C’est un étrange paradoxe. L’intensification des événements météorologiques extrêmes et le dérèglement du climat coïncident avec la montée de l’extrême droite, une force politique qui nie catégoriquement ces phénomènes. Le Zetkin Collective [1], un groupe composé de chercheurs, d’activistes et d’étudiants, vient de publier un livre sur le « fascisme fossile » aux éditions La Fabrique. Ils examinent ce que les principaux partis d’extrême droite ont dit, écrit et fait à propos du climat et de l’énergie dans treize pays européens, dont la France [2].
Entre déni et mensonges
Parmi les enseignements, le négationnisme climatique pur et dur – c’est-à-dire le déni des causes et des conséquences du réchauffement – constitue encore aujourd’hui la ligne majeure de plusieurs partis d’extrême droite en Europe. En Allemagne, l’AfD, lorsqu’elle est entrée au Bundestag en 2017, affiche une position sans équivoque sur le changement climatique. Ce dernier serait « à l’œuvre depuis le début de l’existence même de la Terre ». Selon l’AfD, l’alternance froid-chaud des températures a toujours eu lieu. Davantage de CO2 permettrait même des récoltes plus abondantes... Ce dernier argument a aussi été utilisé en 2016 par le parti réactionnaire polonais Droit et justice. Selon son ministre de l’environnement, « il n’y a pas de consensus scientifique » sur le changement climatique.
Même tonalité aux Pays-Bas avec le Forum voor Democratie (FVD). En Grande-Bretagne, Nigel Farage, fondateur de UKIP (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni) a brandi en 2013, devant le Parlement européen, deux imprimés de la Nasa censés prouver que la calotte glaciaire arctique s’était accrue de 60 % en un an, et dont il faisait une lecture erronée. « Nous entrons actuellement dans une période de 15 à 30 ans de refroidissement climatique global. Nous avons fait l’une des plus grosses et stupides erreurs collectives de tous les temps en nous inquiétant d’un réchauffement climatique », tonne alors celui qui a également allègrement menti lors de la campagne pour le Brexit. En Espagne, l’entrée au Parlement en avril 2019 du parti néo-franquiste Vox a aussi été marquée par le retour du négationnisme climatique. Pour Santiago Abascal, président de ce parti d’extrême droite, le réchauffement est la « plus grande escroquerie de l’histoire ».
Au fondement de cette machine du déni figure une doctrine, le « capital fossile » qui se développe depuis le début du 19e siècle en puisant et brûlant du charbon, du pétrole et du gaz. Une pléthore de think tanks américains ont germé pour contester les alertes sur le réchauffement que les énergies fossiles génèrent. Ils ont reçu l’appui de multinationales de l’énergie comme Exxon, Shell ou BP, de constructeurs automobiles comme General Motors, Ford et Chrysler, ou de géants de la chimie tel DuPont... L’industrie pétrolière connaissait pourtant dès 1965 les conséquences de l’extraction d’énergies fossiles sur le réchauffement [3].
Il a fallu attendre le milieu des années 1990 pour qu’une partie de ces multinationales reconnaissent l’existence du changement climatique et le besoin d’y remédier. Depuis, elles rivalisent d’imagination pour communiquer sur leurs stratégies « charbon et pétrole propres », leurs projets de capture et de stockage du CO2, de « gaz vert », de marché du carbone, de mécanismes de « compensation volontaire », de plans d’entreprises pour la neutralité carbone... Plusieurs partis d’extrême droite européens continuent de défendre ardemment ce capitalisme fossile. En Finlande, l’industrie de la tourbe, qui produit massivement des gaz à effet de serre, est ainsi vivement soutenue par le Finns Party (Parti des Finlandais) qui a même envisagé d’exempter cette production de toute taxe. Le fief du Finns se situe à l’ouest du pays, bastion de cette industrie : sur les quinze municipalités qui ont le plus voté pour l’extrême droite finlandaise en 2015, quatorze produisent de la tourbe.
Défendre le charbon et l’automobile aux dépens du climat et... des ouvriers
L’UKIP de son côté rêve de donner un nouveau souffle à l’industrie du charbon. « Notre politique c’est la réouverture des mines, confiait Roger Helmer, membre du parti. Nous avons assez de réserves de charbon pour les 200 prochaines années au moins ». En Allemagne, l’AfD multiplie les messages pro-charbon. Une stratégie payante : l’AfD a obtenu plus de 30 % des voix dans la région de la Lusace, à l’Est, riche en lignite. En Pologne, Droit et justice (PiS), qui a obtenu en 2015 une majorité parlementaire absolue, mise aussi sur le charbon. Pour son ministre de la Défense, « la Pologne est fondée sur le charbon, et cela ne changera pas ». Le PiS défend l’idée d’un « charbon propre » aux dépens des énergies renouvelables qu’il méprise.
