droite aujourd’hui. Ça signifie une convergence, voire un partage des intérêts entre l’extrême droite et le capitalisme fossile. D’un côté, l’industrie fossile, en contexte de crise climatique, voit ses intérêts économiques directs d’exploitation des hydrocarbures menacés. De l’autre, l’extrême droite défend la civilisation occidentale, largement dopée aux énergies fossiles, et sa supériorité. Les intérêts de ces deux groupes se retrouvent alors dans la défense des énergies fossiles et dans l’alimentation du climatoscepticisme.
Le carbofascisme ne se transformera pas en écofascisme du jour au lendemain. Notamment dans les grands partis, type RN ou Reconquête !, connectés au patronat et dépendants dans leur mode de financement de ces soutiens-là. C’est différent pour des idéologues comme Alain de Benoist qui ont une liberté plus importante dans la production de leurs idées.
Il faut peut-être plutôt s’attendre à quelque chose d’hybride entre un pouvoir autoritaire d’extrême droite qui resterait sur une ligne carbofasciste, gérant la pénurie par des mesures autoritaires, et le développement de communautés écofascistes en parallèle, plus proches du modèle idéologique formulé par la Nouvelle droite. Ces petites communautés pourraient d’ailleurs être favorisées par ce pouvoir d’extrême droite.
Une nécessaire clarification du discours écologiste
Un certain nombre d’ambiguïtés ou de pentes glissantes caractérisent le discours écologiste depuis les années 1970. Cela ne pose pas forcément de problème au départ, au sens où les ambiguïtés et désaccords sont des choses normales dans un mouvement politique. Mais à partir du moment où une nouvelle offre politique comme l’écofascisme peut devenir le réceptacle de certaines de ces ambiguïtés, il devient d’autant plus essentiel de clarifier certaines positions.
Sur la question de la décroissance par exemple, certains discours mettent en cause non pas la société capitaliste et la recherche du profit par la classe bourgeoise, mais plutôt la société moderne qui serait devenue « décadente », qui serait allée « trop loin », sans qu’on sache forcément ce que cela veut dire. Ce discours sied très bien aux écofascistes qui plaident pour un retour à une organisation plus traditionnelle de la société.
L’idée dans laquelle la gauche est un peu engluée, c’est que l’écologie politique serait forcément émancipatrice et démocratique. Heureusement, c’est encore majoritairement le cas. Mais il faut aussi voir que la transformation radicale de la société à laquelle appellent les écologistes est appropriée par d’autres courants politiques qui appellent également à des changements radicaux, mais dans une direction opposée : vers une société qui serait davantage patriarcale et homogène d’un point de vue racial.
Il faut donc être capable d’accepter ce postulat de départ selon lequel l’écologie peut exister sous d’autres formes politiques qu’une forme émancipatrice. Cela ne légitime pas pour autant ces appropriations, il s’agit avant tout de construire une vigilance collective les concernant.
Le problème réside bien dans l’idée selon laquelle l’écologie serait intrinsèquement émancipatrice et démocratique, puisque celle-ci nourrit à la fois le postulat d’une écologie uniquement possible à gauche, mais aussi l’argument que si les partis d’extrême droite s’écologisent alors ils seraient plus estimables. Pourtant, la manière dont ils s’écologisent n’est justement pas dans cette voie démocratique et émancipatrice. Ce petit pas de côté est difficile à faire à gauche et nourrit de vives réactions, qui ne permettent pas de prendre au sérieux le risque écofasciste.
Après son intervention lors d’un débat organisé par l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles arguant qu’« il n’est pas envisageable de ne pas parler aux 13 millions d’électeurs de Marine Le Pen », la question à poser à Hugo Clément (journaliste et militant de la cause du bien-être animal) serait la suivante : une fois que tous les partis seront écologistes, qu’aura changé le fait d’avoir porté l’écologie de manière apartisane ? Les conceptions de l’écologie seront effectivement très différentes entre la conception raciste de l’extrême droite et émancipatrice qui vaut à gauche, sans parler du capitalisme vert dont on ne prend pas l’existence catastrophique assez au sérieux. Ce serait une question à poser aux écologistes qui se revendiquent comme apolitiques : une fois que tous les partis sont devenus écolos, pour qui allez-vous voter ? Quel projet politique allez-vous défendre ? Parce que finalement, c’est bien la question qui se pose toujours.
Antoine Dubiau, doctorant en géographie à l’université de Genève et auteur de Écofascismes, (Grévis, 2022).
Propos recueillis par Nils Hollenstein