En Hongrie, le gouvernement Fidesz (droite extrême) pourvoit assidûment aux besoins du secteur automobile. Une loi de 2018 connue sous le nom de « Slave Law » (loi esclavagiste) a autorisé les entreprises à exiger de leurs employés jusqu’à 400 heures supplémentaires contre 250, et à attendre trois ans, au lieu d’une année, pour les rémunérer. La même année, BMW annonçait la construction d’une nouvelle usine en Hongrie. La part des voitures dans les exportations du pays pourrait, selon les prévisions, passer d’un tiers à presque la moitié.
Haine des énergies renouvelables
Répondant à une question au parlement au sujet du rapport récent du GIEC, un ministre du Fidesz déclare, en octobre 2018, que « le degré auquel les activités humaines impactent le climat est discutable ». Pas question, donc, d’envisager de changer de modèle. « Avec des impôts élevés, des normes environnementales importantes et une législation climatique absurde, nous mettons notre socle industriel en danger alors qu’il constitue la base de nos emplois et de notre prospérité », déclare Manfred Haimbuchner, ancien vice-président du FPÖ (Parti de la liberté), l’extrême droite autrichienne.
Si les partis d’extrême droite défendent la souveraineté nationale, ils abhorrent généralement le développement des énergies renouvelables sur leur propre territoire, vouant une haine particulière à l’énergie éolienne. En 2012, Roger Helmer (UKIP) admet détester les grands parcs solaires, mais « [haïr] par-dessus tout les éoliennes car elles sont le symbole de déchets inutiles et colossaux, et du politiquement correct futile ». Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national (ex-Front National) qui dit ne rien avoir contre le solaire ou les bio-carburants, souhaite un moratoire immédiat sur la construction des éoliennes car « c’est immonde et ça ne marche pas ». Au printemps 2019, son parti a lancé une campagne spécifique contre les éoliennes qualifiées de « pollution sonore et visuelle » et de « drame pour l’environnement ».
En 2018, au Danemark, le DF (Parti populaire danois) annonce qu’il s’opposerait à toute construction de parcs éoliens terrestres et n’acceptera que des projets offshores. Sous pression, le gouvernement a réduit le nombre d’éoliennes terrestre de 4300 à 1850 d’ici 2030 tout en planifiant la construction de trois nouveaux parcs offshores. Plus de la moitié des éoliennes actuelles vont donc être démantelées dans les dix années à venir. En Allemagne, l’AfD considère les renouvelables comme non fiables, chères, destructrices de « l’image de nos paysages culturels » et constituant un « danger mortel pour les oiseaux ». Le même rejet de la part des partis d’extrême droite est observé en Hongrie, en Espagne et en Suède, qui n’ont pourtant pas ou peu de ressources pétrolières, charbonnières ou minières. Pour Martin Kinnunen, porte-parole des Démocrates suédois (DS, le parti d’extrême droite local), « il n’y a pas de bonnes alternatives aux énergies fossiles ». Plutôt que de recourir aux énergies renouvelables, il préconise l’importation de gaz et du charbon.
L’extrême droite européenne unie contre l’accord de Paris
Le Collectif Zetkin observe également une résistance systématique des partis d’extrême droite en Europe à toute tentative d’instaurer une gouvernance climatique – même capitaliste. Suite à la signature de l’Accord de Paris fin 2015, le Finns Party en Finlande, a jugé l’accord « catastrophique » pour l’économie nationale, exigeant qu’on épargne le secteur privé et les contribuables de ses conséquences économiques désastreuses. Les Démocrates suédois ont été le seul parti à voter contre la ratification de l’accord, puis à défendre un retrait. Aux Pays-Bas, le PVV (Parti de la liberté) qualifie le texte d’ « inepties qui ne font qu’ajouter un fardeau supplémentaire sur notre peuple ». Au Royaume-Uni et en Allemagne, les droites extrêmes font pression pour une sortie de l’accord de Paris comme de tous les accords climatiques signés par leur pays. En Autriche, le FPÖ le qualifie de « tromperie ».
Le Front National est sur la même ligne : entre 2009 et 2014, le parti de Marine Le Pen vote contre chacune des treize réformes climatiques – réduction des pollutions, augmentation de la production renouvelable... – débattues au Parlement européen.
« Le meilleur allié de l’écologie, c’est la frontière »
En France, Marine Le Pen rallie initialement les négationnistes climatiques. Puis, en 2014, le FN lance un « Collectif Nouvelle Écologie » où l’on aborde la protection de « la famille, la nature et la race »... À la veille de l’élection présidentielle de 2017, le FN se redéfinit comme un parti « éco-nationaliste » luttant pour « une écologie patriotique ». « En défendant le protectionnisme, la production à l’intérieur de nos frontières [...], on lutte contre les émissions de gaz à effets de serre », estime-t-elle. Tête de liste durant les élections européennes de 2019, Jordan Bardella semble tout aussi dévoué à l’écologie : « C’est par le retour aux frontières que nous sauverons la planète. » « Le meilleur allié de l’écologie, c’est la frontière » résume assez bien ce courant de l’extrême droite.
Pour le Collectif Zetkin, ce nationalisme vert semble avant tout arrimé à la conviction que la protection de la nature passe par celle de la nation blanche. S’il ne nie pas la crise écologique, il l’utilise comme argument pour fortifier les frontières. Le motif qui gouverne tous les autres, c’est de stopper et d’inverser l’immigration.
Le réchauffement climatique, un « complot » contre « les Blancs » et « les pays développés »
C’est une règle qui n’a pas encore été démentie : chaque fois qu’un parti européen d’extrême droite dément ou minimise l’importance du changement climatique, il fait dans le même temps une déclaration sur l’immigration. Lors de l’été 2018, la Suède est affectée par des événements météorologiques intenses, marqués par l’absence de pluie entre la fin du mois de mai et août. « Beaucoup y voient la preuve ultime que le monde est en train de sombrer. Est-ce vraiment le cas ? Je ne le crois pas, déclare alors Jimmie Åkessons, le chef des Démocrates suédois. Extrapoler en politique la météo d’un été isolé n’est simplement pas sérieux. C’est la pire sorte de populisme qui puisse exister ».
Pour soulager néanmoins les agriculteurs, il suggère d’abaisser considérablement les taxes sur le diesel et l’essence. Åkesson retourne ensuite sur son terrain favori, répétant qu’« il n’y a qu’un seul parti qui priorise la Suède et les besoins des Suédois devant l’immigration de masse venant des quatre coins du monde, et ce parti c’est le nôtre. » Cette année là, les Démocrates suédois consolident leur position de troisième force politique du pays lors des élections.
En France, lors d’une conférence en 2010 dédiée au climat, Jean-Marie Le Pen évoque le « catastrophisme » qui « permet de faire accepter une hausse du nombre de réfugiés climatiques ». Il considère le changement climatique comme un « complot politique » contre « les Blancs, les pays développés, [tenus pour] responsables de la misère du monde ». En Italie, Matteo Salvini, secrétaire fédéral de la Ligue du Nord, n’a de cesse de tourner en dérision la notion de « réfugiés climatiques » : « Ça suffit maintenant, nous en avons déjà trop accueilli. Est-ce que quelqu’un qui quitte Milan car il n’aime pas le brouillard doit être considéré comme un migrant climatique ? » Lors des élections autrichiennes de 2017, le FPÖ déclare que les impacts du changement climatique ne doivent jamais devenir une justification pour l’asile en Europe. Depuis 2010, observe le Collectif Zetkin, l’extrême droite a dans son écrasante majorité, retiré le sujet du climat de l’agenda politique, par peur qu’il ne détourne l’attention de ses obsessions migratoires.
L’Europe, incubateur du lien entre race et énergie fossile
Les auteurs pointent enfin la façon dont l’extraction des énergies fossiles est inextricablement liée à la question raciale. Si les énergies fossiles marquent l’apogée de la domination de la nature, elle marque aussi la domination sur des peuples non-blancs comme les Amérindiens ou les Ogoni dans le delta du Niger. « L’accaparement et l’empoisonnement de leurs terres n’est admissible que si leur valeur humaine est diminuée, observent les chercheurs. Les exploits qui font la fierté des "races civilisées" n’auraient jamais pu être accomplis sans les matières premières, les marchés d’outre-mer et l’esclavage africain. » Or, le danger à leurs yeux du fascisme fossile est de réactiver ces articulations anciennes de la race et de l’énergie.
À ce titre, le cas de l’Autriche inquiète, après l’accord électoral finalisé en 2020 entre les Verts et les conservateurs de l’ÖVP. « Nous avons réussi à unir le meilleur des deux mondes. Il est possible de protéger à la fois le climat et les frontières » déclarait ainsi le chancelier Sebastien Kurz (ÖVP). Le programme du gouvernement inclut un plan pour une électricité issue à 100 % des énergies renouvelables d’ici 2030 et l’interdiction du hijab pour les écolières jusqu’à 14 ans ; la réduction du prix des transports publics et le placement des demandeurs d’asile en « détention préventive » – tout en baissant les impôts des entreprises. Pour le Collectif Zetkin, un « fascisme écologique n’est plus inimaginable ».
Sophie Chapelle
Illustration : Le Cil Vert
Zetkin Collective. Fascisme fossile. L’extrême droite, l’énergie, le climat. Coordonné par Andreas Malm. La fabrique éditions. Sortie : 22 octobre 2020.